Cela commence comme une simple visite de presse en forêt pour à la fin s’apercevoir à quel point c’est la panique au sommet de l’Etat. Les Ecolos en embuscade et un gouvernement de peintres ripolinent la société en vert, faisant feu de tout bois. Gare aux termites ?
Cela commence donc comme un voyage de presse lors d’une belle journée d’arrière-saison. L’occasion de découvrir un nouveau centre de tri, celui livré en 2020 par l’agence PNG pour la communauté de communes Massif du Vercors, en Isère. Un voyage pour lequel il faut se lever tôt et rentrer tard. Mais le centre de tri, malgré les odeurs, est un sujet pertinent pour qui s’intéresse à l’écologie. Se souvenir à ce sujet que nos déchets, ce sont en France 300 kilos par an et par habitant. J’ai déjà écrit à propos du centre de valorisation conçu par ARTEO* à Saint-Thibault-des-vignes (Seine-et-Marne), c’était donc l’occasion de revenir sur le sujet.
L’occasion également de rencontrer les trois lascars de PNG (Antoine (Pedro) Petit, Nicolas Debicki, Grichka Martinetti) dont j’avais déjà remarqué le travail. Un café et c’était parti.
L’ouvrage est situé à Villard-de-Lans, dans le Parc Naturel Régional du Vercors. Il s’agit d’un équipement destiné à gérer durablement et convenablement ressources et déchets du plateau (la population double deux fois par an durant les saisons d’hiver et d’été). Les enjeux du programme étaient de deux ordres.
Le premier, pour la CC Massif du Vercors, est lié à la circulation des camions qui devaient redescendre dans la vallée les déchets du plateau qui ne compte que trois accès, des routes sinueuses de montagne. L’idée était donc de créer un centre de tri intermédiaire en altitude permettant de récolter les ordures et de les conditionner avant la descente, optimisant le processus de tri, de transfert et réduisant ainsi drastiquement le nombre de camions vers Grenoble.
Le second enjeu était, pour PNG, le vœu de la maîtrise d’ouvrage d’un bâtiment en bois, si possible d’essences locales. D’où l’idée de l’agence, plutôt que de faire monter de la vallée du bois transformé, de chercher directement sur le plateau une entreprise avec laquelle réaliser l’équipement en bois du coin.
Pas une mince affaire en vérité. Une seule entreprise a su répondre à l’appel d’offres, le dernier scieur du plateau. Sur un socle en béton – seul matériau capable de résister aux acides et infiltrations produits par les déchets – la charpente, les ossatures de façade, le bardage, les menuiseries extérieures et intérieures, les cloisonnements, les parements intérieurs sont tous entièrement réalisés en bois certifié local – dans un rayon de 15 km – et fabriqués puis mis en œuvre par l’entreprise de John Sauvajon, scieur donc, et charpentier et menuisier. Ce dernier a l’habitude de travailler avec les architectes, pour lesquels il construit des maisons en bois, des résidences secondaires le plus souvent pour des habitants de Grenoble ou de Lyon.
Comprendre de suite que le contexte des marchés publics s’est révélé compliqué pour tout le monde, évidemment. Pas si simple en effet de construire en circuit-court quand la majorité des constructions bois édifiées désormais sur le plateau le sont avec du bois à l’origine incertaine remonté de la vallée. Comme l’indique Gérard Sauvajon, forestier de son état – également le dernier dans son genre – « ce serait dommage de ne pas fabriquer en bois alors que nous sommes au milieu de la forêt ». Lui dit « jardiner » la forêt et fait sécher son bois naturellement, à l’ombre, pendant un an.
Il a fallu les architectes de PNG pour prendre note du savoir-faire inégalé du père et du fils. La scierie ne disposant que de deux bancs de coupe de 8 et 12 m, les architectes ont dessiné tout le projet à partir de ces dimensions. Le résultat est remarquable et spectaculaire. Une réussite ! Mais ce fut plus complexe que d’aller faire ses courses à Leroy Merlin.
Un modèle vertueux ? Ce serait trop beau. Ce n’est en effet pas de cela dont les politiques de tout bord nous bassinent. Prenez par exemple le Village olympique qui devait être « tout en bois », certifié français en plus. Quelle blague ! Aujourd’hui chacun, sauf le grand public, sait que ces immeubles seront à noyaux et planchers béton et affublés de façades en bois pour faire joli. Et ces bâtiments-là se reproduisent partout comme un virus.
Exploit de la communication ? C’est pire. Aujourd’hui, le cahier des charges de tout bâtiment à Paris impose le bois et les matériaux biosourcés, sans compter, parmi les critères pour candidater, les références bois désormais obligatoires. Avec pour conséquence inattendue que des agences parisiennes qui font avec passion depuis 20 ans du logement à Paris, qui connaissent bien leur métier et les contraintes typiquement parisiennes, se voient contraintes de courir le concours en province, d’argumenter en faveur du bois avec l’espoir de se créer de nouvelles références qui leur permettront de revenir à Paris travailler chez eux.
Absurde ? De fait, sous la pression des ministères, des maîtres d’ouvrage publics se voient à leur tour contraints de devenir les VRP du bois. Et, comme pour le village Olympique, les bâtiments 100% bois demandés aux concours se multiplient. Jusqu’à évidemment que les études démontrent que le même ouvrage est moins cher en béton, va alors pour la façade légère et l’affichage bois. Et voilà comment, par la magie du verbe, des bâtiments mixtes béton-bois deviennent des ‘bâtiments bois’ pour lesquels applaudissent le grand public et les écolos certifiés.
S’il n’y avait que ça. Tandis que peu d’entre eux savent faire la distinction entre une forêt et une plantation, les Ecolos (pour simplifier) imposent de construire en bois mais ils ne veulent pas non plus couper d’arbres et exploiter la forêt. Faudrait savoir… Une forêt, on en trouve dans les Alpes et les Pyrénées, celle des Landes est une plantation, peu différente de ces ‘forêts’ de palmiers en Indonésie nécessaires à la production d’énergie verte.
Et si la forêt doit être exploitée, par qui ? Une abatteuse capable d’abattre, élaguer puis couper des grumes en un tour de main est un investissement lourd et cette machine ne pourra pas faire dans le détail. C’est une industrie. Alors si on veut continuer à « jardiner » la forêt, comme disent les forestiers, il faut dès à présent cesser de construire massivement en bois dans les métropoles et les quartiers bobos. Il en va de la survie des artisans locaux et de leur savoir-faire et de la qualité des forêts. Mais leur devenir est-il écologique ? D’autant que le bois est censé par ailleurs devenir une source d’énergie renouvelable. Faut-il remplacer nos forêts par des plantations pour atteindre cet objectif ?
L’industrie quant à elle, à supposer même que la ressource soit disponible** est en tout état de cause incapable de répondre à la demande pressante des pouvoirs publics. Ainsi faut-il privilégier les circuits-courts et les essences locales mais comme l’industrie ne sait pas les transformer, les billes de bois tagués Chêne Français partent en Chine et reviennent transformées après avoir fait presque deux fois le tour de la planète. Mais bon, le chêne est français. « La France exporte beaucoup de bois brut et importe de plus en plus de produits transformés », explique la Cour des comptes (avril 2020). Une économie de pays du tiers-monde !
Autre exemple de faux-ami écolo : un mur à ossature bois est perméable, il faut donc le recouvrir d’un matériau synthétique de type Tyvek, lequel est fabriqué à partir de fibres de polyéthylène par les industriels de la chimie dont le bilan carbone est évidemment formidable.
Quant à la captation carbone mise à toutes les sauces par les Ecolos parisiens et de province, quelle farce ! Comme si trois arbres devant l’Hôtel de ville de Paris – excusez-moi, une forêt urbaine – allaient faire la moindre différence à l’échelle d’un pays recouvert de forêts à 30%. S’ils veulent s’occuper de captation carbone, ceux-là feraient bien de se pencher sur les forêts françaises qui souffrent du réchauffement climatique et des épisodes de sécheresse répétés de plus en plus souvent. En montagne, les feuillus montent en altitude tandis que les forêts de pins et d’épicéa se meurent quand elles se retrouvent trop bas dans la pente. Voilà un vrai sujet – que faire du bois, lequel, quand et comment ? – dont on aimerait voir le début d’une politique cohérente. Alors le premier qui vous parle encore de captation carbone avec trois pins galeux à Paris est un imbécile ou un cynique qui se fiche de vous ou un écolo à la petite semaine.
L’argument est pourtant répété jusqu’à plus soif, y compris par des gens apparemment sains d’esprit – enseignants, membres d’associations, jeunes loups politiques et geeks en mal d’innovation. Rappeler à ceux-là qu’un mètre cube de CLT capte 460 kilogrammes de carbone pour Toute La Durée De Vie Du Bâtiment… ! Une performance ! Pour information, un seul trajet Paris-Marseille en voiture essence représente déjà 150 kilogrammes de carbone. Et l’origine de la colle du CLT est-elle certifiée ? C’est dire si la planète est économisée !
Il est également question de certifier la provenance, française évidemment, du bois mais les grosses plates-formes de vente et distribution, comment savent-elles exactement d’où vient le bois puisque de toute façon l’industrie est déjà incapable de répondre à la demande ?
Pourtant le gouvernement a lancé dès 2001 son premier accord-cadre national Bois Construction Environnement. Ce n’est donc pas comme si l’industrie n’avait pas eu le temps de s’organiser. A ce titre, le rapport de la Cour des comptes précité se montre particulièrement cruel : « La filière est, depuis au moins deux décennies, en crise structurelle, entretenue par un sous-investissement chronique et une compétitivité insuffisante. Cette crise révèle un manque d’intégration entre l’amont et l’aval, entre l’offre et la demande de bois », explique la Cour. En France on a du bois mais pas d’idées en somme.
Et la Cour de préciser : « un tiers seulement de la forêt privée (74 % de la forêt) applique des engagements de gestion durable ; les pratiques de vente du bois ne permettent pas aux industriels de sécuriser suffisamment leurs approvisionnements ; les métiers de l’exploitation forestière et de la première transformation du bois manquent d’attractivité ». C’est dire l’efficacité des politiques menées pour la planète depuis 20 ans… Les Ecolos pour la revalorisation des salaires des artisans bûcherons ? Sauf s’ils coupent des arbres ?
D’ailleurs ce n’est pas un hasard si les entreprises du bois prospèrent (encore) dans l’Est de la France, là où la tradition constructive ne s’est jamais délitée. Mais, en dehors de ces lieux où l’architecture est vernaculaire et la ressource abondante, la construction bois s’impose-t-elle vraiment ? Si c’est pour importer du bois du monde entier, il convient peut-être aux ravis de la crèche de se poser des questions.
Hélas, il est probable que le gouvernement, en état de panique, et une ligue de nouveaux maires verts vont continuer, contre toute évidence et à l’encontre même des intérêts du pays, à promouvoir le bois comme une panacée au réchauffement climatique et la forêt comme un lieu de loisirs sanctifié. Va donc pour les forêts urbaines …
Soyons clair, le bois est un matériau parfaitement exploitable pour les architectes mais un matériau parmi d’autres. De fait, le discours des architectes à ce sujet n’est en général pas idiot. Excepté qu’en toute logique, il devrait être plus facile de construire en bois dans le Vercors, au milieu de la forêt, que Place des Victoires à Paris. En France, c’est l’exploit inverse qui est mis en exergue. Et quand les hommes et femmes politiques font du bois l’alpha et l’oméga de leurs politique écologique dans un discours formaté et abêtissant, c’est le moment de vraiment s’inquiéter.
Christophe Leray
* D’un produit vil, ARTEO fait un usage noble https://chroniques-architecture.com/dun-produit-vil-arteo-fait-bon-usage/
** Voir la chronique Pour le bilan carbone, la baguette magique ne sera pas en bois