La finalité d’un projet d’embellissement urbain est de mettre la ville en valeur, de la présenter sous son plus beau jour. Alors pourquoi, pour les Jeux Olympiques, devons-nous rendre la ville de Paris illisible ?
Ce qui a l’apparence d’une bonne idée se révèle parfois être une grave erreur, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir d’une grande ville telle que Paris. La « haine de la ville » se cacherait-elle sous de bonnes intentions, avec de mauvaises idées ? Quelles leçons va-t-on tirer de ces erreurs quand l’enjeu urbain est aussi important ?
Cent ans après les jeux olympiques de 1924, Paris accueille à nouveau ce magnifique événement et, pour l’occasion, « tout a été mis en œuvre pour donner la plus belle image de la capitale ». La précédente manifestation sportive nous avait enrichis de la piscine Georges Vallerey dans le XXe arrondissement, le stade Georges du Manoir à Colombes, le complexe Roland-Garros et bien d’autres améliorations. Il ne semble pas que le chemin actuel « des embellissements » soit pris en compte. L’essentiel des ressentis semble se porter sur les encombrements qui rendent la ville impraticable au quotidien et le confinement organisé, d’un nouveau type. Le sentiment largement partagé est celui du mépris « de l’urbanité », des gens qui au quotidien vivent, travaillent et aiment encore leur ville !
Ce qui se joue en réalité est l’avenir de la ville
Qu’est ce qui fait de Paris la plus belle ville du monde ?
Ce qui était le propre de nos villes, leurs richesses, leurs diversités va disparaître, on est en train de tout banaliser, uniformiser, relativiser, rendre ordinaire.
Paris se distinguait à la fois par son unité et sa diversité, sa densité, ses avenues, ses monuments, ses petites places, ses terrasses, ses arbres d’alignement, ses fontaines… La liste peut continuer indéfiniment. C’est une alchimie complexe. Paris, ce sont mille lieux de vie, des changements d’échelles, des monuments et des surprises à chaque coin de rue. La ville vit, elle s’embellit, elle peut aussi s’enlaidir mais le débat est vite rendu impossible dès lors qu’il s’agit de parler « beauté ».
Une chose est sûre, la ville n’est pas un terrain de jeux
Sauf si on la considère comme le dernier avatar de Disney, auquel cas elle devient un ersatz de ville. C’est peut-être le chemin qui a été pris actuellement, sans que le projet ait été clairement énoncé, dans ce cas la situation est encore plus grave !
La mauvaise idée est de dénaturer notre patrimoine, de rendre Paris invivable, en détruisant l’essentiel de ce qui fait sa grandeur.
Le Paris des J.O. est encombré de tribunes monumentales, de bâtiments éphémères, plus ordinaires les uns que les autres : la banalité fait rage…
Nous attendions une surprise, nous l’avons !
La banalisation est surprenante
Parallèlement au chantier des J.O, les cours d’école ressemblent désormais aux aménagements proposés dans l’espace de la ville, mêmes plantations, mêmes matériaux. La différence entre l’intérieur et l’extérieur a disparu, il n’y a plus cette démarcation qui sanctuarisait l’espace scolaire de l’espace public. Les cours d’école sont ouvertes aux associations, les gymnases sont convertis en salles de formation, dans chaque lieu on multiplie les usages : c’est la « chronotopie » ! Ce nouveau concept prend en compte les temporalités d’usage dans l’aménagement de la ville, il veut rendre la ville plus efficace mais va en même temps participer à sa disparition en rendant la ville neutre et uniforme, en gommant les différences.
Paris accompli, Paris magnifique, Paris écologique… Paris malmené
Proposer la candidature de Paris était une bonne idée, celle de faire rayonner l’image de la France. Les grands événements parisiens, comme les expositions universelles, ont toujours laissé des traces : la tour Eiffel, le grand Palais, le palais de Tokyo, le Trocadéro et son esplanade, le musée de la porte Dorée et bien d’autres encore.
Aujourd’hui, pas d’innovation, pas d’audace mais la peur de laisser une trace, la peur d’exprimer une certaine fierté. Cent ans après, Paris 2024 donne un avant-goût de son ambition « Des jeux populaires plus ouverts que jamais ». Tout est dit : Les visiteurs auront juste à contempler le quotidien des Parisiens pour ne pas avoir à les envier.
Le plus choquant aujourd’hui est ce qui se passe sous nos yeux et qui ne semble heurter personne ! La dégradation de l’image de Paris est en jeu.
Cette ville magnifique est chaque jour un peu plus dénaturée, mutilée, détériorée et à l’évidence ceci n’a pas d’importance.
Les Jeux olympiques, comme les grandes expositions universelles, sont généralement l’occasion de faire découvrir la culture, la beauté d’un lieu mais pas pour les faire disparaître. Ce dont il s’agit aujourd’hui ce n’est pas de mettre en valeur notre Capitale mais bien d’anéantir sa véritable grandeur.
Quel paysage va être proposé aux visiteurs ?
Depuis les Champs-Élysées, la place de la Concorde, l’esplanade des Invalides, le Champs de Mars, l’esplanade du Trocadéro, les quais, les ponts… rien n’a été épargné. Au lieu de découvrir nos merveilles, les touristes vont tomber sur des lieux encombrés de tribunes démontables. Il en résultera obligatoirement une image dégradée, la ville est en ruines !
Ouf ! Ils ont oublié, ou épargné, la place Fürstenberg, la place du marché Sainte-Catherine.
Ce que l’on aurait pu faire pour que tout « le territoire » en profite !
C’était accepter une idée simple, faire du périphérique un anneau olympique ! Un anneau du sport, de l’écologie, un lien, une magnifique promenade, le boulevard du XXIe siècle. Le moteur d’une région Île-de-France qui aurait enfin compris qu’il n’y a pas Paris d’un côté et le reste de l’autre !
Que le centre de Paris, centre historique, soit définitivement dédié aux piétons et aux cyclistes paraît inéluctable et dans le sens de l’histoire. Pour autant, il semble absurde d’en faire un terrain de jeux. Il faut admettre que « le centre des villes historiques ralentisse », il est absurde d’en faire le lieu du « plus vite, plus haut, plus fort ». Il faut lui laisser le calme auquel il aspire et comprendre que la devise des jeux s’applique à l’extérieur, je veux dire au périphérique.
La bonne idée eut été de rendre les rives du périphérique solidaires entre Paris intra-muros et les communes limitrophes, c’était l’occasion d’utiliser et de moderniser les équipements situés en bordure du périphérique et de ne concevoir que les équipements indispensables.
L’occasion était unique de créer des passerelles, des passages directs entre les deux rives du périphérique et d’utiliser tous les équipements existants sur les bords du périphérique : le Stade de France, le nouveau centre nautique, l’Aréna, le Zénith de la Villette, Roland-Garos, Jean Bouin, Charlety, le centre sportif Georges Carpentier, le stade Pelé, les terrains de sport Cardinal Lavigerie, le centre sportif Alain Mimoun, le Maccabi, Paris Métropole, le centre sportif Maryse Hilsz… Des dizaines de sites sportifs, à taille humaine, qui ont juste besoin d’être rafraîchis, agrandis, modernisés. Du fait de la rénovation de l’ensemble de ces équipements, des manifestations auraient pu avoir lieu sur les abords du périphérique, au lieu de dépenser plusieurs centaines de millions en constructions éphémères, rendant nos monuments complètement invisibles.
Le périphérique aurait gardé sa fonction de liaison (la réduction de la vitesse sur ce ring va aussi dans le sens de l’histoire). De plus, en multipliant les moyens de transport collectif, en densifiant ses abords, en réunissant ses rives, le projet aurait limité les embouteillages provoqués par la manifestation. Il eut suffi de proposer un service de navettes circulant en permanence sur le périphérique, doublant les tramways et reliant tous les sites entre eux. C’était aussi l’occasion de concevoir les cinquante mille places de stationnement indispensable pour compléter la politique de la ville. Mais surtout les jeux du siècle auraient laissé une trace de son temps, un autre paysage pour la ville.
Il est parfois si difficile d’avoir une idée qu’on en oublie qu’elle peut être mauvaise !
« L’ancien monde » était celui de la concentration et de tout positionner au centre, le nouveau monde s’organise différemment, il fait de la périphérie l’expression d’une dilatation de l’espace, liée notamment aux moyens de transport collectif.
Si créer ce moment de partage international, en France, était une bonne idée, c’était aussi le moment de réconcilier les Parisiens et la périphérie. La question aujourd’hui est : « Que restera-t-il de cette manifestation ? » hormis les inconvénients supportés par les Parisiens, la périphérie et les visiteurs… qui ne verront pas de marque positive, une magnifique empreinte de cet événement.
Paris et sa périphérie sont mal aimées, malmenées
La ville fait l’objet d’une défiance, parfois même d’une haine difficile à comprendre. Alors tout est focalisé sur la végétalisation, un cache-misère qui aura sûrement un effet salvateur pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire et n’ont pas une idée de ce que pourrait être une ville aujourd’hui. Il ne faut mépriser ni l’histoire ni la culture qui sont des assurances pour la conduite d’un projet.
Fuir la ville a été un leitmotiv, une réponse importante après le confinement mais beaucoup y reviennent.
Sans la ville, la démocratie est difficile à concevoir.
Une grande parade sur la Seine, pourquoi pas !
Le « bien commun » est un bien précieux, il a été transformé en équipements publics et privés, sans liens entre eux. L’espace de la ville nous réunit et permet à la démocratie de partager un support, de créer un lien social, une communauté. La ville doit redevenir un objet de connaissance et d’innovation, encore faut-il en avoir une représentation préalable et claire.
J’aime Paris et les villes mais j’aime aussi le sport !
Alain Sarfati
Architecte & Urbaniste
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