Le principe de précaution et, surtout, la tentation toujours plus grande des élus et maîtres d’ouvrage de se protéger juridiquement ont des conséquences parfois ubuesques sur la construction en général et l’architecture en particulier. Exemple à l’Ile de Nantes où un fort coup de vent, en 2010, a fait perdre la tête au législateur. Un séisme pour la construction et les finances publiques ?
Chacun se souvient peut-être de la tempête Xynthia ayant frappé la côte atlantique en février 2010 qui a fait 47 morts en France, dont 29 à La Faute-sur-Mer, en Vendée. Parmi ces derniers, nombre d’entre eux sont imputables à des erreurs humaines d’urbanisation et de lotissement qui n’ont fait que multiplier les effets dévastateurs d’une rare conjonction d’évènements, une forte tempête atypique associée à la haute mer.
Devant l’ampleur de la catastrophe, la question des permis de construire en zones inondables est immédiatement posée et cinq semaines plus tard, avec une célérité rare, le gouvernement a redessiné la carte des «zones d’extrême danger, où il n’est pas acceptable de laisser les habitants se réinstaller». Ce sont les «zones noires», où 1.400 maisons, dont 674 à La Faute-sur-Mer, seront rasées.
Principe de précaution oblige, parce qu’il fut question également d’un tremblement de terre sous-marin concomitant – encore que les avis restent partagés à cet égard – le gouvernement ne manque pas un an plus tard, en mai 2011 – quelle célérité à nouveau ! -, de redessiner la carte du risque sismique, faisant ainsi passer la Vendée et la Loire-Atlantique, dont Nantes, en zone sismique 3, c’est-à-dire à risque modéré. Ouf, applaudissements.
Sauf qu’entre une zone sismique 2 à risque faible et une zone 3, risque modéré, ce sont tout un tas de règles et de normes qui changent. Quel sens en effet donner à ‘risque modéré’ ? Un détail ?
En tout cas, à peine trois ans plus tard, de quoi énerver Pierre Berthomé, conseiller général de Talmont-Saint-Hilaire en Vendée, cité par Ouest-France*. «Ces normes entraînent un surcoût s’élevant en moyenne de 8 % à 15 % pour la construction d’une maison. En réunissant l’ensemble des normes réglementaires, le coût de la construction individuelle a été alourdi de 20 à 25 %».
D’ailleurs le conseil général adoptait au même moment à l’unanimité une résolution demandant le retour du classement de la Vendée en zone de sismicité faible. «L’actuel zonage est totalement inadapté au risque sismique dans notre département. Il pénalise l’activité des professionnels du bâtiment. Or, le bureau central sismologique français n’a pas relevé d’activité sismique plus importante en Vendée qu’en région Bretagne, classée pourtant en zone de sismicité faible» y lisait-on.* En clair, selon les conseillers généraux qui vivent sur place, le risque est donc très modéré.
Quelles sont les conséquences de ce changement de règle non sur une maison individuelle mais sur le vaste projet d’aménagement de l’Ile de Nantes ?
En respectant bien entendu tous les critères de l’époque, Franklin Azzi a gagné en 2010 le concours de restauration et réhabilitation des anciennes halles Alsthom, à la pointe ouest de l’île de Nantes, dont le programme prévoit entre autres la construction neuve de la nouvelle école des beaux-arts**.
Puis vint Xynthia et le changement quasi immédiat en zone parasismique 3.
«A Nantes, ce sont les vents qui sont l’élément déterminant des efforts structurels d’un bâtiment mais Xynthia a engendré une peur du tremblement de terre», relève Virginie Barré, chef de projet construction à la SAMOA, aménageur de l’Ile de Nantes.
Dans un tel projet, qui s’étend sur le temps long, l’adaptation à une nouvelle réglementation ne pose pas de problèmes majeurs pour les bâtiments neufs. Sinon qu’en France, peu au fait de l’usage de matériaux fibrés, souples comme le bois et bambou, utilisés dans les pays habitués à subir de fréquents tremblements de terre, la parade est de «muscler» les bâtiments, c’est-à-dire en l’occurrence d’injecter plus de béton et plus de ferraillage, ce qui induit un surcoût notable et de nouvelles contraintes de conception. Ne pas se méprendre, les règles parasismiques influencent de fait la technique constructive. A part ça, au fil du temps, la construction neuve s’adapte à la loi.
C’est pour le bâtiment ancien que cela se complique, et plus encore quand des bâtiments neufs sont insérés sous des structures existantes, ce qui est l’essence même du projet de réhabilitation des halles Alsthom de Nantes. Or, pour le bâti ancien qui se trouve soudain en zone sismique modérée, il est la plupart du temps difficile de justifier tous les éléments de l’ouvrage car la connaissance de ces bâtiments, au niveau des fondations par exemple, est souvent parcellaire. Il faut alors engager de longues et coûteuses études. La règlementation sismique indique cependant qu’un bâtiment existant n’a pas besoin de justification s’il ne reçoit aucune surcharge.
Exemples concrets. Le dallage des halles en premier lieu. Le projet prévoyait de les garder pour conserver les traces du passé, dont les rails, et pour préserver l’homogénéité du patrimoine. «Personne ne pouvait justifier ces dallages selon une interprétation tatillonne du risque modéré», déplore Virginie Barré. Il a donc fallu les démolir, dépolluer le sous-sol (ce qui n’était pas nécessaire tant que les dalles restaient intactes) et les reconstituer. Adios les traces du passé et bonjour les études et travaux supplémentaires et leurs coûts afférents.
Le diable se cache dans les détails. Le projet de Franklin Azzi a recours au polycarbonate, un matériau transparent, léger et bon marché. Sauf que ce matériau n’a pas d’avis technique antisismique, désormais devenu obligatoire. C’est ballot. Un avis technique, c’est 250 000 € et huit mois d’études. Et, au moment de le poser, «il a fallu mettre en œuvre des systèmes d’accroche qui coûtent une fortune», soupire Virginie Barré. A 80 mètres de là, l’école d’architecture pré-Xynthia de Lacaton & Vassal semble compatir ; les panneaux en polycarbonate de sa façade, conçus pour des vents violents, ne sont pas près de tomber.
Pour la dernière halle qu’il reste à aménager, l’histoire vire à la farce. Une nouvelle toiture, en polycarbonate, légère donc, est prévue. La voilà qui, le risque étant modéré, devient réglementairement une surcharge au bâtiment existant, dont il ne reste que la structure. La même, au temps de l’industrie florissante, supportait, outre la toiture d’origine, des ponts roulants qui eux-mêmes portaient des moteurs et pièces de machinerie pouvant peser jusqu’à 15 tonnes. «Pourtant on nous demande de justifier la portance de ces structures», se désole la chef de projet.
Comment faire sauf à supposer que, pour un tel poids, des fondations spécifiques avaient sans doute été conçues à l’époque de la construction de la halle. Clause Molière ? Au final, la maîtrise d’œuvre doit repasser en sous-œuvre les structures existantes. «Il nous faut doubler la structure avec des poteaux neufs mais faire croire que c’est la structure originale qui porte la toiture et, avec l‘agent public, on finit par se payer une réhabilitation de poteaux qui ne sert à rien», fulmine Virginie Barré.
Le pire peut-être est que cette structure, qui portait le pont roulant plus huit à quinze tonnes de charges, va devoir être renforcée et liaisonnée car elle ne supportera plus le poids qui la solidifiait et assurait sa stabilité. Le pastiche, conséquence la plus désastreuse ?
Chacune de ces opérations non prévues implique des études, des délais, du temps humain, des dérapages de planning. Redessiner une toiture, ce n’est pas exactement un acte anodin… Sans parler même de la suspicion induite «quant à ces projets publics qui génèrent toujours un surcoût etc.»…
«Intellectuellement, c’est frustrant», insiste la chef de projet. En effet, quand le bon sens n’a plus sa place à ce point il y a de quoi s’inquiéter, non des dérèglements de la météo mais de la capacité des élus à ouvrir le parapluie toujours plus grand. Le principe de précaution conduit à une génération de décideurs irresponsables. Quand elle les rencontre – cela fait partie de son métier -, Virginie Barré doit donc leur expliquer «la vraie vie» et pourquoi le coût du projet a augmenté de 3 à 4 m€, soit 10% au minimum du budget original. Elle n’est pas certaine d’être entendue. Comme ne le furent pas les conseillers généraux de la Vendée voisine.
Comble de la fatalité, durant les travaux, un incendie sans gravité et sans victime, a eu lieu dans la cantine numérique du projet. Ce qui a conduit les pompiers à soudain changer d’épaule leur lance à incendie et faire passer le projet d’une catégorie à une autre, de risque faible à risque modéré peut-être. La nouvelle règle imposait la conception d’un PC sécurité avec un personnel qualifié présent en permanence. Ce qui allait à l’encontre d’un projet qui s’appuyait justement sur un fonctionnement simple, souple et peu onéreux.
Pour préserver l’esprit du programme, après de nouvelles concertations avec les pompiers, des mesures compensatoires ont été adoptées et des espaces intérieurs sont devenus des espaces extérieurs, en changeant les usages. Et il a fallu changer également le dessin de cette toiture. Pour un PC modificatif il faut quinze parapheurs ! Cela a un coût, sans compter le coût des études et matériaux supplémentaires ainsi que celui des travaux.
«Au-delà de ce que dit la loi, déjà très contraignante, c’est sa surinterprétation qui est pénible», indique Virginie Barré. «A la cantine, il n’y a pas eu de mort ni de blessés mais tout le monde réagit dans un contexte exagéré par la peur», conclut-elle. Et la peur, mauvaise conseillère, fait flamber les factures…
Et dire, que durant la tempête Xynthia, l’Ile de Nantes, où la nappe phréatique n’est pourtant qu’à deux mètres sous le sol, n’avait même pas été inondée.
La tempête a entraîné la mort de 29 personnes dans la commune de la Faute-sur-Mer, essentiellement des personnes âgées et de jeunes enfants piégés dans leurs maisons loties en zone inondable par la brusque montée des eaux après la rupture d’une digue. Le 4 avril 2016, la cour d’appel de Poitiers (Vienne) a condamné le maire de la commune de La Faute-sur-Mer de 1989 à 2014 à deux ans de prison avec sursis pour «homicides involontaires» et «mise en danger de la vie d’autrui». Tous les autres acteurs de cette tragédie ont été relaxés.
Il a donc fallu la négligence d’un maire de la côte ayant succombé à «l’appât du gain», pour citer l’avocat des victimes, pour que, quelques années plus tard, soudain tous les coûts de la construction fassent un bond de 10 à 15% sans que le risque ne soit plus avéré hier qu’aujourd’hui. A quoi ça tient l’architecture…
Pour info, Paris est encore en zone sismique 1, risque très faible, mais il suffit sans doute d’un évènement météo un peu étrange et cela pourrait changer. Voilà les architectes, les entreprises et maîtres d’ouvrage prévenus.
Christophe Leray
*Ce zonage sismique qui plombe le bâtiment In Ouest-France, publié le 20 septembre 2014.
**Voir à ce sujet notre article : A Nantes, la culture à l’assaut du territoire