Les idées remplacées par des dogmes et l’intelligence par la doxa, à l’heure des défis du dérèglement climatiques, l’oisiveté intellectuelle menace autant que le réchauffement. Les architectes sont les premiers visés.
Il faut cesser de faire de nouvelles routes, de concevoir de nouveaux quartiers, d’artificialiser les sols. Il faut cesser de canaliser l’eau, de la drainer, de la retenir. Il faut cesser de désherber, de tondre, de labourer les champs, d’entretenir les espaces verts, de débroussailler les forêts. Il faut cesser de couper des arbres, de les tailler. Il faut arrêter de construire de nouveaux bâtiments, d’en concevoir de nouveaux, il faut adapter nos usages à ceux qui existent, il est vain de réfléchir aux avions soutenables, il est vain d’imaginer maintenir d’automobile individuelle, …
Autant d’injonctions écologiques qui interrogent sur leur finalité… Est-ce réellement de l’écologie ? Sommes-nous les seuls, en France, à pousser la réflexion aussi loin dans l’abandon de tout ? Cela relève-t-il de l’écologie ou ne serait-ce pas plutôt une apologie de la fainéantise, de la paresse aussi bien physique qu’intellectuelle ? N’est-il pas légitime de se poser la question quand les leaders politiques du mouvement eux-mêmes invoquent ce « droit à la paresse ».
Au fond, il est assez curieux qu’au nom de la préservation de la nature, il soit demandé à l’homme de ne pas utiliser ce que la nature lui a donné… son cerveau, autrement dit sa capacité de réflexion !
N’y a-t-il pas dans cette forme de pensée une sorte d’abandon, de renoncement face aux défis à venir ? Que serait Nîmes si les Romains n’avaient pas canalisé, détourné l’eau et construit le pont du Gard ? S’ils avaient appliqué les dogmes actuels, au nom de la préservation de la biodiversité, du non-impact de l’homme sur la nature, ils seraient allés s’installer ailleurs… mais s’installer ailleurs c’est aussi perturber d’autres écosystèmes, ou plutôt influer dessus, dialoguer et transiger.
Notre vie tout entière n’est que dialogue, influence, négociation avec la nature ; même dans nos mégalopoles les plus artificialisées la nature est là, bien présente.
Aujourd’hui, les agriculteurs qui construisent des méga bassines se font insulter. Certes ces bassines ne sont pas une solution mais elles sont une réponse d’entrepreneur à un problème soumit par la nature. Si les politiques avaient effectué leur travail, celui d’anticiper et de planifier comme le faisaient les Romains, mais aussi à la tête du pays leurs prédécesseurs pas si lointains, nous aurions grâce à l’intelligence collective déjà trouvé une solution bien plus efficace et économe.
A sa décharge, pour le politique, quelle que soit sa vision d’avenir, il se sait exposé à la vindicte populaire tant aujourd’hui chacun pense détenir la vérité absolue et l’étale sur les réseaux sociaux tandis que le seul fait de devoir aménager le territoire est devenu inenvisageable pour une partie de la population. Il est donc plus confortable et moins risqué pour le politique de ne rien faire et d’attendre que les acteurs privés, au pied du mur, prennent les risques en apportant des réponses qui ne peuvent pas être des solutions de long terme.
Pour autant nos mégalopoles, nos villes, nos constructions, toute cette « artificialisation » des espaces n’a pu se faire que parce que la nature nous en a offert la capacité ; la transformation des matières à notre disposition n’est finalement que du jus de cerveau, rien de plus.
Qu’est ce qui a changé ces dernières années ? Notre cerveau ayant réussi à développer des outils très performants, ceux-ci nous ont permis de mieux appréhender notre impact sur la planète, d’en prendre conscience, très bien ! Cela doit-il pour autant nous tétaniser face à toute action ?
Que chacun soit capable de comprendre que l’usage du béton est extrêmement consommateur d’énergie est très bien. Que chacun ait conscience qu’il faille en réserver l’usage lorsque cela est nécessaire, parfait. Que l’on veuille le remplacer par des matériaux moins énergivores, comme la terre crue par exemple, génial ! En revanche, s’il s’agit dans l’usage de singer les méthodes développées pour la construction en béton pour les appliquer à un matériau différent, se pose alors la question de l’intelligence humaine.
En effet les architectes n’ont pas utilisé le béton de la même façon que pour la construction en pierre qui l’a précédé. Le nouveau matériau a fait l’objet de recherche, de mises au point et les bétons actuels n’ont plus rien à voir avec ceux d’il y a un siècle. Si nous avions simplement singé la construction en pierre nous aurions continué à faire des murs de 50 cm d’épaisseur, d’assembler des blocs avec des joints ou à sec comme le faisaient les maçons avec les pierres.
La recherche a permis de mettre au point de nouvelles méthodes de mise en œuvre, l’invention de la banche, du béton armé, précontraint, fibré à ultra-haute performance, chacune de ces méthodes poussant à une optimisation de l’usage de la matière soit pour repousser des limites structurelles soit pour limiter le volume mis en œuvre. Aujourd’hui apparaissent des bétons imprimés limitant encore plus la quantité de matière mise en œuvre… et son impact environnemental.
Le travail de recherche et développement est donc primordial, loin des idéaux actuels qui incitent à un retour à des méthodes constructives ancestrales. Revenir à l’usage de la terre crue dans la construction, très bien, mais soumettons-le à nos capacités de recherches actuelles, ne nous contentons pas d’en faire des murs banchés comme avec le matériau liquide qu’est le béton ou du remplissage de structure comme le faisaient nos ancêtres faute de moyens de recherche suffisants. Trouvons les manières de faire de ce matériau une réponse pertinente à nos besoins en lui adjoignant le jus de cerveau nécessaire.
Il doit en être de même pour tous les nouveaux matériaux de construction, paille, chanvre, terre crue, terre sèche, bambou, … Cette profusion de nouvelles pistes de matérialité doit faire l’objet d’une explosion de recherche et développement afin de continuer à conjuguer les besoins des humains avec ce que leur permettent les ressources de la nature. Certaines de ces recherches seront sûrement des impasses, d’autre bien plus prometteuses que ce qu’elles pouvaient laisser présager.*
Sur le plan architectural, l’arrivée du béton armé s’est accompagnée d’un travail de fond sur la forme. Les théorisations de Le Corbusier notamment ont permis de comprendre que ce matériau permettait de réaliser des ouvrages que la construction « traditionnelle » préexistante ne permettait pas.
Ce travail sur les nouveaux matériaux, et sur l’image architecturale qu’ils vont permettre de produire, devrait être engagé, dans les écoles d’architecture notamment car un travail de théorisation propre aux universitaires s’impose si ces nouveaux matériaux doivent apporter de vraies réponses et de vraies évolutions.
En un mot nous devrions être dans une grande période de recherche, de stimulation, d’émulation pour réinterroger tout le savoir-faire acquis, s’appuyer dessus pour repousser les limites, tenter de nouvelles expériences, une sorte d’ébullition intellectuelle loin des injonctions courantes actuelles qui pousse à la stigmatisation de la démarche scientifique au profit d’un retour à l’empirisme.
Si aujourd’hui notre cerveau nous a permis de prendre conscience des limites planétaires, ce n’est pas pour stopper toute activité, toute évolution et basculer dans une oisiveté défaitiste mais bien pour doper notre créativité afin d’optimiser toujours plus l’usage de nos ressources.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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