Les fleuves furent longtemps la seule voie d’exploration de pays lointains et inconnus. En Asie du Sud-Est, le Mékong est la voie royale de découvertes hors des sentiers battus. La preuve par les moustiques. Chronique de Jean-Pierre Heim.
Le long du Mékong, j’ai visité six pays : la Chine, la Birmanie, le Laos, le Vietnam, la Thaïlande et le Cambodge. C’est un voyage magique dans des paysages à couper le souffle permettant de plonger dans les cultures locales de façon unique. J’ai d’ailleurs dessiné pour le ministère du tourisme du Yunnan un bateau, le premier d’une nouvelle flotte, permettant de croiser sur le fleuve Mékong et découvrir les diverses civilisations qui sont nées sur ces rives.*
Au cours de ces voyages en Asie du Sud-Est, j’ai souvent relu le livre d’André Malraux La Voie Royale paru en 1930, un roman qui reçut le premier prix Interallié.
Au nord-ouest de Phnom Penh, la capitale du Cambodge, Siem Reap est la ville la plus proche du parc archéologique d’Angkor, capitale des Khmers pendant six siècles. Le centre-ville de Siem Reap demeure colonial, organisé autour du vieux marché à côté du manoir royal. Explorateur de temples cachés, fouillant tel un archéologue dans le paysage jungle du Temple d’Angkor Vat, André Malraux a été inculpé par les autorités françaises pour avoir enlevé illégalement des bas-reliefs des Temples. Brièvement incarcéré, cela ne l’empêchera pas de devenir un auteur à succès, d’entrer dans la résistance française puis au ministère de la Culture.
Dans le livre, Malraux décrit des insectes géants. Ils sont toujours là. Mais notre peur vient de l’inconnu. A Angkor Vat, dans la jungle, les insectes deviennent bientôt familiers et nos peurs disparaissent de jour en jour. Ce qui vaut aussi pour les animaux sauvages qui ne font pas attention à nous.
D’une branche à l’autre, s’enfonçant dans l’obscurité de la jungle et de cette mousse verte qui recouvre les pierres, je vois la queue d’un serpent. Sur une pierre au soleil gelé un énorme caméléon est posé là. Il n’est pas féroce. Pendant la journée, sur les pierres chaudes, d’immenses lézards dorment au soleil entre deux orages.
Plus gênant, les moustiques qui, par centaines m’assaillent dès que je veux dessiner. Certains sont particulièrement obstinés, leurs dards parvenant à traverser ma peau. Le long du chemin qui mène à la porte du Prohm, ce temple magique, ils m’escortent d’un bout à l’autre. A la tombée de la nuit, près du camp où je suis installé – des tentes plutôt que l’hôtel – les chauves-souris passent si près que je dois les esquiver de mouvements de tête. Dans un restaurant, le meilleur de Siem Reap : un mille-pattes. Ici, les mets les plus croustillants sont ces brochettes de bambou où les insectes et les araignées géantes se dégustent en gastronomie.
Je marche dans la nuit sur le chemin de ma tente avec une torche. J’entends les chiens qui aboient dans les forêts de bambous et les bananeraies, j’entends les moustiques qui m’accompagnent. Le monde entier est vivant, pas vraiment hostile mais vivant et dynamique.
Deux énormes buffles noirs, immobiles comme une sculpture en bronze de Botero, broutent en permanence l’herbe des marais, devant un héron perché sur un rocher.
L’UNESCO a mis en place un vaste programme de sauvegarde de ce site symbolique et de ses environs. Au petit matin, la lumière éclaire la jungle, les temples et les ruines d’Angkor Vat. Un lever de soleil sur Siem Reap est un événement incroyable, peut-être parce que ce temple, contenu dans l’un des plus grands complexes religieux du monde, défie l’imagination.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art” – Mars 2022
*Voir notre article L’explorateur Jean-Pierre Heim nous prend pour le Mékong
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