Les passions déchaînées à l’annonce des résultats de ‘Réinventer Paris’ avaient bien vite occulté les projets plus modestes d’architectes peu ou pas connus. Pourtant, la Fabrique de la Danse, remporté par Secousses architectes sur le site Gambetta dans le XXe, met en avant quelques qualités de ce concours tant décrié. Entretien avec les concepteurs et les porteurs du projet.
Le projet tire son nom du programme qui y prendra place en 2019 : la Fabrique de la Danse ou la reconversion d’un parking délaissé en un équipement public écologique de 2 500m². Imaginé par des passionnés de danse, dont des ingénieurs, des commerciales, des journalistes, etc., ce lieu atypique est conçu pour répondre aux problématiques liées à l’univers de la danse, en particulier la création artistique bien sûr mais aussi une intention de démocratisation de la danse et de la transmission du patrimoine chorégraphique, ainsi que tous les espaces liés aux fonctions médicales, sociales et administratives.
La Fabrique de la Danse est le premier projet du genre dans la capitale. «Ce vaste espace aménagé sur trois plateaux offrira trois grands studios de danse, un espace dédié aux séminaires et aux formations, un espace de santé dédié aux pathologies des danseurs, des espaces de co-working, des salles de réunion destinées à des compagnies chorégraphiques ou des start-up innovantes dans le domaine du bien-être, du sport et de la culture. L’ensemble comprendra également des studios audiovisuels et de création de costumes ainsi qu’un café et une scène connectée, ouverte au public», explique Orianne Vilmer, directrice générale de la Fabrique de la Danse.
«A Paris, les grandes compagnies n’ont pas de problème pour trouver des lieux de production de leurs spectacles. Les petites associations arrivent à se débrouiller. Mais il existe peu de lieux de répétitions pour les compagnies moyennes, et pas vraiment d’endroit pour tous les intervenants de la partie médicale, le co-working pour l’aide administrative ou encore des ateliers de coutures sous forme de fablab» décrypte-elle. En résumé, La fabrique de la danse concerne tous les aspects de la création du spectacle de danse.
En 2015, l’incubateur avait besoin d’un lieu pour éclore. Les danseuses avaient des idées, des envies, un programme, de l’ambition. L’opportunité se présenta avec le concours lancé par la Ville de Paris. Par voies de connaissances, elles sont donc allées chercher quatre jeunes architectes encore inconnus. Daniel Duckert, Nicolas Genest, Antoine Ségurel et Yoann Faugeron travaillaient déjà ensemble depuis quelques années. Ce sera pour eux l’opportunité de créer Secousses architectes. «La qualité de leur projet nous a convaincus de nous lancer dans l’aventure», raconte Daniel Duckert. «Nous les avons aidées à choisir le site et à adapter le programme dans un contexte doublement contraint par la finance et par la lumière puisque c’est un parking», dit-il.
«Après avoir expliqué aux architectes notre vision du projet et ses enjeux, nous avons analysé ensemble la totalité des sites. Nous avons commencé par éliminer ceux dont les programmes imposés ne correspondaient pas à notre idée, ainsi que les sites trop grands. Nous avons choisi Gambetta parce que l’attrait social de la Danse correspondait davantage au quartier», précise Orianne Vilmer. «Nous avons été séduits par la complémentarité des programmes entre la danse et la mise en place du spectacle», ajoute l’architecte.
Ce programme pouvait trouver place dans un espace semi-enterré, la position géographique était idéale à proximité du Centre National De la Danse de Pantin, l’architecture répondait aux contraintes du projet… et l’équipe a remporté le site. «Nous avons été surpris de gagner», se souvient la danseuse. Le projet proposé était cohérent, porteur de sens et d’innovation, restait à trouver les financements pour le mettre en œuvre. Surtout pour une jeune structure associative soutenue par de jeunes architectes… «L’implication de la Ville va croissant, elle reste essentielle pour rassurer nos partenaires et pour permettre l’émergence du projet», souligne Daniel Duckert. N’empêche, en 2019, La Fabrique de la Danse devrait voir le jour à partir d’un budget à hauteur de 6 M€.
D’un point de vue architectural, les espaces originaux de l’ancien parking seront valorisés. «Le bâtiment, fermé depuis l’extérieur, nous a semblé énigmatique», confie l’architecte. Les demi-niveaux avec des rampes circulaires autour d’une trémie centrale ont permis de créer les espaces libres nécessaires pour les plateaux de danse. La façade principale sur rue, imaginée pour devenir un signal dans la ville, donnera en spectacle la mixité programmatique du bâtiment. Elle montrera les plateaux de bureaux partagés, un espace de créativité, un atelier costumes et l’un des studios de danse. Au rez-de-chaussée, le hall d’accueil sera complété d’un café et de gradins, comme un prolongement de l’espace public.
Pour les danseurs et les architectes, la plus grande des contraintes a été l’espace. «Nous cherchons à nous adapter à la boîte plutôt que de nous créer des frustrations. Ce lieu sur mesure va nous permettre d’innover réellement, cela a pour nous une valeur inestimable puisque nous pouvons choisir où nous allons vivre, travailler et exister», se félicite Orianne Vilmer.
L’équipe de maîtrise d’œuvre compte également Xavier Fabre de l’agence Fabre/Speller architectes, spécialisée dans la conception de lieux de spectacles, la jeune agence ayant eu l’intelligence de se faire accompagner. «’Réinventer Paris’ nous ouvre progressivement les portes des lieux culturels. Depuis nous avons pu concevoir un théâtre et travaillons actuellement sur un deuxième, certes d’une échelle plus petite», indique Daniel Duckert. Dommage donc que les feuilles de salades et les perspectives grandiloquentes d’architectes stars aient eu pour effet dommageable de finalement réduire le concours à un livre d’images, d’autant que nombre de ces projets ne se feront pas, car l’appel à projet, international qui plus est, aura été pour Secousses architectes un excellent tremplin.
«Concevoir et donner vie à un tel travail est difficile», souligne Orianne Vilmer. «Il faut comprendre les différentes natures de nos échanges, penser à tous nos usages, mettre en œuvre nos rêves mais en s’appuyant sur une réalité, c’est ainsi que ce bâtiment est co-construit depuis le début du projet», conclut-elle.
Inventer, chercher, innover, bref «Réinventer» ? « Finalement, la bonne idée du concours a été d’associer les porteurs de projet et les architectes bien en amont du projet», indique l’architecte.
Après avoir non sans difficultés obtenu les accords de la copropriété, le permis de construire du projet devrait être déposé dès l’été 2017.
Léa Muller