Presque six mois jour pour jour après les terribles attentats qui ont ensanglanté Paris et la France, l’association Génération Bataclan a dévoilé le 12 mai 2016 les dix projets présélectionnés pour la construction, encore hypothétique, d’un mémorial en hommage aux victimes. Découverte.
Même s’il convient de s’interroger sur la pertinence d’un tel concours si tôt après les évènements* (voir à ce sujet notre article La mémoire à l’échelle du temps), l’appel à projets* était clair : «Faire un monument, c’est marquer la gravité de ce qui s’est passé. Ceux qui sont tombés le 13 novembre incarnaient nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, notre devoir est plus que jamais de faire vivre ces valeurs». Parmi 54 propositions (reçues au 10 février dernier) le jury, composé de membres de Génération bataclan, de représentants d’associations d’aide aux victimes, de représentants des familles de victimes, de représentants des associations de riverains et commerçants du quartier et enfin de représentants des pouvoirs publics, a sélectionné dix projets d’architectes, de designers et d’artistes.
L’œuvre lauréate devrait être installée sur une placette triangulaire face au Bataclan, au croisement des boulevards Voltaire et Richard-Lenoir à Paris. A ce jour, la ville de Paris n’a cependant pas encore donné son accord à l’installation. Quant au financement, seuls 10 000€ de dons sur les 30 000 espérés par la campagne de financement participatif sont aujourd’hui récoltés. Selon l’association, qui entend allouer une enveloppe allouée de 100 000 euros au projet, «le financement devrait en partie être assuré par les collectes de dons auprès de citoyens, la vente d’oeuvres d’art aux enchères au profit de l’association ainsi que par les dons provenant de fondations ou d’entreprises».
Bref, ce n’est pas gagné mais au moins les propositions existent déjà. Dans la logique de l’oeuvre citoyenne, les internautes sont invités à voter pour leur projet préféré. L’association espère que le mémorial sera inauguré pour la première commémoration du drame, le 13 novembre 2016. Verdict dans un mois pour le lauréat.
Les dix projets sélectionnés :
Les reflets de la mémoire – Yoda architecture & Mirage
Les architectes proposent «de vivre une expérience individuelle de l’espace de mémoire. L’ensemble du site est libre et permet de créer un espace public couvert. Le monument prend la forme d’une nappe de 130 triangles ouverts sur le ciel, recouverts de miroirs. L’inclinaison de la dalle permet d’ouvrir la perspective sur le Bataclan. Chaque triangle est un hommage à une victime dont il porte le nom».
Au cœur de la mémoire – Rémi Turc – architecte
L’espace propre à l’architecture sera un bref mais insolite parcours sur une longueur de 23 m. Plutôt que de tourner autour d’une sculpture, il sera proposé aux piétons de pénétrer au cœur de l’oeuvre, de traverser une forêt de vigoureux photophores d’inspiration végétale. Le jour, métaphore des vies interrompues qui se régénèrent, les disparus renaîtront sous forme de 130 plantes métaphoriques pour les victimes, denses et filtrant la vue. L’œuvre, cherchant la modestie, ne sera pas un signal. La lumière y sera ténue et propice au recueillement.
Une bougie ouverte – Ar+Te architectes
La vie et la mémoire sont le sujet principal de ce projet qui se veut universel. La vie est représentée par la lumière et la mémoire par des lignes lumineuses accueillant les prénoms des victimes. La bougie est le symbole universel de recueillement, elle s’adresse à toutes les civilisations au travers d’un élément chaleureux qui représente l’espoir. La flamme est un élément fédérateur, une flamme éternelle qui prolonge la vie après la mort.
Le mur de la liberté – P. Valent
Ce mémorial est un hommage aux victimes et vise également à rendre compte de l’émotion et de l’élan citoyen de solidarité qui ont suivi les attaques. Il consiste à mettre en forme les témoignages et objets collectés sur les différents sites afin de les rendre visibles et transmissibles aux générations futures. Il s’agit là de figer la force évocatrice et émotionnelle des témoignages spontanés pour faire de ce mémorial une œuvre commune, symbole de la nation unie face au terrorisme dans l’esprit du 11 janvier. Comme un rempart contre la barbarie, l’oeuvre se présente comme un mur implanté face au Bataclan.
Un instrument vivant – D. Berg & S. Gloess
«La vie avec ce qu’elle représente est notre revanche à tous». Pour traduire ce sentiment, les auteurs du projet ont voulu inventer un mémorial qui soit aussi un lieu commémorant la vie, la musique et la liberté. L’œuvre est en mouvement et en musique, c’est une œuvre lumineuse, un instrument vivant, constitué de 130 tubes d’acier galvanisé de hauteurs variables, qui se mettront en mouvement sous le pas des passants.
Mémoire vivante – Julien Plessis
L’objet surprend par sa présence. Sa forme est extrêmement simple en rupture avec l’environnement proche. Lieu de mémoire pour ceux qui sont partis, l’envol qu’il exprime envoie un message d’espoir à ceux qui restent, les invitant à poursuivre leur chemin. Le monument est un triangle épais et incliné créant un dessus et un dessous. Le dessous est l’espace du recueillement pour tous tandis que le dessus est un lieu de vie. C’est un objet urbain vivant qui se parcourt dans le prolongement de la rue.
Le kiosque à musique – Bassam El Okeily
Ce projet se lit comme une lettre ouverte au petit frère d’Hugo, une des victimes. Ce kiosque à musique représente «une feuille de papier pliée». Une plante perce le béton et des couleurs, des vitraux pour la laïcité, de la diversité des origines. L’architecture se fait silence et peut témoigner sans pathos et avec joie, comme un subtil requiem à la vie.
Chêne – Vincent Fussier & Plastiglas
Le chêne est symbole de force et stabilité et de résistance, de puissance et d’élégance. Le chêne repose sur un cylindre en verre acrylique. La structure porteuse en granit noir est renforcée par les six piliers symbole de l’Hexagone et recouverte d’une structure miroir qui reflète l’environnement. L’ensemble transparent et creux porte le chêne, laissant apparaître les racines de l’arbre. Les noms des victimes seront gravés sur l’objet.
Les chaises de la mémoire – Victor Vieaux
Hommage à toutes les victimes et à la vie parisienne attaquée, les 39 chaises seront installées sur la placette. Elles seront ancrées au sol et orientées vers les sites des attentats, soulignant ainsi les liens qui unissaient les victimes. ‘Les chaises’ est un lieu à vivre et à éprouver. Le modèle de chaise choisi est l’archétype de celles des cafés parisiens et s’inspire de leurs codes, de leur aspects iconique et sont ainsi identifiables.
Le cube – Arnaud Leconte & Xavier Janus
Si l’image symbolique est forte, le cube est équilibre, lumière, résistance et le geste architectural est sobre. Sa forme fait écho à la façade géométrique du Bataclan. L’oeuvre mémorielle rend hommage et l’oeuvre architecturale en est la traduction sensorielle. L’objet devient un signal dans la ville au service du citoyen. Le cube, dessiné par ses arêtes, est orienté vers les différents lieux des attentats.
L.M.
*Pour voir dans leur intégralité les projets, et voter : http://www.generationbataclan.fr