«Notre première confrontation au logement, qui a éveillé notre sensibilité à la problématique du vivre ensemble, c’est la réalisation dans la ZAC Masséna dessinée par Christian de Portzamparc en 2007», se souvient Aldric Beckmann, architecte associé de l’agence Beckmann/N’Thépé (B/NT). Le 11 mai 2016, avec Françoise N’Thépé, les deux architectes associés étaient les invités des «mercredis d’AS» pour évoquer le travail de leur agence. Compte-rendu.
S’ils se félicitent régulièrement de ne pas être étiquetés sur un type de projet particulier, la sensibilité de Beckman / N’Thépé, depuis la création de l’agence en 2002, s’exprime régulièrement autour de la problématique du logement. De fait, l’agence, qui compte aujourd’hui une quinzaine de collaborateurs, vient de livrer un ensemble de 170 logements dans la ZAC Seguin à Boulogne-Billancourt (92), doit encore livrer en 2016 un ensemble immobilier de 240 logements à Vienne en Autriche et recevait en 2015 la mention spéciale du jury pour un projet de 160 logements à Berlin.
Le bâtiment sculptural de la ZAC Masséna, aux lignes simples, en béton brut couleur chocolat, et aplats dorés, fit immédiatement mouche pour l’agence, la maîtrise d’ouvrage et les locataires. «Le parti était de fractionner les volumes pour faire bénéficier chaque logement d’une qualité de plan assez nouvelle, sans couloir central. La défragmentation de l’architecture permet de proposer deux, trois, voire quatre expositions. Les plans se faisaient de plus en plus incroyables», raconte Aldric Beckman. «L’idée était de concevoir un bâtiment qui ne ressemble pas à un immeuble de logement, avec du béton coulé sur place et teinté en deux niveaux. Ce travail collectif a rencontré un certain écho», souligne-t-il.
Le projet fut une réussite du point de vue architectural et social et mit l’agence sur la carte. «Notre plus belle récompense est le blog créé par les habitants qui relataient leurs émotions au moment de leur emménagement», raconte l’architecte. Hélas, selon lui, «il ne serait pas possible de refaire le même projet aujourd’hui. Sept ans plus tard, les architectes sont mis en danger, il leur est demandé toujours plus de compacité et du coup, nous régressons, avec de plus en plus de mal à aller vers l’autre, à faire de la qualité», constate-il avec une pointe d’amertume.
En effet, en dix ans, le logement collectif a beaucoup évolué, notamment parce que l’Etat s’est de plus en plus désengagé du rôle qu’il avait dans le logement social depuis les années 80/90 et même encore un peu dans les années 2000. «Or, le logement social était un territoire propice aux recherches, notamment via le PAN, et la production architecturale démontrait une qualité que nos voisins nous enviaient», se souvient l’architecte. C’est encore dans ce contexte que furent conçus leurs logements de la ZAC Massena : «Grâce aux positionnements de Christian de Portzamparc, nous avons pu proposer une vraie qualité de logement, sans néanmoins en multiplier les contraintes», dit-il.
Les acteurs publics ayant depuis abandonné la partie et la nature ayant horreur du vide, le marché s’est retrouvé prisonnier des acteurs privés, des diktats des financements et de normes souvent plus politiques que pratiques. Alors même que la crise du logement suscite une forte pression publique, la dimension de recherche semble s’affaiblir inexorablement. Les logements ont perdu en superficie, les ouvertures sont moins grandes, et moins nombreuses, sans compter les matériaux de factures moindres. Dit autrement, la qualité n’est plus au rendez-vous. La question n’est pas esthétique mais la dimension esthétique des ouvrages en est évidemment grandement affectée. «Aujourd’hui, on revient à la boîte à chaussures. On fait du camouflage. Le logement se vit en tant que typologie mais ne semble plus s’adapter au monde», déplore Aldric Beckmann.
Non que la volonté et la réflexion aient disparu de la part des architectes – il prend comme exemple les recherches d’Hamonic & Masson sur la grande hauteur ou celles de Lacaton & Vassal sur les grands ensembles – il note cependant que «les architectes ont envie de bien faire mais les moyens nécessaires font défaut parce que bien construire coûte plus cher, il n’y a pas de miracle !». «Avoir des normes, pourquoi pas, mais il faut mettre les moyens en face, ce n’est pas le cas», constate Aldric Beckmann.
Cela dit, selon lui, le manque de dynamisme dans ce secteur et la perte de qualité des logements ne sont pas seulement imputables aux contraintes budgétaires et financières et, de fait, l’homme de l’art se fait plus véhément lorsqu’il dénonce «le manque évident d’exigence» de la part de nombre d’acteurs privés. «Faire de la pédagogie est nécessaire car pour un grand nombre de maîtres d’ouvrage, les mentalités n’ont pas changé». C’est peut-être là le problème…
Un mal français ? B/NT construit également à Berlin, une ville qui bâtit pourtant peu de logements neufs. En revanche, ‘Comment faire du logement ?’ est une problématique bien vivace. «Lors du Workshop organisé sur ces questions, nous avons proposé de revenir aux fondamentaux, de refuser l’îlot et la fraction, nous avons été retenus», explique-t-il. Berlin est donc devenue un centre d’expérimentation important et cette ambition se retrouve au niveau de tous les acteurs. «On construit mieux, les prestations sont de meilleures qualités, le triple vitrage est installé d’office, les délais sont par ailleurs respectés par tous et le travail est globalement mieux réalisé», dit-il.
Pourtant, il est encore possible en France, heureusement, de bien construire, d’offrir de la qualité aux habitants, de l’espace, des vues, en respectant les normes, PLU et autres budgets, comme en témoigne l’opération de 170 logements sur la ZAC Seguin à Boulogne-Billancourt, inaugurée ce mois-ci. «Nexity, le maître d’ouvrage, s’est montré généreux tant dans la façade que dans la forme urbaine. La volonté qualitative est ambitieuse sur ce site incroyable», explique l’architecte. «Tous les logements ont des vues, chacun est différent et les orientations multiples sont privilégiées. Les balcons et coursives sont dans la continuité des ouvertures généreuses qui ponctuent la verticalité des volumes» ajoute-t-il. Preuve en est, ces logements se sont vendus comme des petits pains.
En 2005, l’agence a connu une petite heure de gloire en remportant le concours pour la réhabilitation du zoo de Vincennes. Le projet imaginé autour du faux rocher a malheureusement dévissé, le Partenariat-Public-Privé (PPP) étant difficile à gérer. Là encore, question d’argent. «C’est une grosse déception quand on voit le résultat actuel, avec son prix d’entrée à 24 euros…», constatent les architectes. Après Vincennes, le zoo d’Helsinki… et la crise de 2008, puis celui de Saint-Pétersbourg … et sa mafia. Aucun de ces trois projets de zoo gagnés par l’agence ne verra le jour. Dommage, là aussi, il s’agissait d’ouvrir les vues de l’intérieur des enclos et d’inviter l’usager à entrer dans le logement de l’animal. Construire un habitat de qualité, aussi difficile aujourd’hui pour les hommes que les animaux.
Léa Muller