Ça commence toujours comme ça, avec la réouverture des églises, comme en Pologne. Ça commence toujours comme ça, avec la répression de la presse, la répression tout court, comme en Biélorussie. Le « en même temps » de Macron, ce sont les fachos et les cathos. Ça commence toujours avec ceux-là.
La crise sanitaire, on est au courant. Les attentats terroristes, on a compris. Alors la loi dite de « Sécurité globale », dont l’article 24 voté le vendredi 20 novembre 2020 pénalise la diffusion malveillante de l’image des forces de l’ordre, c’est quoi le rapport ?
Il serait désormais interdit, pour la presse et pour quiconque, de filmer des policiers en pleine action de maintien de l’ordre. Pourtant, les violences policières qui, en France, défraient régulièrement la chronique n’ont à voir ni avec le Covid ni avec les attentats. Les violences policières dont il est question sont à l’encontre de Français, de journalistes français désormais, pas à l’encontre de terroristes qui seraient passés à tabac après avoir été attrapés vivants par exemple. C’est sûr que souvent une vidéo au tribunal vaut tous les plaidoyers et protestations d’innocence. Alors interdire de filmer les pouvoirs publics durant l’exercice de leurs fonctions, ça commence toujours comme ça.
Le pire est que ce déferlement sécuritaire qui semble organisé – nous allons y revenir – repose sur une analyse politique erronée de l’élection américaine. Donald Trump n’a pas perdu à cause de son management catastrophique du Covid – parce qu’il est vrai qu’Emmanuel Macron et ses masques inutiles, ses tests mal gérés, ses 45 000 morts, une ministre de la santé démissionnaire, un responsable du déconfinement raté devenu Premier ministre, a sans doute des leçons à lui donner à ce sujet – mais parce qu’une majorité de la population américaine, et largement, a préféré la démocratie au fascisme et choisi de préférer l’interpellation des policiers qui tuent les gens en pleine rue – en France on les éborgne – plutôt que de leur donner une médaille de courage.
Ça commence toujours comme ça. Dès le début de son quinquennat, Macron s’est défié de la presse, tentant de l’exiler loin de l’Élysée. Mais même Trump n’a jamais osé ce qu’ose Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur. Non seulement on ne peut plus filmer les exactions de quelques excités du contrôle au faciès, mais il faudrait en plus pour un journaliste demander l’autorisation du ministère de l’Intérieur pour faire son travail. Comme en Chine ?
Et puis quoi encore, une attestation de bon journalisme nécessaire pour avoir l’attestation de se déplacer qui donne droit à l’attestation permettant de prendre avec soi un appareil photo pour immortaliser les exploits du petit Darmanine ? Et Alexandre Benalla, on a le droit de le filmer dans l’exercice de ses fonctions ? Les députés à l’Assemblée nationale, quiconque les prend en photo-souvenir – de la malveillance assurément à cause de la caricature toujours possible – risque une amende à 135 € ? Parce que l’adresse de leurs bureaux dans leurs circonscriptions est introuvable sinon sur Internet…
Puisque ce n’est pas Trump, qui a vilipendé la presse mais sans jamais chercher à l’empêcher de travailler, c’est quoi le modèle de Darmanin ? L’Iran ? Que cet homme, soi-disant républicain, ait une telle idée dans sa petite tête de facho, soit. Mais qu’il l’exprime publiquement, en tant que ministre de l’Intérieur, à quoi pense-t-il donc notre Duce des Hauts-de-France ? Et il pense à tout ça tout seul dans son coin, sans en référer à personne ?
Quant à interdire à l’ENTIÈRE population de filmer la police dans la rue, même Trump n’y avait pas pensé ! Et pourtant dieu sait qu’il avait en l’occurrence moult raisons de virer les messagers. En France aussi, on a de telles raisons ?
D’ailleurs l’initiative française a fait un carton à l’ONU qui, le 12 novembre 2020 (Le Canards enchaîné 18/11/20), expliquait au gouvernement français que sa loi contient « des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ». Rappelant « que l’information du public et la publication d’images et d’enregistrements relatifs à des interventions de police sont non seulement essentielles pour le respect du droit à l’information, mais elles sont aussi légitimes dans le cadre du contrôle démocratique », l’ONU explique que ce texte fait peser des menaces « sur la vie privée, sur la liberté de réunion pacifique, sur la liberté d’expression, sur le droit des journalistes… ». N’en jetez plus : Macron, Orban (Premier ministre hongrois), Darmanin, Duda (chef de l’État polonais), même combat !
Mauvaise analyse politique également quand d’aucuns estiment que si Trump a autant de supporters, c’est qu’il prône la Loi et L’ordre. En réalité, il n’a apporté que le désordre – et encore il n’a pas connu les gilets jaunes et les grandes grèves de l’hiver dernier – et ce sont justement ceux pour qui importent la loi et l’ordre de l’Etat de droit qui l’ont mis dehors. De fait, les postures de Darmanin et ses petits poings à l’Assemblée ne font qu’apporter du désordre, mettant les gens dans la rue, des journalistes réprimés à coups de matraques comme en Biélorussie. Même Trump n’aurait pas osé. Peut-être finalement que Bébé Trump a quelque chose à apprendre de son mentor.
La preuve, Marine Le Pen applaudit des deux mains, et à tout rompre, la loi « Sécurité globale » ! D’ailleurs dans la liste des organes de presse signataires de la tribune publiée dans Le Monde (18/11/20) s’insurgeant contre cette loi scélérate, noter que n’y figurent ni Valeurs Actuelles ni Le Figaro ni CNews. Si ce n’est pas une indication ! De la copie et de l’original comme disait l’autre. Puisque les Hauts-de-France sont en enjeu pour l’ambitieux Darmanin, impétrant despote, c’est à se demander comment les électeurs feront la différence entre la première et le second.
Passons enfin sur le fait qu’à 18 mois de la future élection présidentielle, c’est sans doute une excellente idée politique pour le président en exercice de se mettre la presse à dos. Tiens, Trump en a fait l’expérience justement, avec les trois ou quatre millions de votants qui lui ont manqué.
Avec la loi « Sécurité globale », Darmanin explique qu’il est nécessaire de protéger les policiers de l’exploitation qui peut être faite de leur identité, sur les réseaux sociaux notamment. Soit. En ce cas, il peut d’un coup d’un seul protéger toute la population ET les policiers. La solution est simple et la loi existe déjà : il suffit de rendre les réseaux sociaux responsables de leurs publications, comme le sont n’importe quels directeurs de publication de presse, lesquels peuvent être poursuivis pour diffamation ou incitation à la haine pour n’importe lequel de leurs articles. Cela invite à la prudence et à une certaine forme de professionnalisme.
Après, si ces réseaux préfèrent payer les amendes pour préserver l’anonymat de leurs adhérents et leur laisser libre cours sans filtre, c’est leur problème. Mais si les amendes sont salées suffisamment – et indiquer l’adresse du domicile d’un policier afin de lui nuire vaut montagnes de sel – nul doute que ces réseaux sociaux seront prompts à exiger une identification. La fin de l’anonymat, c’est la fin de la terreur. Elle n’empêche en rien la liberté d’expression, ni même la liberté d’être con, mais à visage découvert, il est plus compliqué d’appeler au meurtre ou d’harasser la collègue de bureau ou de pousser des gamines au suicide.
Hélas, Darmaninov ne se sent fort et investi de sa mission que face aux petites gens – on prend une photo d’un policier en train de massacrer un gamin de 16 ans et c’est au moins 20 ans de prison, en attendant le goulag pour le photographe curieux. Mais face aux GAFAM, Geraldinetto se fait invisible et ceux-là peuvent continuer tant qu’ils veulent à donner l’adresse du domicile de la petite-nièce de Darmanin sans que ça ne leur en coûte un penny. Normal, ils ne payent déjà pas d’impôts qui seraient utiles à payer ses policiers !
Noter encore que la suggestion de Darmanin est venue juste après les grands speeches du gouvernement sur le droit de publier des caricatures, la liberté, tout ça ! Poutine et Xi Jinping ont au moins pour eux le mérite de la cohérence.
Ça commence toujours comme ça. Ainsi le samedi 21 novembre, cités par Le Monde, les syndicats lycéens dénonçaient une « propagande d’État » et une tentative de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, d’étouffer la contestation des jeunes. En effet, une enquête de Libération assurait le même jour que l’organisation progouvernementale Avenir Lycéen, une structure créée en 2018, « a germé Rue de Grenelle, dans l’entourage proche de Jean-Michel Blanquer, pour servir la communication du ministre, et surtout rompre tout dialogue avec les syndicats lycéens » opposés à ses réformes, notamment celle du bac. Sans compter de nouvelles mises en cause pour avoir dilapidé des subventions publiques visant Avenir lycéen.
Des branquignols les amis politiques du ministre d’Avenir Lycéen ? Ou, en effet, de la bonne vielle propagande comme au bon vieux temps des soviets et du maccarthysme. Blanquer, qui réfléchit encore comme au siècle dernier, ne serait donc pas rentré dans l’histoire ?
Ça commence toujours comme ça. Maintenant, un item du Canard Enchaîné (18/11/2020) raconte l’édifiant sens de l’État républicain de Sarah El Haïry, secrétaire d’État à la jeunesse et à l’engagement. Mise en difficulté fin octobre 2020 lors d’un débat avec des jeunes de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France sur les questions de blasphème, de voile, et de violences policières justement, elle est sortie dépitée de sa visite. Huit jours plus tard, la fédération écopait d’un contrôle de l’Inspection de la jeunesse et des sports. Très sport la sous-ministre ! De plus, poursuit le journal, l’une de ses collaboratrices s’est sentie tenue d’appeler la rédaction de l’hebdomadaire La Vie qui avait relaté l’évènement pour contester l’article. Dans le gouvernement Macron, on n’essaye même plus de faire subtil. Ça commence toujours comme ça.
Maintenant, de deux choses l’une : soit ces gens – Macron, Darmanin, Blanquer, El Haïly, j’en oublie sans doute – sont tous des idiots et la concomitance de leurs déclarations à l’encontre des valeurs fondamentales de la République est pur hasard, soit il s’agit d’une offensive concertée contre les règles élémentaires de la démocratie, pour citer l’ONU, un peu comme le feraient des émules de Trump en somme.
Mais bon, il n’est pas exclu qu’ils soient tous plus ou moins demeurés, demeurés dans les années ’50 du siècle dernier, cela va sans dire.
Ça commence toujours comme ça.
Christophe Leray