Les trois architectes niçois de l’agence CAB Architectes donnaient la réplique à Manuel Aires Mateus en ce glacial 19 janvier 2017. Depuis 2012 et le Prix de l’Equerre d’argent, l’agence française a multiplié les projets, répondant tant aux programmes qu’à la géographie des sites souvent en pente. Sur la Côte d’Azur, les courbes abruptes du terrain dictent leurs lois. CAB n’en prend pas ombrage et s’en joue armé de coffrages de béton. Compte-rendu.
L’événement aurait sans doute mérité un cadre plus chaleureux et une jauge d’exception, tant l’intervention de Manuel Aires Mateus avait su déplacer les foules. Dans le froid de ce jeudi de janvier, le fantasque Portugais répondait à Jean-Patrice Calori, Bita Azimi et Marc Botineau (CAB), aux pieds des gradins de la Cité de l’Architecture, dans le cadre de la Plateforme de la Création Architecturale. Entre confrontation et concordance, la discussion permettait de donner des orientations tantôt similaires, tantôt différentes sur les questions de structure, de matière ou encore de géographie. L’occasion de comprendre les contraintes de la construction de la pente au regard du travail de CAB architectes.
Après l’urbanisation à outrance des reliefs escarpés des bords de mer méditerranéens, les quelques parcelles constructibles qui restent sont de formes triangulaires sur des sites pentus. Un problème pour certains, des solutions à mettre en œuvre pour CAB architectes. Construire la pente est une des spécialités de l’agence. «Nous avons compris que construire sur la Côte d’Azur, c’est construire le paysage. Nous cherchons à le créer avec la volumétrie de nos bâtiments», raconte Bita Azimi, qui prend pour exemple le centre d’hébergement de l’observatoire de Villefranche, dont le «terrain enclavé et inaccessible trouvait place à l’arrière d’une parcelle».
Il en va de même à Nice pour le projet de gymnase Futsal de l’Ariane. Le projet, livré au printemps 2016, met en résonance le site et l’équipement et, selon Bita Azimi, se mue «en balcon sur la mer». Et Marc Botineau d’ajouter : «le fleuve en contrebas est souvent à sec. Le stade est volontairement implanté perpendiculaire à son lit, entre nature et ville. Ce projet nous résume bien car il met en jeu des thématiques qui rebondissent de projet en projet. Il nous permet de travailler sur les fondamentaux du site par exemple. Il y a un viaduc non loin, avec lequel nous avons dressé une analogie de la traversée». Socialement, le site était compliqué. Les architectes ont donc pris le parti d’utiliser la toiture afin d’offrir un terrain habité et de créer un nouveau paysage, qui ne se lit pas de prime abord. «La géographie se reconstitue ici».
Du lieu, du site, du sol naît la question des matériaux et de la structure. «Le choix du béton s’est imposé à nous assez naturellement», se souvient Bita Azimi. «Il permet d’exprimer la minéralité. L’enjeu pour nous est de mettre en résonance l’architecture, sa structure, une matérialité et la nature du site».
A propos du groupe scolaire les Magnolias à Villefranche, les architectes argumentent d’ailleurs que le projet est né du sol, comme si la parcelle avait été elle-même creusée. L’idée de la grotte protectrice n’est pas si loin. «La pente permet de desservir chaque programme de plain-pied, avec l’idée qu’un enfant puisse aller du point bas jusqu’à la toiture sans prendre d’escalier. Une rampe de circulation s’enroule comme un ruban autour du bâtiment, tel un générateur de vues sur le paysage et d’ombre sur les espaces extérieurs», souligne Marc Botineau.
Jean-Patrice Calori le reconnaît bien volontiers : «la chance de pouvoir construire dans les pentes, c’est une aventure qui multiplie les possibles, les vues». «Le pôle petite enfance de La Trinité se situe à l’articulation de la ville moderne et de sa partie historique. On a travaillé la mise en perspective de la vallée, notre projet est ainsi plus un mur habité qui renvoie ainsi aux infrastructures qu’un bâtiment, on étend le terrain à ses limites», justifie-t-il.
Construire sur la Côte d’Azur offre des terrains qui sont orientés vers le Sud, où la mer et l’horizon aimantent le regard. «Notre action à Eze était de se projeter à fond dans le paysage. Nous avons choisi de ne pas faire de cadrage, d’offrir de larges fenêtres. Chacun pourra se fabriquer son propre point de vue, son propre cadrage», explique Jean-Patrice Calori. «La question de la façade arrière reste plus difficile à penser puisque c’est celle qui est tournée vers le coteau. A Eze, le mur de soutènement est en tension avec le volume des appartements. Il dégage de l’ombre en répondant aux ruelles minérales du village par exemple. Les habitants peuvent ici choisir de regarder vers le ciel».
«La matérialité et l’acte de construire se sont toujours fondus dans notre philosophie, c’est fondamental», insiste Jean-Patrice Calori, soutenu par son acolyte qui met en exergue la minéralité de Villefranche, qu’il s’agisse des constructions récentes en béton ou de la citadelle Vauban, située non loin.
«Nous avons été amenés à emprunter des procédés constructifs qui sont ceux des ouvrages d’art pour se libérer des contraintes du site et d’une certaine instabilité programmatique, courante dans le sud. A l’image de ces infrastructures, nous tendons vers des projets de gros-œuvre en s’appuyant sur un savoir-faire local : c’est un pays de maçons et les cimenteries sont toutes proches», expliquent-ils. Et Bita Azimi de souligner la dimension humaine du béton, en plus de sa plasticité. «Il y a beaucoup de suspense sur un chantier au moment où l’on décoffre les bétons. Le béton est humain. C’est un travail élémentaire dans le chantier qui donne un rapport direct et frontal et à la construction. Et puis dans le sud, le béton représente un circuit court».
«Ce qui caractérise notre travail est le rapport étroit et spécifique que peut entretenir la structure avec le paysage. La structure nous permet de nous affranchir de ce travail dans la pente et de la topographie. A Villefranche, on vient chercher des dispositifs dans des infra-dalles très épaisses pour passer des grandes portées et libérer des espaces. Les grands franchissements permettent de creuser pour trouver de l’ombre permanente et trouver du confort d’été», soutient Jean-Patrice Calori.
CAB architectes donne donc la priorité à la structure. Le béton, lui, n’est pas un choix esthétique. A Saclay, ils construisent d’ailleurs en acier, mais le sol est plat. Finalement, CAB aborde ses projets davantage comme des ouvrages d’art, dans ce qu’ils ont de fonctionnels, plus que d’esthétiques. D’ailleurs, il leur a été reproché de construire des parkings. De fait, le second œuvre leur importe peu, dans ce qu’il établit un lien avec l’idée de confort, or pour les architectes de CAB «le confort c’est se couper des autres». Dans le Sud et ailleurs, ils aiment laisser les fenêtres ouvertes comme de grands yeux sur le paysage et les villes, libre à chacun de fermer ses paupières.
Léa Muller