Après avoir pris congé de la bagatelle* m’ayant été offerte par Jaurès et Stalingrad, je retrouvai le métro dans le but de rejoindre Paris-Centre, en passant d’abord par Saint-Michel. J’avais besoin de liberté et surtout de bonheur. Donc de bourgeoisie.
Le métro avait changé de parure. Son arrogance de nouveau riche atteignait son climax quand il me trimbalait vers les quartiers latins. Il y a deux sortes de bonheur que j’ai pu identifier à ce jour : les bonheurs simples et les bonheurs que l’on s’impose.
A Jaurès et Stalingrad, on se contente d’un toit, de la chaleur d’un foyer, d’un abri. A Saint-Michel, on bâtit, on travaille et on édifie dans les règles d’un art séculaire, pour se conditionner au bonheur. La pierre brute est taillée et polie par un geste issu du dogme, de la foi, de la transcendance. Ainsi, le bonheur, contrairement aux autres quartiers de Paris, n’y est pas une conséquence que l’on recherche, mais une norme sur laquelle on se base.
Ces deux derniers siècles ont vu les Hommes s’émanciper de l’autorité des rois et des dieux en Occident. Néanmoins, les Hommes continuent à visiter, contempler et se reposer dans les édifices issus de ce qu’ils ont durement combattu.
Saint-Michel est un dandy qui assume sa part de féminité. Ayant poussé sous l’autorité de l’Eglise, patriarcale et millénaire, il a paradoxalement développé une philosophie sensuelle, charnelle, orgiaque. Quand j’évoque Saint-Michel, la cathédrale de Notre-Dame, le Pont Neuf, le jardin du Luxembourg, entre autres miracles de pensées et exécutions architecturales, je songe à la dynastie des Borgia. La liberté la plus absolue née dans la contrainte.
A contrario, les nouveaux quartiers gentrifiés qui, nés sous le signe de la globalisation et de la parité, expriment une idéologie qui selon moi ne demeurera pas dans l’Histoire. Du moins, tant que le mantra dominant sera animé par la dictature de la mise à jour permanente.
Mais le bonheur de côtoyer les édifices de Saint-Michel, c’est comme la truffe blanche sur son lit de caviar et ses toasts trempés dans un œuf à la coque, ce n’est jouissif que dans la rareté. C’est pourquoi j’ai rapidement repris mes esprits afin de rejoindre Paris-Centre. Enfin… Paris-Un-Peu-Nord-Légèrement-Est-Centre. Strasbourg-Saint-Denis en somme. Qui est à Paris-Centre ce que le clitoris est à l’Origine du Monde, d’un point de vue mondain.
Du point de vue… de la vue… quitter les quartiers latins pour n’importe quel autre quartier relève tout de même de l’autoflagellation. C’est pourquoi reprendre le métro pour s’y rendre, plutôt que de marcher paisiblement, c’est se préserver de la dégradation progressive du décor. Je préfère l’amputation au pansement.
Néanmoins, Strasbourg-Saint-Denis, quand on la prend pour ce qu’elle est, apaise. Son avantage est qu’elle est modeste, n’a rien à prouver. Elle se dévoile avec ses qualités et ses défauts. Des petits boulevards, présentant de petites rues, menant à de petites ruelles. Tout est dans le détail. Strasbourg-Saint-Denis est à taille une humaine, à portée de main. C’est un quartier digital, dans le sens du doigté.
Ses immeubles sont des ‘shots’ de tequila, ou des verres de spritz, ou des godets de whisky, ou des gobelets de piquette. Strasbourg-Saint-Denis, c’est Stalingrad et Jaurès qui vit du turnover des chefs de projets en communication et dans l’industrie de la musique. C’est pour cela que c’est petit et mignon et non glauque et étroit. C’est laid mais l’on s’y sent bien. Comme sur un vieux canapé.
Du reste, j’ai décidé de passer les fêtes de fin d’années en Charente-Maritime. Ne me reste plus qu’à découvrir l’architecture du village qui m’accueille.
Herizo
*Voir la chronique du Candide précédente : Dialogue avec les esprits urbains