Ici ce n’est pas une chanson mais une réalité toute simple, ne serait-ce que pour ce sentiment de bien-être qui m’a envahie, un matin bleu d’hiver 2024, rue des Cendriers à Paris (XXe) en sortant de la visite du complexe sportif municipal Angélique Duchemin tout juste livré par l’agence parisienne Graal (Carlo Grispello et Nadine Lebeau)*. Il faut le dire : oui, c’est possible.
En premier lieu, impossible de faire l’impasse sur l’histoire. De strates en strates, entre Ménilmontant et Belleville, cette zone de 32 hectares, jadis couverte de vergers, est devenue industrieuse au XIXe siècle. Des anciens quartiers ouvriers parisiens ne restent que peu de traces, sinon la densité et la mixité urbaine. Quelques ateliers, derniers vestiges d’une tradition d’art ou d’artisanat, nichés dans des rues étroites et escarpées racontent encore, à bas bruit, l’humanité et les vies antérieures.
La ZAC des Amandiers, la première de Paris, est officiellement validée en 1979 et les démolitions commencent rapidement. Les années ‘80 sont celles de la reconstruction – une opération officiellement destinée à améliorer la vie des habitants. Le brutalisme des années ‘70 n’est plus en cours. L’urbaniste en charge impose les nouveaux mantras du postmodernisme dont l’obligation de diversité, censée créer du lien et, mot à mot, revitaliser : pas un bâtiment ne doit ressembler à l’autre. En vrai un capharnaüm de la laideur, à des degrés différents.
Mieux vaut en rire qu’en pleurer n’est pas une chanson, mais une résilience. Les architectes Andrault et Parat (ANPAR) pourtant capables, sinon de génie du moins d’architectures plus consensuelles (en Essonne, Pyramides à Evry avec SCAU, à Epernay, etc.), embauchent jusqu’à 110 personnes pour les assister. On jongle avec les styles. Depuis, l’immeuble emblématique du 78 rue des Amandiers a été renommé par les riverains « la Banane » pour sa forme incurvée et sa couleur jaune. La Banane a imposé son ricanement et sa dérision et la cité des Amandiers est devenue cité de la Banane.
Sur le papier ce serait une gigantesque farce en jaune et noir sur le thème de comment faire pire, s’il n’était ici question de la vie des gens, de leur dignité, et de l’humanité qui leur est due.
La ZAC est devenue un lieu célèbre pour le street art. Un espace d’expression et de liberté. Ceci explique cela.
Quand elle est close en 2014, le quartier a perdu son identité, la violence et la criminalité règnent, et la zone, un enchevêtrement de logement sociaux, est réputée impénétrable. De populaire à précaire, la ZAC est classée QPV – quartier prioritaire de la Ville – depuis 2015 par le ministère de la Ville et du Logement. Elle l’est encore. Belle réussite.
C’est dans ce contexte extraordinairement dur que s’inscrit la commande de la Ville de Paris d’un nouveau centre sportif à l’usage des écoles et des associations, en place d’un ancien terrain jadis constitué de deux courts de tennis et d’un petit bâtiment. Au programme : un dojo, une salle de boxe et quatre terrains dont deux extérieurs et deux couverts.
Le Centre Angélique Duchemin longe la rue des Cendriers, autrefois un sentier, qui tient son nom des anciens fours à plâtre : les carrières de gypse de Paris, désormais fermées, étaient exploitées là, tout près… Un énorme réseau complexe de galeries souterraines et des vides importants… Pas simple pour construire…
L’agence Graal revendique une architecture simple, intelligente et efficace, où « les choix sont raisonnés et non esthétiques », indique Nadine Lebeau lors de la visite de presse. « Nous avons travaillé sur les usages, l’économie du projet. Nous sommes au cœur d’une situation particulièrement difficile – un urbanisme ‘’implacable’’ avec des problèmes politiques et des problèmes de deal », souligne Carlo Grispello. Sans compter les problèmes structurels : le mur du fond qui borde la barre mitoyenne des immeubles de la rue Duris s’effondre, il faudra arrêter le chantier, renforcer le mur, décaler le bâtiment…
Le chantier démarre donc en 2020 sur le mode de l’économie, avec des coûts au plus modeste, sur le mode du hangar sportif : 1 100 € du mètre carré pour le bâti, 400 € pour l’extérieur.
Les associations de quartier ont été longuement consultées. Maintenir le dialogue est le mantra du projet, pas seulement avec la municipalité mais avec la population, afin d’accueillir la pratique sportive et celle du graff comme « pratique habitante structurante ». Un espace lui est dédié. Bienveillance. Respect. La rue des Cendriers est rebaptisée par les riverains rue des Graffitis.
Sur la rue c’est un premier bâtiment chauffé de 750 m², R+1, une charpente acier habillée de bardage métallique : la fonction et la modestie des moyens dictent la forme. La salle de boxe et une salle associative sont au rez-de-chaussée, le dojo à l’étage. Un minimum d’ouvertures. Des cloisons en parpaing gris, des murs rideaux en aluminium recyclé. À l’extérieur, la structure métallique est peinte en blanc – un objet simple et efficace.
À l’arrière, en réplique et en prolongement, une seconde charpente couverte de panneaux de polycarbonate translucide – et habillée de grillage – enveloppe les deux terrains couverts (1 050 m²) reliés au bâtiment par un couloir-fenêtre. Le sport est un spectacle. Alignés, les deux terrains (580 m²) non-couverts bordent la rue des Cendriers. « C’est un projet de grilles, de calepinage des grilles et de prise au vent », raconte Carlo Grispello.
Translucide, arachnéen, mais pas seulement.
La joie viendrait de la couleur. Une explosion. Une permission. Du bleu pour les terrains couverts, du jaune, du rouge, du vert pour les terrains extérieurs. Pour le dojo, aire de combat – aire de sécurité : le bleu et le rouge. Lumière rasante. Éclatant. Impressionnant.
Juste en face, une crèche, une maison de retraite, et dans la rue adjacente une école. Des mondes qui se touchent, des débuts et des fins. Du bleu outremer, du bleu Klein, pour relier le ciel.
Lorsque je suis partie des jeunes joueurs occupaient le terrain. J’ai pensé à un tableau de la série Les Footballeurs de Staël. Harmonie de bleu, de blanc et de rouge. Les joueurs comme des taches de couleurs.
J’ai souri. Je ne dis sûrement pas que c’est le paradis. Ni que tout le monde est beau ni que tout le monde est gentil. Mais il y avait de la joie.
Tina Bloch
*Lire la présentation À Paris, complexe sportif Angélique Duchemin signé Graal