
« Alors j’ai voulu construire une architecture. Avec le sable et avec mes mains. Une architecture prolonge toujours les corps, pour les abriter, les mesurer… se mesurer ». Mathieu Forest, cet architecte qui parle au ciel est venu construire sur le sable.
Mathieu Forest est finaliste au Prix de l’Afex* 2023.** Il ne remporte pas le Grand Prix, c’est dommage, on ne rencontre pas tous les jours une image qui fait rêver. Je m’explique. Lors de la remise des prix cette année-là, dans les jardins du Palais Royal, je n’ai pas croisé Mathieu, mais j’ai rencontré l’image, givrée, dans une nuit d’automne mouillée mais encore douce, irradiant comme une lanterne mystérieuse, suspendue parmi les autres projets, entre les colonnes.
Ice Cubes est un empilement de neuf cubes de verre décalés, d’environ 17 mètres de hauteur chacun, un projet inattendu au cœur de la vaste plaine de Chine du Nord, né du rêve fou de quelqu’un qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, voulait faire jaillir un lac et une montagne enneigée au milieu d’un champ. Vu comme cela c’est dérangeant…
Plus sérieusement, il s’agissait de créer un nouveau quartier touristique sur un site vierge de la ville de Xinxiang, connue comme un centre industriel majeur abritant de nombreuses universités et collèges. C’est tout de même différent.
La question très sérieuse posée à l’architecte reste néanmoins d’accepter ou non de jouer la dystopie, dans ce cas, une manipulation extrême de l’environnement… sur ce site.
Associé à Zone of Utopia – agence d’architecture basée à Paris – Mathieu Forest a osé participer à un projet de développement touristique massif, lequel aurait eu lieu dans tous les cas.
Les Ice cubes comprennent un centre culturel, des espaces d’exposition, trois restaurants, un espace de détente et des terrasses. Xinxiang n’étant pas le désert de Tabuk, c’est plutôt sympathique en fait…

Puis qu’il fallait construire l’hiver, Mathieu Forest a joué la sublimation de la vapeur d’eau en glace, paré les cubes de verre de la fragilité du givre et, cerise sur le gâteau glacé, les a sérigraphié de cristaux. La sérigraphie blanche n’est pas qu’un décor. Elle attrape et retient chaque moment du ciel. Mathieu a joué la poésie contre l’anomalie.
Le bâtiment représente l’eau gelée, l’imprégnation du ciel et les nuages. Tout est illusion, sauf la double peau, parfaitement vertueuse, qui filtre le rayonnement solaire, isole contre le froid l’hiver et la chaleur l’été…
« Cacher tout en montrant pour provoquer le mystère et l’envie d’approcher », dit Mathieu.
Il n’a pas eu le prix parce que… d’autres avaient fait des cubes avant lui… et il n’a pas eu le prix parce que d’autres avaient déjà décalé des cubes avant lui… Herzog & de Meuron (VitraHaus 2007), Sanaa (New Museum New York 2007), Nouvel (Tours DUO 2021). De fait, nous pouvons remonter bien plus loin parce que le grand Mansart*** avait décalé de 45° le lanternon de l’axe du dôme des Invalides (1706), sublimant ainsi la perspective. Bruno Foucart**** adorait raconter cette histoire à ses étudiants.
Peu importe la non récompense : ce bâtiment – le premier d’un site qui a depuis été largement et assez brutalement investi – a offert à la proposition existait une réponse maîtrisée et poétique.
« Sur le site, il n’y avait que le ciel. Il fallait trouver moyen de capter les micro-variations du ciel, tantôt gris et lourd, parfois bleu », dit-il.
Dans un article du Monde en 2008, Philippe Dagen citait la phrase culte de Breton : L’œil existe à l’état sauvage et commentait : « Il y a aussi la sauvagerie de ceux qui ne veulent plus rien savoir des bonnes manières et des beaux-arts et qui doivent en rejeter les enseignements avec violence ».
Depuis Mathieu a livré Sky Mirrors – à Luzhou, encore en Chine – une maison d’alcool (de riz) lentement maturé, déguisée en maison de thé… Comment dire… Certains l’aiment chaud… Donc du thé… J’adore l’idée…

C’est un site bouleversant. Une région magique de grottes, de montagnes et de vallées qui porte bien son nom : « La terrasse du Ciel ».
« L’architecture ne peut lutter contre un tel site », souligne Mathieu. « Aujourd’hui on fait de la forme. Ici il fallait retrouver le rapport à la nature. On ne pouvait pas mettre un bâtiment. Sky mirror est une non-architecture… On a mis un miroir. Pour que le ciel se confonde avec le ciel ».
Deux miroirs suspendus entre la montagne et le ciel amplifient et magnifient le paysage. Au-dessus, un miroir d’eau double le ciel et y prolonge l’infini.
En dessous, un miroir d’acier poli reflète la vallée et la rivière, créant un ciel artificiel sous le ciel.
A la fin, un escalier mène à une passerelle suspendue dans le vide. C’est le moment où le visiteur quitte l’image virtuelle pour s’élancer dans l’image réelle. Une vue spatiale. Entre ciel et terre.
Le miroir est un principe d’optique qui devient ici un principe de construction.
Une image virtuelle est observée uniquement à travers un appareil optique. Le processus de Mathieu Forest est précisément l’inverse de la pratique contemporaine qui privilégie l’image virtuelle pour construire du réel. Il propose un jeu de reflets, une distorsion – composition entre naturel et virtuel. En jouant entre illusion et réalité, il pose la question du double, déploie les champs des possibles et des impossibles, inverse le raisonnement et le voyage sensoriel en percutant du réel dans le virtuel.
C’est bien un jeu d’optique à travers les miroirs qui fait le bâtiment. C’est un bâtiment image inversée…
« Un bâtiment qui prend sa présence dans l’absence », dit-il.
Il est finaliste du Prix de l’Afex 2025.
J’ai invité cet homme qui parle au ciel à venir construire sur le sable. Ce n’est pas souvent qu’un architecte de moins de cinquante ans ose encore affirmer : « Les architectes sont des artistes, des concepteurs et des penseurs. Sinon les ingénieurs sont meilleurs. La fin des Beaux-Arts en France c’est la fin des cours de dessin. Si tu ne dessines pas, si tu n’inventes pas, tu n’es pas architecte. L’architecture ne doit pas être conceptuelle. Le concept est une diminution du spectre de la réalité ».
Mathieu Forest est un enfant de Jean Nouvel et le revendique. « J’ai une pensée nouvelienne et je suis convaincu qu’un projet doit être situé. Un lieu est une géologie et une histoire », dit-il.

Prendre en charge le matériau sable et ses contraintes ; l’horizon, la montée de la mer et la conscience du temps.
Concevoir une intervention minimale.
Quelque chose d’imperceptible.
Quelque chose qui relate la beauté du dialogue avec la nature.
Jouer avec la marée puisque tu ne peux rien contre, dit-il.
Avec la texture du sable qui change à tout moment.
Quelque chose en lien avec la présence.
Quelque chose dans lequel je m’assois.
Un abri.
« Alors j’ai voulu construire une architecture. Avec le sable et avec mes mains. Une architecture prolonge toujours les corps, pour les abriter, les mesurer… se mesurer ».
Son geste, sculpté pour s’asseoir et contempler l’horizon, est un mouvement de sable, un déplacement mimétique du paysage, un écho aux vagues et aux collines en fond de scène. Un observatoire, un lieu de recueillement. Une modestie. C’est la première fois dans l’histoire d’Archisable qu’un architecte a construit le silence.
« Un simple modelage de la masse mouillée », dit-il. « Presque naturel. Voilà l’architecture ! sculpter la nature. Et viser le plaisir… »
Tina Bloch
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* AFEX : Architectes Français à l’Export
** Il est également finaliste de l’édition 2025 avec le Centre et hôtel de Luzhou, Chine (ndr)
*** Jules-Hardouin Mansart 1646-1708, principal architecte de Louis XIV, auteur de la Galerie des Glaces à Versailles, du Grand Trianon et du Dôme des Invalides
**** Bruno Foucart 1938-2018 historien d’art, directeur de l’Institut d’Art et d’Archéologie, commissaire d’expositions, enseignant à la Sorbonne.