A la Cour d’Appel d’Audubonsens, étaient entendus début janvier 2020 les conseils de Monsieur Alphonse Monmoulin, résident de Sainte-Gemmes, et de la société Maisons-Hypnos Construction, «pour dormir sur ses deux oreilles», dont le siège social est aux Iles Caïman. L’objet du litige ? La construction d’une maison individuelle pour le premier par la seconde. Chroniques d’architecture était à l’audience.
Alphonse Monmoulin, selon son avocat, est la victime d’un nombre invraisemblable de manquements aux règles de l’art dont la liste serait trop longue à détailler ici.
L’avocat de Maisons-Hypnos a fait valoir que son client – Thierry Ryant le gérant – a scrupuleusement appliqué le Contrat de Construction de Maison Individuelle (CCMI), réputé le mieux protecteur pour qui fait construire sa maison, signé par les deux parties. «Ce contrat offre un degré de sécurité juridique plus élevé que d’autres contrats de construction, et doit être signé avant le début des travaux», a-t-il souligné, expliquant avec malice qu’il citait là le ministère de l’Economie.
Il rappelle que son client est «le spécialiste» de la construction de maisons individuelles et affirme avec conviction que les autres acteurs se mêlant aussi de telles constructions, tels que les architectes et autres maîtres d’œuvre, ne sont sur ce terrain que des amateurs.
Ensuite, Thierry Ryant affirme que sa société offre la solution la plus économique pour faire construire une maison, car «avec lui, dit-il, il n’y a pas d’honoraires». «Le client ne paye que les travaux et évite ainsi l’intervention des architectes et autres maîtres d’œuvre inutiles», soutient-il.
Enfin, l’entrepreneur explique disposer de la panacée pour éviter tout problème à ses clients, en l’espèce la magnifique Garantie de Livraison à Prix et Délais Convenus et insiste être le seul à pouvoir offrir une telle garantie. «Vous connaissez les architectes, Monsieur le Président, ils sont toujours hors délais et hors des prix convenus, hahaha, avec moi, pas de problèmes de ce côté-là», avait-il d’ailleurs déclaré lors de l’audience en première instance.
Réflexions et enquête de la Cour
La société Maisons-Hypnos Construction ayant fait appel de la décision à son encontre, arguant de dommages et intérêts non fondés et disproportionnés, la cour a eu le temps, pour une fois, de se pencher sur ce dossier avant l’audience du jour.
La Cour reconnaît bien volontiers que les constructeurs de maisons individuelles (CMI) sont spécialisés dans la construction de maisons. Ce sont même les seules constructions qu’ils réalisent, ou font réaliser. Les architectes, eux, construisent aussi des immeubles, des bâtiments publics ou industriels, des rénovations, des extensions. En sont-ils moins compétents pour cela ? Leur diplôme serait-il moins valable que celui d’un constructeur de maisons individuelles ?
La question avait été soulevée dans ses commentaires par l’avocat du plaignant, M. Monmoulin. En cherchant à comparer la formation des uns et des autres, la Cour a constaté – avec stupeur ! – qu’il n’existe pas de diplôme de CMI, ce qui permet à quiconque de s’improviser constructeur… alors qu’il existe bien un diplôme d’architecte, avec un Ordre et un Code de déontologie veillant à la bonne conduite de ceux qui y sont inscrits.
Pour le coup, la Cour a voulu vérifier si les travaux réalisés par l’intermédiaire des CMI étaient, comme prétendu, plus sûrement de qualité que ceux dessinés par ces artistes d’architectes, ceux-là mêmes qui «oublient toujours l’escalier», comme disait Gustave.
Une rapide recherche effectuée par la Cour s’est révélée édifiante. L’Association d’Aide aux Maîtres d’Ouvrage Individuels (AAMOI), à elle seule recense toute une litanie de malversations. Malgré le CCMI, les malfaçons de travaux rencontrées sont nombreuses, graves et variées. Et il ne s’agit que d’une seule association ! Comment est-ce possible ?
Le juge a donc enquêté plus avant et saisi que, pour augmenter leurs marges, les CMI devaient mathématiquement obtenir des prix de revient les plus bas possible : plus bas pour les quantités de matériaux, plus bas pour les qualités de ces matériaux, et surtout plus bas pour le coût de leur mise en œuvre, c’est-à-dire dans le choix des sous-traitants, les moins chers parmi les moins chers possible. Comment en ce cas garantir la qualité des travaux ?
Peut-être ces justiciables, s’amuse le juge, se sont-ils trompés de juridiction et qu’ils auraient dû déposer plainte pour publicité mensongère. De fait, constate-il, Alphonse Monmoulin, le client, n’y connaissant rien en construction, ne saurait pas par lui-même détecter les malfaçons dans les travaux et compte donc sur son CMI pour l’éclairer, ce dernier devenant de fait juge et partie. Si Monmoulin demande à Ryant ce qui justifierait que lui, le client, ne le paie pas, ou du moins fasse des retenues sur ses propres factures, il peut attendre longtemps une réponse. Une aberration, pense l’homme de loi. En tout cas, un système qui ne peut pas briller par son efficacité…
Le juge, se souvenant des sarcasmes du constructeur, se demande si un architecte ne serait pas en l’occurrence plus fiable, puisque lui ne vend pas les travaux à ses clients. Le juge a même entendu dire que des architectes n’hésitaient à faire refaire par les entreprises ce qui n’était pas édifié conformément aux règles de l’art.
Pour finir, la Cour a réalisé (enfin…) que la «Garantie à prix et délais convenus» n’avait été créée que pour pallier les risques de confier aveuglément tout son argent – sans guide et en renonçant à tout contrôle ultérieur – à qui aura intérêt de vendre le plus cher possible ce qui lui reviendra le moins cher possible. Un pis-aller en somme.
Ce risque n’existe pas avec l’architecte, apprend le juge, puisque le client n’est pas contraint de signer un chèque en blanc dès le départ mais, au contraire, fera ses choix sereinement, en temps et en heure, avec les conseils désintéressés du guide qu’il a choisi : l’architecte. Grâce à ce guide indépendant, le client signera des engagements avec les artisans quand ceux-ci seront choisis sur leur meilleur rapport qualité/prix, avec un contrat très protecteur (prix global et délai forfaitaires, avec devis réels en mains, dossier technique abouti et transmis au client, etc.), lesdits contrats étant dénommés «marché de travaux».
Intriguée, la Cour a voulu connaître ce que le client doit payer à un CMI au travers du prix global forfaitaire en plus du coût des artisans. Après une longue enquête (car ces informations sont évidemment dissimulées par les CMI), le client paie généralement une marge brute de l’ordre de 30% (souvent bien plus) du coût direct des travaux. Alors que la rémunération d’un architecte n’est que de 12 à 15% de ce coût direct des travaux. Autrement dit, avec un CMI le client paie les travaux directs + 30% environ, ou plus, et avec un architecte, il ne paie que les travaux directs plus 12 à 15%. La Cour a calculé, calculé, calculé dans tous les sens : 15% restent toujours inférieurs à 30% ! La part de l’architecte est, semble-t-il, inférieure de moitié à la part du CMI…
A l’issue de ces recherches, et après s’être plongé dans les manuels, le juge n’a pas trouvé de contrat de construction de maison individuelle (CCMI) qui respectât la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance, pourtant d’ordre public. Aucun CMI n’a donc soumis à ses clients une proposition d’acceptation de ses sous-traitants, avec leurs modalités de paiement, donc les devis réels. Aucun, ça fait beaucoup…
De retour dans la salle d’audience, le juge regarde M. Monmoulin, dont il a découvert dans le dossier toutes les pérégrinations pour construire sa maison. Il est nerveux, ils le sont tous quand ils n’ont pas l’habitude. Pour sa part, M. Ryant à l’air sûr de son fait.
Le juge soupçonne que le CCMI non seulement n’est pas le meilleur des contrats protecteurs mais qu’il peut au contraire se montrer fort dangereux pour qui fait construire. Mais la loi est la loi.
«L’audience est ouverte», dit-il, invitant ainsi chacun à s’asseoir.
Jean-François Espagno