Qu’est-ce que l’architecture contemporaine sinon, comme le rappelle le dictionnaire, celle qui est construite au temps présent ? Ainsi, les bâtiments qui étaient construits par Haussmann à Paris en son temps étaient de l’architecture contemporaine. Une autre façon de l’exprimer serait de dire que l’architecture des grands boulevards parisiens est contemporaine du baron Haussmann.
La difficulté est que de plus en plus de gens, journalistes, politiques, élus, voire des architectes eux-mêmes, par une évolution plus ou moins consciente du langage, se mettent à parler d’architecture contemporaine comme référence à une conformation, voire un style. C’est le processus qui a par exemple transformé l’architecture qui était ‘moderne’ parce que construite en un temps où la modernité se voulait plus significative que la contemporanéité, en ‘l’architecture moderne’, ses auteurs devenant des ‘modernistes’. L’architecture contemporaine, celle qui nous concerne, aurait-elle donc un style ?
Il est assez aisé de reconnaître l’architecture des années 2000 à 2016 en France, tout comme celle d’ailleurs des cycles précédents. L’architecture – celle de tous les jours, pas les objets iconiques -, quand elle est contemporaine, tend en effet à jouer sur l’effet de contraste lié au désir ou la volonté, voire la nécessité, de concevoir et de construire différemment de ce qui se faisait auparavant. D’où la moindre maison ‘contemporaine’ en regard d’un quelconque contexte vernaculaire et le fait que l’architecture est par définition représentative de son temps.
Pour le coup, aujourd’hui, le fait est que les bâtiments, de logements notamment, tendent à se ressembler de plus en plus – sous la contrainte des normes et des réglementations sans doute mais aussi par flemme ou torpeur intellectuelle parfois de la part des architectes et aussi parce que les maîtres d’ouvrage, peu progressistes dans l’ensemble, tendent à vouloir reproduire ce qui «fonctionne», tant en termes d’acceptation du public futur locataire ou propriétaire mais aussi et surtout en termes de rentabilité. Est-ce ce qui conduit peu à peu à identifier sous le vocable d’architecture contemporaine un ‘style contemporain’ ?
Ce ‘style’ se traduirait notamment, j’imagine, par au moins les codes suivants : l’usage de la courbe (ha les fameux blobs…), le bois en façade (au moins au travers de ces volets coulissants qui font florès) et, de plus en plus, en structure, une volonté d’utiliser les fenêtres pour cadrer les vues (on ne donne plus seulement une vue, on la cadre !), la tentative d’’animer’ les façades, voire de les faire disparaître (ha cette fameuse recherche de la façade cinétique…), l’usage immodéré de la végétation en toiture, sur les murs, sur les balcons (ha ces bâtiments qui poussent…), la recherche réglementaire d’économie d’énergie (de la pompe à chaleur aux panneaux photovoltaïques au logement passif, voire actif), l’isolation par l’extérieur. Nous en oublions sans doute.
Le seul usage de matériaux nobles tend même à s’inscrire dans un mouvement qui se veut porteur de ‘modernité’ en réaction à la ‘tradition’ des immeubles promus par les majors de la construction pendant les trente, quarante et cinquante (pas si) glorieuses dernières années. Ainsi, quelques éléments rapportés de ‘style’ architecture contemporaine suffisent désormais à donner à l’auteur de l’ouvrage quitus de sa propre contemporanéité. Dit autrement, un bâtiment livré en 2016, stylé ou pas, réussi ou non, beau ou laid, est de fait contemporain également par son vocabulaire architectural et cela ne présage en rien de sa qualité ou de son confort d’usage.
Les ZAC désormais toutes pareilles de Strasbourg à Montpellier en passant par Bordeaux ou Dax ressortent-elles par exemple d’un style ? Le style n’est-il au final que la reproduction à l’infini d’une conformité réglementaire et intellectuelle ?
Que les politiques et journalistes généralistes ne s’embarrassent pas de détails de langage, passe encore mais n’est-il pas curieux d’entendre des maîtres d’ouvrage, des promoteurs, voire des architectes, promouvoir leur travail en parlant «d’architecture contemporaine» comme s’ils énonçaient une évidence ? C’est sûr que comme ça, question communication, ils ne prennent pas de risques. Pour le coup «architecture contemporaine» s’entend surtout, souvent, comme un viatique commode pour camoufler une vacuité de la pensée.
Il n’empêche que la réflexion architecturale, depuis l’aube des années 2000, a énormément évolué en deux décennies même si c’est à grands coups de phrases toutes faites et de slogans politiques et commerciaux. C’est aux universitaires sans doute qu’il appartient de s’interroger sur cette évolution et peut-être trouveront-ils qu’un ‘style’, qu’il leur faudra définir avec précision, en effet correspond à l’époque que nous vivons. Et peut-être l’un d’eux aura-t-il assez d’imagination pour ne pas l’appeler ‘architecture contemporaine’. Qui sait quel besoin aurons-nous demain de volets coulissants ?
Christophe Leray