Après avoir œuvré dans l’industrie musicale, le photographe Denis Lacharme ne sait pas (ou ne veut pas savoir) ce que l’architecture attend de lui. Mais lui, en tout cas, n’a pas assez de mots pour en parler qu’elle le laisse sans voix. Un ami, sans doute, se charge de la transmission. Tant de pudeur sied sans doute à un photographe d’architecture.
Le chantier du quartier Euratlantique, livra en 2017/2018 trois tranches d’un bâtiment développé par l’agence ANMA, sur l’emprise de la Halle Debat Ponsan, en alignement nouveau où loge le bâtiment de la MECA. Le photographe fait lever nos yeux, ne craignons pas les effets de vertiges des hauteurs. C’est l’effet d’un ouvrant en triangle dévoilant sans convier des fenêtres sur le paysage, judas des regards coulant, assurant l’intimité au soleil, des chambres signature d’un groupe mondial d’hôtels de luxe, où l’on reçoit aussi les Chihuahuas. C’est le nez levé sur cette structure répétitive récitant une géométrique en trompe l’œil à la Escher, telle une construction graphique à la Vasarely. Une ombre porte sur le bâtiment dans une variation infinie de beige, de grège, mais hors ce contraste il n’y a que le ciel, dont cette courbe culminante accompagne notre regard, par-delà cette élévation coupant l’azur. (Hilton Garden Inn Bordeaux, ANMA)
Un escalier rouge, à la fois voie de l’élévation et accès pour la sortie, une rampe d’échappement en sauvegarde. C’est la direction, une élévation acrobatique qui crâne face à la double voie défilant en contrebas. Pour l’Ilot Bernain à Anglet l’impression de falaise, biaisant avec l’angle, accompagne la progression statique du bâtiment, paquebot urbain aux façades illuminées de béton blanc poli. Déséquilibre causé par la sensation d’élévation des terrasses qui composent le jeu de façade aux larges renforts du bâtiment, ici la sécurité joue à l’étonnement. L’utilisation rouge du côté comique d’un camion de pompier, on ne peut pas rater ce passage, on ne doit pas l’ignorer, c’est la voie qui évacue ou élève. (Les terrasses de l’avenue à Anglet, Christian Larroque & associés)
C’est un vestibule austère qui invite à glisser au-delà. Car en deçà l’effet de réflexion fait mentir la rigueur sobre et austère, les éclats de surfaces déploient leurs volumes, offrant une solennité recueillie à ce qui n’est en définitive qu’un bel entrepôt. C’est la magie causée par l’effet de ne pas éclairer entièrement son sujet. Les locaux du négociant en vin ne sont pas un clos de couvent, ni un temple ou le recueillement s’inviterait par ce glissement mystérieux des éclairages. Ce sens de la progression est dramatisé par un clair-obscur où le photographe nous invite à son expression par une unique source d’ouverture illuminée. L’utilisation du béton apprêté et ciré, sol glissant de soie, la réflexion d’une pulsation disciplinée grâce aux «tenants» : les piliers de type industriel. Des colonnes métalliques, héritage de l’histoire industrieuse, commerciale, dans cet accueil en déambulation, autant des stations évoquant un temple accueillant. (Mähler Besse Négociants – Touton architectes)
Un puits de lumière, c’est dans cet angle de prise de vue vissée que la chute est adoucie dans un carré translucide, où les points de lumières nous alertent. Nous ne glissons pas par une trappe, mais notre regard est attiré dans cette succession de balcons intérieurs disposés autour d’un atrium élevé, dont la froide couleur de fer est adoucie par le verre laiteux. C’est le carré, pour un cube, l’ouverture l’entrant et le clos, dont les canons de l’architecture romaine classique persistent dans les thèmes infinis de variations contemporaines. On éleva les proportions idéales du carré des domus, les demeures italiennes aux cours intérieurs comme base de l’habitat, des constructions toujours debout et visitées qui inspirent dans les constructions restaurées de Pompéï et Herculanum (Nova Galaxy Logements à Mérignac – Thierry Chavanne / HPL)
Et si on jouait aux vitres ? L’artiste bordelais Jofo inscrit ses populations : dont la ligne courbe aux tics drôles, où ses gribouillis rigolent comme une trace d’eaux, sur les baies vitrées de la cité de la Part des Anges. Un projet ambidextre entre architecture et bande dessinée. Les heures d’ensoleillement évoluent en un jeu d’ombres s’éployant sur toute la longueur et le sol, au long du jour, les zigotos courent sous notre regard. Les colonnes qui cadencent le continuo des baies vitrées y gagnent un équilibre dansant grâce à ces tracés signatures. Notre attention jouera à cache-cache avec le paysage, le soleil, les nuages, le temps et l’horizon. La vie du signe envahit l’ouvrant d’un plateau et l’habitera de ses éclats de rire au soleil. (Part des anges Villenave d’Ornon – BUPA avec Jofo)
Aux fraîches heures du levant, les brumes en miroirs réchauffent cette perspective de l’entrant et du sortant des mégapoles contemporaines, ici Bordeaux élève une nouvelle barrière. Une bande de pelouse verte propulse la voie double de circulation. Tout droit, cela se déploie sur la gauche où sont les bassins à flots et au loin, dans une brume au romantisme allemand, s’aperçoivent les colonnes de granit de l’horizon lointain, qui sont les piliers du pont ou le manège enchanté. Ce seuil de ville récent qui joue au trottoir volant pour laisser entrer les bateaux des voyageurs, qui ne verront pas cette avenue dans ce sens.
Les thèmes de matériaux et les variations des volumes des façades foisonnent. Les analogies concordent pour cette vision urbaine partagée par tant de villes sœurs, concevant ces quartiers nouveaux aux logiques dynamisantes modernes. La pilule passe mal pour certains Bordelais citadins qui n’ont que patrimoine, histoire, héritage à l’esprit/la bouche/l’invective/. Les échanges des citadins contemporains sont pourtant majoritairement tournés vers le commerce, la gestion, l’accueil et l’opportunité commerçante. Le pont Chaban-Delmas pose comme nouvelle frontière d’ouverture de ce Bordeaux qui s’émancipe de son pesant héritage de ville monument, et sublime son avenir de nouvelle ville réactivée et de pôle touristique. (Quartier Bassins à flots à Bordeaux, avenue Lucien Faure)
Par l’effet de coude d’un bougé latéral, une vibration opérée par le voyeur, à l’instant clé où les feux du soleil ouvrent sur une vague. Cette déferlante nous trompe, elle fait semblant avec cet effet de prise de vue aux pourtours d’un regard déferlant au soleil couchant, dédoublant les colonnes innombrables (plus de 1000) qui sont à cette distance comme autant de brins d’herbe saluant les espaces végétaux du pré vert situé juste devant l’image. Cette performance de construction massive accueillant plus de 42 000 personnes les soirs de partages et d’exploits sportifs en frissonne. On est loin de l’océan, et pourtant cette impression sensationnelle opérée sur l’ensemble capté de cette construction du cabinet H&DM semble aussi légère et diaphane dans sa clairvoyance lumineuse qu’un crépuscule vibrant au large de l’Atlantique/Du Ponant. (Stade Atlantique – Herzog & De Meuron)
Un temple Khmer pour des vacances à la mer. Une construction privée aux soucis écoresponsables, constituée en façades de matériaux de bardage à l’aspect de bois flotté, et paraissant comme les caisses de bois, des bacs de verdures décorations, totalement déplaçable. Si l’on n’aperçoit aucune fenêtre, par l’effet d’angle de prise de vue, vissé par la succession des 5 façades en extensions, c’est que l’intimité des habitants se dérobe aux incursions. Mais la vaste maison accueille avec joie tous ceux qui en entrant vrillent le chemin de la perspective et aperçoivent les fenêtres et les ouvertures qui nous sont interdites sous cet angle. Les villas des environs n’auront qu’à bien se faire voir, derrière leurs clôtures végétales, et leurs murs indigènes. (Villa Cap Ferret – Touton architectes)
Vigie d’un rectangulaire cube bienveillant, ou n’a-qu’un-œil. C’est la jouissance du comique, trait d’esprit photographié, rendre le sourire à une maison solide par un seul trait d’esprit, le guetteur en son donjon. Des rectangles qui sont sagement assis dans un environnement naturel, apaisé contrôlé, le contrôle d’un seul ouvrant, c’est la liberté de transcription d’un point de vue, celui qui fixe.
Murs cloisons, béton et métaux gris ont été accordés ensemble. Pourraient-ils se vriller sur eux-mêmes pour ouvrir l’intérieur ? C’est la sensation qui s’invite par analogie, quand on entrevoit les claies de bois au rez-de-chaussée incitant à cette interprétation coulissante. Les volumes intègrent et protègent, c’est un logis type «fort classé», dont le premier demi-mur enclos, de la valeur métrique du terrain semble égaler celle menant jusqu’à la façade et harmonise la hauteur du bâtiment. (Villa Caudéran – Alain Triaud)
Denis Lacharme (Texte de Bertrand Boucquey)
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