Shoking !? Que les adorateurs de l’œuvre de Mies Van Der Rohe, dont je suis, veuillent m’excuser pour ce jeu de mots certes facile mais qui traduit toute la perversion qui s’insinue dans l’architecture lorsque l’usage d’un slogan, voire d’une « punchline », se retrouve galvaudé.
Il faut reconnaître à nos pairs du début du XXe siècle que leur avant-gardisme ne s’est pas intéressé qu’a l’architecture mais aussi à l’art de la communication en sachant synthétiser une pensée en trois mots, à une époque où le slogan n’existait pas encore !
Mais voilà, près d’un siècle plus tard, quand des générations entières d’architectes ont été biberonnées au « Less is More », aux « 5 points d’une architecture moderne » et à « L’ornement est un crime », il est légitimement permis de s’interroger sur l’impact de ces dogmes sur la production contemporaine. N’y a-t-il pas dans l’adoration de ces slogans une sorte de réponse rapide à des problèmes complexes ?
L’ornement est un crime ? Parfait ! Le Corbusier répond avec la façade lisse… et, quelque part, la réponse de Le Corbusier est juste dans l’acception de Loos.* En effet lorsque ce dernier énonce que l’ornement est un crime, c’est avant tout pour dénoncer les premiers usages du béton par ses contemporains qui singent des appareillages de pierre. Pour Loos, l’ornement consiste à ne pas assumer l’esthétique du matériau mis en œuvre. Autrement dit, faire une façade en plaquette de terre cuite sans l’assumer et utiliser des briquettes d’angle pour « faire croire » que le mur est en vraie brique. Pour autant, Loos n’envisageait pas que les façades dussent être lisses et sans modénature telle qu’elles le sont devenues aujourd’hui.
Modénature, terme éminemment élégant et aujourd’hui totalement disparu de la sémantique architecturale, relégué au titre d’ornementation, d’ostentation, alors que dans son acceptation première elle définit l’ensemble des profils et éléments créant des jeux d’ombre et de lumière sur une façade…
Nos bâtiments modernes doivent-ils être, telles des influenceuses collagénées, lisses et sans aspérité ?
Au-delà de la notion de modénature, c’est tout un vocabulaire architectural qui aujourd’hui n’a plus cours, des termes régionaux ou issus des procédés constructifs ayant été laminés par la vague du tout béton. Aujourd’hui celle de l’isolation par l’extérieur a réduit le vocabulaire à trois mots : la « vêture » , « le cadre » et « la couvertine ». Avec eux, vous pouvez décrire n’importe quelle façade contemporaine !
Le fameux « less is more » ne serait-il pas à l’origine de la disparition de bien d’autres éléments architecturaux ? il faut rappeler que l’expression de Mies est ambigüe car, prise au pied de la lettre, elle est interprétée comme « plus c’est simple mieux c’est ». Or elle doit aussi être interprétée comme l’art du minimalisme, sachant que la recherche d’un minimalisme esthétique nécessite beaucoup de travail. Il suffit pour s’en convaincre de regarder un poteau de n’importe quel bâtiment de Mies : le travail minutieux d’assemblage et le dessin millimétrique de ses extrémités expriment bien cette vision, loin de la vision contemporaine : un poteau ? Hop un cylindre !
Sur l’autel du ‘less is more’ passent toutes les justifications ! L’occultation ? Volets roulants et Hop, less is more ! Un dessin de façade ? Trame de mur-rideau et Hop, less is more ! Le haut du bâtiment ? Toiture-terrasse et Hop, less is more…
En réalité, derrière ces simplifications lénifiantes de la pensée architecturale se posent de vraies questions.
Prenons l’occultation. À l’heure du réchauffement climatique, cette problématique est on ne peut plus d’actualité et la résolution par un volet roulant évite de se poser la question de l’intégration dans une réflexion de dessin de façade, de s’exposer à un choix de matériaux, de fonctionnalité, de couleur, d’esthétique donc de tendance. Surtout cela évite de s’exposer à la critique, au jugement. Faire disparaître cette problématique, c’est couper court à tous ces débats.
Il en est de même pour la toiture. Aujourd’hui, sauf imposition de règlement d’urbanisme, tous les bâtiments sont coiffés d’une toiture-terrasse. C’est la faute à Corbu ! La toiture-terrasse est son idée ! Certes mais la sienne était accessible et habitée, dans une démarche hygiéniste, un solarium… pas un enchevêtrement d’objets techniques que personne ne veut voir et qui semblent traîner là, ou le sédum de plantoche grasse si chère à nos écolos contemporains.
En réalité, si le toit terrasse a prospéré autant, c’est avant tout parce qu’il permet d’éviter de se poser plein de questions : quelle forme de toiture ? quelle pente ? et pourquoi ? quel matériau ? avec ou sans débord ? quelle dimension de débord ? quelle sous-face ? quel chéneau ? un coyau ? quelle couleur ? quel faîtage ? autant de questions aujourd’hui éludées par la toiture-terrasse informe.
À l’heure où, pour les sujets environnementaux sont débattus l’usage des matériaux, le retour des circuits courts d’approvisionnement, etc. la question de l’écriture architecturale doit aussi se poser. Les pentes de toit avaient leurs raisons d’être. Dans certains endroits pour retenir la neige et isoler, ou au contraire pour évacuer la pluie abondante vite et loin. Sous climats chauds, les débords permettent de vivre dehors mais à l’abri de la pluie, quand ils sont au contraire réduits à leur plus simple expression en cas de climat venteux pour éviter les arrachements. Toute cette intelligence architecturale aujourd’hui perdue sur l’autel de l’architecture internationale va devoir être réapprise, tout ce vocabulaire architectural redécouvert et remis au goût du jour.
Sommes-nous prêts aujourd’hui à faire l’effort de réinterpréter ce vocabulaire autrefois abondant pour construire et décrire les bâtiments ? En effet, il en va de l’architecture comme de la pensée : la disparition des mots entraîne toujours une réduction de la pluralité des réflexions.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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