Dernière étape de ce Tour de France qui a fait la part belle au spectacle et retrouvé une animation journalière avec des coureurs qui ont tourné le dos aux multiples données qui encadrent leur effort pour laisser libre cours à leur instinct. Enfin une journée tranquille pour les coureurs, champagne pour le maillot jaune, avant la traditionnelle ronde infernale sur les Champs-Elysées avec un sprint de légende si Marc Cavendish l’emporte.
Les suiveurs parisiens sont déjà rentrés chez eux depuis la veille et ne viendront, en métro, qu’à la fin des débats. Les suiveurs de province profiteront de l’étape pendant la matinée et durant une bonne partie de la journée pour aller visiter quelques bâtiments dont ils ont à ce jour seulement entendu parler sans avoir encore eu l’occasion de les visiter. Comme il y a l’embarras du choix en Ile-de-France, le choix présenté ici est évidemment subjectif (au moins, les bâtiments sont sur la route).
Ils commenceront donc par prendre de l’avance tandis que le peloton qui roule paisiblement. Depuis Chatou, dans les Yvelines, s’arrêter après deux kilomètres seulement à Poissy et prendre le temps d’admirer la Villa Savoye. L’occasion pour les suiveurs, à l’instar des coureurs, de s’offrir une petite coupe bien méritée devant cette icône qui marque le début de la fin de leur périple architectural sur les routes du Tour de France. A la santé de Corbu donc !
Première halte ensuite à Versailles pour visiter le Gymnase Richard-Mique livré en 2011 par Fasso-Viaud Architecte et reconstruit à la suite d’un incendie en 2004. Le projet de 1 600m² offre un nouvel équipement pour le quartier en accueillant un centre sportif et associatif. Situé entre le centre ancien et les faubourgs, sa figure géométrique se présente comme un assemblage savant de volumes qui assume son statut de rotule urbaine.
De grandes facettes rectangulaires de pierre s’organisent en damier ménageant des pleins, des vides, des ouvertures et l’entrée principale. La pierre d’Euville compose ces panneaux et se soustrait parfois à la gravité grâce à un habile assemblage constructif qui, associé à un panneau nid-d’abeilles en aluminium, lui apporte la rigidité et la légèreté nécessaire. Cette minéralité associée à des panneaux en acier laqué auto patinable témoigne de la volonté d’inscrire également les matérialités dans la couture urbaine. A vérifier donc que la magie opère.
Avant de quitter Versailles, faire un tour au château, évidemment. Non pour le visiter en entier mais pour découvrir le pavillon Dufour, inauguré en juillet 2016 et signé Dominique Perrault et Gaëlle Lauriot-Prévost.
L’objectif de l’architecte consistait certes à inventer une boucle permettant, comme dans les musées du monde, de repartir par là où l’on est entré, en passant par la boutique bien entendu. Sauf que…
Passé les portiques donc, l’entrée débouche dans une grande salle d’accueil. Avec les tons dorés et la cotte de maille, Dominique Perrault parvient à réconcilier, à Versailles s’il vous plaît, les contraintes de l’histoire avec ses propres obsessions. Que l’on soit fan ou pas, peu importe, Dominique Perrault a gagné le concours à la régulière sans se cacher.
Le volume de ce nouvel espace est accueillant, vaste et peu encombré. Il ne semble pas criminel qu’un mur, fût-il historique, fut abattu ici et là. De fait, le chantier a permis de révéler bien plus d’espaces que ce qui était prévu au début. Et le travail de Bernard Desmoulins au Grand Commun de Versailles avait déjà démontré que l’on pouvait s’insérer dans le château de Versailles et faire œuvre représentative et contemporaine sans injurier ni l’histoire ni l’avenir. Dont acte.
La remontée dans Paris intramuros emmène alors les suiveurs vers le Pavillon Habib Bourguiba, second pavillon de la Tunisie de la Cité internationale universitaire de Paris (XIVe). Le projet conçu par Explorations architecture accueille une résidence étudiante, une cuisine collective, un auditorium de 250 places, une salle de lecture et un salon thé.
Le projet est marqué par ses formes sensuelles et son plaisir ornemental apparaît comme un exercice singulier pour Benoît Le Thierry d‘Ennequin, architecte associé Explorations Architecture. « La réalisation du Pavillon Habib Bourguiba fait partie de ces rares opportunités de construire un bâtiment autonome dans Paris, de se confronter à un condensé d’architectures remarquables, de refléter l’âme d’un pays – la Tunisie. Cette gageure, nous l’avons traduite à travers une ‘abstraction sensuelle’ où formes, espaces, motifs, lumières, toujours en mouvement, concourent à délivrer une expérience unique qui témoigne de la vitalité du pays », explique-t-il.
Le bâtiment et son moucharabieh contemporain, dont le motif est une extrapolation du travail du ‘street artist’ Shoof, évoque inévitablement la bibliothèque de l’Université de Cottbus réalisée par Herzog et De Meuron en 2004. Cette inscription dans l’histoire de l’architecture contemporaine est remarquable d’hommage et d’appropriation.
La situation du Pavillon Habib Bourguiba le long du périphérique ajoute une dimension cinétique à ce type de projet et permet de le mettre en mouvement à l’échelle de la ville.
Avant que les coureurs se mettent à tourner en rond sur les Champs-Elysées, les suiveurs ont encore le temps de se rendre dans le quartier Saint-Blaise, dans le XXe arrondissement, pour découvrir le Centre Sportif et Culturel livré par l’agence Bruther en 2014. Ce bâtiment, l’un des premiers de l’agence, signe l’amorce d’une nouvelle tendance de l’architecture française récemment développée par la revue d’Architecture dans un numéro spécial où la nouvelle ‘Punch Line’ « Simple, c’est plus », portée par son réacteur en chef Emmanuel Caille, tente de définir une nouvelle attitude française, voire européenne, de la scène architecturale.
Le bâtiment est donc une belle entrée en matière et offre sur 1 300 m² un concentré de cette direction que Stéphanie Bru, cofondatrice de Bruther, évoque dans une conférence au Pavillon de l’Arsenal : « Proposer des formes spatiales et constructives qui permettent de s’adapter à un environnement aujourd’hui nerveux, changeant et même imprévisible (…) Pour nous tous, les projets sont à considérer comme une chaîne inachevée qui finalement a commencé bien avant nous puis qui va se prolonger (…). L’architecture est directement liée à l’autre, qui la complète, qui la finit ».
Ce projet entre en résonnance avec une vision punk de la course de cette année où l’intuition et les sensations des coureurs ont pris le pas sur les données des compteurs multi-connectés et des stratégies compliquées. Bruther, face à une discipline trop portée sur les effets de manche, s’en tient à une volonté de précision, de souplesse des espaces et d’une matérialité en retrait des tics de son époque. Ses deux associés sont les fers de lance d’une génération qui questionne la précédente avec respect mais entend écrire le chapitre suivant en le situant de son époque.
Il sera temps de rejoindre la ligne d’arrivée pour assister aux derniers tours et au sprint final mais, en attendant le dénouement de la course, les suiveurs de l’architecture contemporaine pourront méditer cette citation d’Antoine Blondin, grande plume du Tour de France, qui sied aux deux pratiques : « c’est chose rare qu’un auteur cherche à se faire plus petit que son œuvre ».
Guillaume Girod et Christophe Leray (au terme de 21 étapes dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018