Le pavillon Dufour, signé de l’architecte Dominique Perrault et son associée Gaëlle Lauriot-Prévost, directeur artistique de DPA, a été inauguré par le président de la République en juillet 2016. Hiver 2017, une visite à froid. Force est de constater quelques dysfonctionnements, mineurs certes en regard du chantier réalisé, mais qui interpellent. D’autant que la presse ici ou là s’en est fait l’écho. A chaque fois, l’architecte semble avoir le dos large. Visite.
«Coupable de tout, c’est là que nous avons le plus de rédactionnel», ironise Dominique Perrault. Il est vrai que le premier réflexe d’un visiteur lambda est de blâmer l’architecte dès lors qu’il considère tel ou tel élément de conception non fonctionnel ou inadapté. Mais, en l’occurrence, où commence et où finit la responsabilité de l’architecte ? A Versailles, ce que voit le visiteur et les explications de Dominique Perrault.
Première surprise, seulement deux portiques de contrôle à l’entrée de la nouvelle salle d’accueil. Il passe 7,5 millions de visiteurs par an à Versailles et donc, forcément, ça bouchonne ! L’entrée unique était un critère imposé. Catherine Béjard, depuis octobre 2011 présidente de l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, avait pourtant fait de la diminution des files d’attente l’un des objectifs du projet.
En 2017, les files d’attente sont toujours là et les touristes font part sur les réseaux sociaux de leur surprise, sinon de leur mécontentement, quant à la gestion des foules à Versailles. En 2011, fait valoir Dominique Perrault, quand son projet a emporté le jury, nul n’avait jamais imaginé les attentats de 2015 et suivants. Encore moins quand les travaux du Pavillon Dufour constituaient déjà un des projets majeurs du schéma directeur du «Grand Versailles» lancé en 2003. Les temps changent, l’actualité récente au Louvre en témoigne.
Ce ne sont d’ailleurs pas seulement les musées et châteaux qui sont affectés par l’évolution du paradigme sécuritaire : ce sont aussi les écoles, les palais de justice, les commissariats, l’espace urbain même. Comme le parti du projet de Dominique Perrault était de s’inscrire dans l’existant, ce n’est pas comme s’il pouvait pousser les murs. D’ailleurs, ce nouveau parcours d’entrée ‘sécurisé’ fait fi de celui qu’avait imaginé Perrault. Sans même parler d’un premier dispositif de contrôle dès la nouvelle et resplendissante nouvelle grille d’entrée : Vigipirate, une première file d’attente. Bientôt les contrôles commenceront tout au début de l’avenue de Paris.
Du coup, il est difficile d’imputer à l’architecte la file d’attente. De toute façon, «dans un bâtiment qui accueille 30 000 personnes par jour, il y aura toujours des files d’attente», fait remarquer Dominique Perrault.
Son objectif à lui était ailleurs, sa mission consistant à inventer une boucle permettant, comme dans les musées du monde, de repartir par là où l’on est entré, en passant par la boutique bien entendu.
Passé les portiques donc, l’entrée débouche dans une grande salle d’accueil. Avec les tons dorés et la cotte de maille, Dominique Perrault parvient à réconcilier, à Versailles s’il vous plaît, les contraintes de l’histoire avec ses propres obsessions. Que l’on soit fan ou pas, peu importe, Dominique Perrault a gagné le concours à la régulière sans se cacher. Le volume de ce nouvel espace est accueillant, vaste et peu encombré. Il ne semble pas criminel qu’un mur, fut-il historique, fut abattu ici et là. De fait, le chantier a permis de révéler bien plus d’espaces que ce qui était prévu au début. Et le travail de Bernard Desmoulins au Grand Commun de Versailles avait déjà démontré que l’on pouvait s’insérer dans le château de Versailles et faire œuvre représentative et contemporaine sans injurier ni l’histoire ni l’avenir. Dont acte.
Mais ce n’est pas de style que parlent les murs qui ont des oreilles mais de ce sol en métal si glissant. Son calepinage est directement issu de l’esprit du lieu, c’est-à-dire royal. Le dessein est subtil, pourquoi pas donc. Le souci cependant est que ce sol est glissant et qu’il montre déjà des signes d’usure. Pour un plancher qui n’a pas un an ! Les mauvaises langues font valoir que déjà les gens se cassaient la figure sur le parvis de la grande bibliothèque.
Ce sol en métal se révèle suffisamment dangereux que, plus tard, vers la fin de la visite, en direction de la boutique, il soit recouvert d’une moquette d’urgence d’un goût peu sûr là où l’un des nombreux réglages de niveau que l’architecte a dû résoudre crée une petite pente. Au temps de Louis XIV, les demi-niveaux avaient la cote et permettaient sans doute de rattraper les erreurs des architectes qui ne disposaient pas d’ordinateurs. Bref «les gens risquaient en effet de tomber», convient Dominique Perrault.
L’architecte explique que l’agence et le château sont en contentieux avec l’entreprise, laquelle «n’a pas installé le matériau anti-dérapant adéquat prescrit lors de l’appel d’offres». Soit. Il demeure tout de même étonnant qu’un tel plancher «non prescrit» soit posé tout au long du parcours sans que quiconque ne s’aperçoive en temps en en heure durant le chantier que ce matériau n’est pas le bon. Problème d’échantillonnage ?
Toujours est-il que plus tard, vers la fin de la visite, nouvelle queue aux toilettes, aux toilettes des femmes plus précisément. Un problème de contre-pente. Dit autrement, l’évacuation des toilettes des femmes fonctionne mal, d’où la queue. Imaginez ces touristes féminines venant du monde entier finissant leur visite ainsi, dans la dernière mais la plus inconfortable des files d’attente, juste avant la boutique. Faut-il qu’elles aient de la patience. A Versailles ! De quoi décourager les plus volontaires.
C’est à se demander : «la même entreprise ?», s’enquiert-on. «La même entreprise !», soupire Dominique Perrault. Il n’est pas le seul à se plaindre de la dégradation du savoir-faire des entreprises en France.
Encore que le savoir-faire du béton demeure. Près des toilettes justement, un tunnel technique parfaitement invisible passe désormais sous la cour royale et relie les deux ailes du château. Par ses dimensions, son volume, sa texture, ce tunnel est superbe, un ouvrage d’art, épuré, limpide, parfaitement éclairé. Il s’agit d’une circulation de service et les touristes n’en soupçonnent jamais l’existence mais il en devient permis de se demander pourquoi le château ne mettrait pas en valeur cet espace. Mais je m’égare.
Retour à l’accueil. Après avoir pris son billet et admiré les luminaires, la foule doit, pour commencer la visite, se diriger vers une sortie minuscule, un véritable goulet d’étranglement. Inconscience ?
Dominique Perrault avait gagné le concours avec le parti de ne pas transformer les façades. Pour faire simple, de fait, il n’a pas changé les dimensions d’une fenêtre ou une porte. Bonne ou mauvaise idée, peu importe, c’était son parti et, pour le coup, la seule sortie possible de la salle d’accueil était cette porte étroite, comme Millau avant le viaduc.
Plus étonnant encore est que le visiteur doit alors traverser la cour royale pour rejoindre, dans l’autre aile, les banques d’audioguides et les consignes. Les mauvaises langues sont, là encore, rapides à blâmer l’homme de l’art : pourquoi ne les a-t-il pas tout simplement installées à l’accueil ? A moins que ce ne soient les syndicats, toujours vent debout contre l’évolution ?
A la vérité, l’architecte n’y est pour rien, le maître d’ouvrage et les syndicats ne sachant plus trop que faire de ces audioguides. En effet, souligne Dominique Perrault, leur intérêt même est remis en cause. Déjà, chacun peut visiter les jardins du parc avec une simple application sur un smartphone. Ce sera bientôt le cas pour la visite du château. Que faire des banques d’audioguides ? Bref, ce qui apparaît à cet instant T comme une difficulté, voire pour certains une erreur de conception, n’est en fait que le signe d’une évolution sensible de la société. Une certitude : le préposé aux audioguides va perdre son emploi. Se souvenir alors que le plan directeur du projet date de 2003. Comme quoi, à partir de ce goulot d’étranglement…
Cette contrainte physique met en exergue la faculté qu’eut l’architecte à inventer des espaces là où nul ne pensait qu’il y en avait encore. Faire d’une ancienne citerne une boutique, pourquoi pas. Mais apporter de la lumière naturelle dans une citerne enterrée, à Versailles, sans tout casser, est un autre exploit. Difficile d’anticiper leurs coûts de maintenance mais l’invention de ces caissons puits de lumière qui guident vers la sortie et l’escalier menant à la cour des Princes, fait oublier que l’on se trouve dans un espace souterrain. Les arcades de la citerne rappellent à qui l’oublierait que nous sommes à Versailles tandis que les meubles de la boutique font le lien entre hier et aujourd’hui avec bonheur.
Mais, même là, le détail qui tue. Une charmante hôtesse de se féliciter en effet de la lumière naturelle mais de remarquer que cette transparence attire les voyeurs. Quoi ? Oui, explique-t-elle, avec les copines, elles ont bien remarqué que des voyeurs utilisent ces puits de clarté pour regarder – en été sans doute – sous les jupes légères des filles, comme dirait Alain Souchon, lorsqu’elles empruntent la sortie et l’escalier. Paraît-il même que d’aucuns au château réfléchissent à d’éventuelles solutions. Mettre un filtre sur le verre ? Mais le but du dispositif est justement la lumière naturelle, pourquoi le rendre opaque ? Un vrai casse-tête apparemment. Et pour les touristes féminines au château, après Vigipirate, les portiques aéroportuaires, le sol casse-gueule, la queue devant les toilettes, les voyeurs de Versailles !
Quand l’anecdote est rapportée à Dominique Perrault, qui ne la connaissait pas, l’architecte se souvient qu’il avait rencontré, après la livraison en 2008 de l’université féminine d’Ewha, en Corée du sud, une problématique du même ordre : on pouvait, paraît-il, à travers les escaliers à claire-voie, voir sous les jupes des filles. Scandale à l’université ! L’agence et l’université ont donc mené une véritable enquête auprès des étudiantes. Conclusion ? «Un fantasme», s’amuse Dominique Perrault. Coïncidence ? C’est à l’honneur de DPA que, à Versailles, son projet à peine construit soit déjà le théâtre d’une légende urbaine. Avis aux a-mateurs !
Le 1 % artistique, un autre fantasme ? Dominique Perrault a fait appel à Claude Rutault, qui était déjà intervenu à Versailles. Chacun comprend vite l’intention de l’artiste, tous ces marbres symboles de l’histoire du château ! Mais, alignées ainsi en rang d’oignons, ces pierres font aisément penser au show-room d’une entreprise de pompes funèbres. Dominique Perrault indique à juste titre que l’artiste est libre de ses choix. Souvenez-vous du vagin de la reine d’Anish Kapoor.
Avant de partir, allons donc visiter le Ore, comme son nom l’indique, le restaurant d’Alain Ducasse. Surprise, en sortant de l’ascenseur, vous êtes dans la cuisine, littéralement, comme dans un film ou une émission de téléréalité ! Contrainte structurelle ? A quoi pensait donc l’architecte ? «Alain Ducasse avait la volonté que la cuisine soit un élément de mobilier, que pour le touriste ou le gourmet ce soit comme visiter la cuisine du roi». Dont acte. A noter que le bar, dessiné par l’agence également, vaut le détour.
Surtout, au fil de la visite, il devient évident qu’un tel chantier fait forcément l’objet de moult réserves, surtout si les entreprises n’y ont pas mis du leur. L’auditorium par exemple est un magnifique nouvel espace dédié aux conférences. Mais la lumière ne peut pas être régulée, le chauffage est mal équilibré, les éléments du garde-corps en verre sont mal alignés, l’accès PMR à l’estrade se situe devant l’écran et les conférenciers tendent à trébucher, l’espace dédié aux traducteurs n’est pas adapté. Détails ? Des réserves sans doute. L’architecte ? L’entreprise ? La maîtrise d’ouvrage ? Le bureau d’études ? Pourquoi, près d’un an après l’inauguration reste-il tant à faire ?
A cette dernière indignation, Dominique Perrault rappelle alors que les réserves ne peuvent être levées, une par une, que le lundi, quand le château est fermé et que des travaux peuvent être effectués. C’est dans l’interstice entre le temps court de la visite du touriste et le temps long de l’architecture que naissent ainsi des malentendus. Alors, quand il faudra changer le plancher…
Le neuf, l’ancien, l’or et la cotte de maille, Versailles s’étire dans le temps et sans doute, toutes les réserves n’étant pas levées, est-il trop tôt pour tirer le bilan du travail de Dominique Perrault et de Gaëlle Lauriot-Prévost à Versailles. La prochaine génération peut-être…
Christophe Leray