Depuis quelques mois, pas une journée sans que ne paraisse une annonce en marché public avec son lot de d’espaces de «coworking», tandis que des ‘fablabs’ s’épanouissent plus heureux que les coquelicots en plein mois d’août dans chaque «cluster» culturel ou patrimonial dont nos villes se dotent chacune à leur tour. Qui a dit que pour être «trendy», l’architecture devait se conjuguer en anglais ?
Pour un corps de métier pas vraiment réputé pour sa maîtrise de la langue de Franck Gerhy, nos architectes frenchies utilisent pourtant beaucoup de franglais, voire le franglish, quand bien même les vocables corbuséens font légion. Les nouveaux «greenlab» se rêvent même en dignes représentants de la «French touch».
La construction culturelle se joue ainsi dans les nouveaux quartiers. Autour des «Hubs» de la Métropole du Grand-Paris ou toute autre ville française se pressent autant de nouveaux immeubles nommés «Mixity», «Black Swans», «Mayflower» et autre «Citizen». Et pour réaliser l’opération, il faudra bien entendu avoir été en bonne place sur les «short lists» des promoteurs.
Désormais, les «smart cities» portent en elles les enjeux des territoires de demain, permettant à la matière grise de s’émanciper au sein de «think tanks» représentatifs de la qualité de la «French tech». Lors des «workshops» que tiennent régulièrement les têtes pensantes de la ville, l’«urban design» est calibré, comme les cibles «green» à atteindre.
Pas une nouvelle livraison sans son lot de labels «Biodiversity», «Breeam» and Co, parce que l’architecture est un «soft power» qui se renouvelle en douceur. Les quais des villes portuaires ou fluviales sont devenus des «docks» à réaménager tandis que les urbanistes ne cessent de porter une attention toute particulière à la «skyline» des villes et à leurs «highlights». D’ailleurs, pour fabriquer la ville, plus besoin d’urbaniste, en revanche l’«urban planer» est ardemment recherché !
En plus de rédiger leur site internet en anglais, oubliant la pratique aléatoire de la langue anglaise des concepteurs francophones, et ce, même des nouvelles générations, les grandes agences proposent toutes leurs lots de «retail», de «design» et de «landscape» et, depuis peu, des «art galleries».
Pourtant, à l’instar de bien d’autres domaines d’activité, l’anglais met du temps à s’imposer autant sur les chantiers que dans les bureaux des commanditaires. L’anglais c’est pourtant «in», c’est branché, mis à toutes les sauces. Quitte à lui faire faire des allers-retours accouchant de perles précieuses-ridicules comme le néanmoins très sérieux incubateur ministériel nommé «GreenTech verte». Ce qui ne s’invente pas ! Un GreenTech rouge, pour le coup, c’est possible ? Est-ce que cela signifie qu’il faut mieux avoir l’air dans le vent et ridicule que de renvoyer une image ringarde mais à l’élocution claire et simple ?
A quoi sert cette volonté de mondialisation et d’uniformisation de la langue, alors que sur les chantiers, les langues parlées sont historiquement plus proches du portugais ou du polonais, que les architectes baragouinent peu la langue de Shakespeare et que les entreprises battent encore drapeau bleu-blanc-rouge ? Appeler une bibliothèque universitaire «learning center» apporte quoi de plus au projet, mis à part dans ce cas précis que l’apprentissage s’uniformise dans des usines à fabriquer le savoir ?
L’uniformisation des mots de l’architecture autour d’un langage bancal d’ailleurs utilisé à tort et à travers par tous, stars, jeunes, vieux, au Pavillon de l’Arsenal, à l’Agora de Bordeaux et dans les écoles, reflète peut-être justement les vices des concepteurs des villes d’aujourd’hui : la standardisation des ZAC, l’américanisation des quartiers d’affaires autour de formes aussi bavardes que promptes à camoufler la pauvreté constructive des bâtiments. Or, un «skydome» ne permet pas de qualifier toutes les verrières, de même qu’un «learning center» ne saurait être à même d’exprimer toutes les sortes de bibliothèques.
La faute à qui ? Aux maîtres d’ouvrage qui privilégient l’image et le coût d’une opération, aux architectes en mal d’idées neuves à exprimer ? Un bref regard aux propositions du concours ‘réinventer Paris’, sur lequel il est décidément bien facile de taper, l’aura démontré. Si le vocabulaire change, pas les projets. Et les journalistes de s’émerveiller devant les «flagships» des «concept stores».
Vocabulaire architectural trop à la mode pour être honnête ? Utiliser l’anglais finit en effet par ressembler à une gesticulation destinée à camoufler la pauvreté du discours. Depuis la révolution industrielle, les mots n’ont eu de cesse de faire des allers-retours entre les continents, souvent au service de l’enrichissement de la langue. Un exemple réussi sera peut-être celui du ‘bow-window’, un «bay-window» en anglais, un oriel en français.
Sauf que cette appropriation de la mondialisation langagière montre que les concepts sont inventés ailleurs. «Co-working», c’est bon mais ‘travail en équipe’ hérisse le poil des Français individualistes incapables désormais d’inventer des concepts qui seraient repris tels quels, en français dans le texte, à l’étranger? Cela mériterait sans doute un «Benchmark».
Léa Muller