Créée en 1957 et portée sur la réhabilitation en cœur de Paris, l’agence DTACC Architectes est aujourd’hui dirigée par une troisième génération d’associés. Les gammes de l’agence comme les projets ont évolué, parfois même remis sur la table à dessins, l’ADN initial a été transmis. Rencontre.
« La réhabilitation est la transmission d’un projet d’une époque vers une autre », explique Jérôme Liberman, associé de DTACC. L’architecte sait de quoi il retourne. Depuis 1957, l’agence parisienne fondée par Jérôme Delaage et Fernand Tsaropoulos s’est fait un nom dans la réhabilitation en grande partie dans le triangle d’or des affaires de la capitale.
En 1997, ils sont rejoints par Georges Carvunis et Jacques Cholet, ajoutant leurs initiales à celles des fondateurs et scellant le destin de DTACC.
Désormais, dans ses bureaux rive gauche, l’agence est dirigée par trois associés et compte 60 collaborateurs. Les architectes Jérôme Liberman et Christian Sbeih codirigent l’atelier avec Fabrice Mathy, davantage tourné vers le chantier.
L’histoire de l’agence recoupe en de nombreux points celle de l’exercice de la réhabilitation parisienne. « Historiquement, le terrain de jeu de DTACC se trouvait dans les VIIe et VIIIe arrondissements de la ville. » raconte Jérôme Liberman.
« En refusant la démolition, l’agence et ses maîtres d’ouvrage, déjà en majorité issus de la culture immobilière privée démontraient qu’ils avaient vingt ans d’avance sur la prise de conscience parisienne actuelle », constate Christian Sbeih.
Preuve s’il en fallait, DTACC œuvre désormais au-delà des arrondissements d’origine jusqu’aux villes de proche banlieue et métropoles régionales. Pour convoquer un autre témoin de l’envergure prise par cet exercice longtemps vu comme le parent pauvre du travail de maîtrise d’œuvre, il faut s’attacher à l’époque de construction des bâtiments aujourd’hui restructurés. « Nous analysons de plus en plus de bâtiments des années ’30, ’40, ’50, jusqu’aux années ’90. Nous attaquons même pour certains la seconde génération de réhabilitations », précisent les architectes.
Chez DTACC, la question de la transmission de l’agence anime de la même manière celle de la transmission des projets, d’une époque à une autre. « Nous cherchons toujours à faire évoluer notre pratique d’architectes pour faire évoluer les projets et l’agence. Nous cherchons à prendre soin de ce qu’il y a de mieux dans les existants », disent-ils, évoquant sans cesse la remise en question des besoins, des usages ou encore des réglementations. Au point de devenir davantage une marque que des noms ou des personnalités ?
Comme les 60 collaborateurs réunis en un seul lieu, les hommes de l’art prônent par la réhabilitation, la mixité et la concentration des fonctions et la densification des immeubles afin de ramener en ville ceux que l’étalement urbain a éloignés. Une posture aujourd’hui sans ambiguïté et qui fait consensus.
Parce que la réhabilitation s’y prête plus que tout autre exercice, DTACC conserve la pleine maîtrise de ses chantiers. « Notre pôle MOEX en interne entre dans les projets dès la phase PRO. C’est important d’impliquer les chefs de chantier dès la conception puisque nous estimons que 20% de arbitrages et des prises de décision liés à la conception sont en réalité pris sur le chantier. Le projet doit s’adapter à l’après curage et aux surprises », relève Christian Sbeih.
Du dessin à l’exécution, la transmission des informations demeure un point crucial de la réussite d’une commande. « Les chefs de chantiers sont gardiens de la qualité architecturale », complète Jérôme Liberman.
Cette capacité à intégrer la technicité fait partie d’une méthode développée à l’agence. Chaque bâtiment est appréhendé comme un prototype car aucun n’est identique à un autre, ni en hauteur, ni en proportion. « Aussi complexe qu’un avion de chasse, un bâtiment n’est pas, et ne doit pas, être réplicable », disent-ils.
Au-delà des analyses urbaines et architecturales classiques, donner une seconde, voire une troisième vie à un ouvrage est de plus en plus nécessaire entre autres pour des raisons thermiques, en témoigne l’opération de l’îlot Châteaudun (IXe) qui a vu sa façade entièrement reconstruite pour en améliorer les capacités thermiques. « Nous cherchons à donner les clés de l’évolution du bâtiment dans le temps », indiquent les architectes.
Les interventions sont nécessaires, il faut profiter du déjà-là, offrir vingt ou trente ans supplémentaires à l’ouvrage. L’architecture doit cependant pouvoir être modifiée après eux et ce travail est ancré dans son temps et dans l’économie du moment.
Il y a trente ans, la réhabilitation était un acte rare, aujourd’hui la demande est politique. « Il ne faut pas tomber dans le piège de la patrimonialisation à tout prix mais trouver un équilibre, notamment économique sur la question du désamiantage dont la facture est importante », tempèrent les architectes de DTACC.
En décortiquant les ouvrages existant, l’agence propose un travail de l’intérieur vers l’extérieur, à l’inverse des opérations neuves qui privilégient des lectures de la façade vers l’intérieur. La réhabilitation permet de gagner de la qualité d’usage en plus des m², disent-ils. « Rue de Bercy, nous avons réussi à gagner 90 m² par étage et toutes les fenêtres peuvent s’ouvrir. L’équation d’usage rejoint réellement le bilan », se félicitent les concepteurs.
D’autant que, bien que ces vingt dernières années aient démontré la capacité des ouvrages des années ’70 à muter, la question se pose toujours à un moment du projet de ce qui fait réellement œuvre ? Cette question revient régulièrement au sein des discussions avec les ABF et la commission du Vieux-Paris pour qui admettre l’évolution des bâtiments est un éternel débat. En tout état de cause, la philosophie de l’agence reste de préconiser le cas par cas, notamment à propos des immeubles conçus autour des années ’70 à ’90.
Rue de Bercy, Gare de Lyon donc, l’exercice a été mené (en collaboration avec l’agence DATA) avec assurance pour la foncière Gecina sur un îlot imaginé par Dubuisson et Herbert dans les années ’60 et représentatif de l’urbanisme de dalle qui impactait le fonctionnement plus récent du bâtiment. Redescendre l’accès au niveau de la rue pour accompagner le dialogue au piéton était la priorité. A l’opposé, les architectes ont aussi permis à l’ouvrage de retrouver un rapport au ciel notamment avec un double niveau en attique. De fait, le battement de 17 niveaux retrouve des proportions plus urbaines, voire parisiennes.
La restructuration complexe, notamment en cœur historique, est œuvre encore délicate puisque toujours plus soumise aux respects de normes et de sécurité. « Nos projets sont régis par la sinistralité et les assurances. Tout est surréglementé, ce qui devient handicapant en nous empêchant de trouver des solutions pérennes à des problèmes récurrents », regrette DTACC qui, ironie du sort, œuvre pour des assureurs.
Transmission d’une agence et d’un savoir-faire ? DTACC en tout cas offre à ses projets et leurs auteurs toutes générations confondues de défier le temps.
Léa Muller