Ça y est, nous venons d’assister en direct live à la mutation considérable d’un gène urbain. C’est le rêve de tout généticien urbaniste : assister au moment précis où mute un gène. Cela est survenu récemment : en l’occurrence, le passage du gène ZCR (Zone à Circulation Restreinte) en gène ZTL (Zone à Trafic Limité). Le citoyen doit-il s’inquiéter ?
Comme à chaque fois qu’une agression menace les tissus, un organisme mutant vient s’ajouter aux nombreuses manifestations des anticorps censés lutter contre l’agression dont est victime le biome.
Le nouveau gène surgi des laboratoires de recherches sur le génome urbain a été obtenu par mutations successives du gène ZCR (version française du ZFR des différents laboratoires étrangers des principales métropoles) qui conférait à la ville une régulation du trafic en fonction du niveau d’émissions polluantes des véhicules, l’accès à une ZTL fait dépendre l’usage d’un quartier du motif de circulation.
En l’occurrence, le simple transit à travers une ZTL est interdit et d’aucuns ne peuvent se rendre dans cette zone qu’avec un motif bien spécifique (domicile, travail, rendez-vous médical, courses,etc.). Petit bonus, les deux gènes en question sont évidemment compatibles : avant de pouvoir se rendre dans la ZTL, il faut déjà répondre aux impératifs du ZFE.
Le projet n’est pas nouveau puisqu’il y a deux ans déjà les laboratoires de recherches de la municipalité présentaient un tract visant à interdire la circulation de transit dans l’hypercentre de la ville de Paris. Un choix qui se plaçait alors dans la lignée des précédentes décisions telles que les fermetures des voies sur berges, la mise en place de la ZCR, la suppression de places de stationnement, l’abaissement des limitations de vitesse, etc.
Le laboratoire auteur de cette mutation a confirmé que la Zone à Trafic Limité (ZTL) verrait le jour début 2024. Cette mesure doit permettre de réduire de moitié le trafic dans la zone concernée. Le domaine d’action du ZTL inclura dès sa mise en place les quatre premiers arrondissements de Paris, ainsi que la partie au nord du boulevard Saint-Germain des Ve, VIe et VIIe arrondissements.
Cette espèce de grosse cellule avec un noyau rouge vif est bien la représentation de la ville infectée par le virus génétiquement modifié du ZCR muté en ZTL dont nul ne encore s’il s’agit d’une réaction à l’engorgement automobile contre laquelle la ville réagit grâce à la mutation de virus réglementaire ou une manipulation de laboratoire qui aurait mal tourné.
C’est l’apanage de cette alchimie de toucher au cœur du problème sans en étudier les conséquences à long terme sur l’évolution du biotope qui, certes, ne subirait plus les agressions dues à une circulation automobile pléthorique et inconvenante, mais la régulation qui en résultera ne saurait laisser indifférents les différentes espèces qui, justement, se nourrissent du trafic, selon les règles de la chaîne trophique que constitue l’essence de la biodiversité urbaine.
Le petit commerce qui ne se relève jamais d’une piétonnisation outrancière, les recettes fiscales d’un racket lié au stationnement, toute la chaîne des amendes que génère son non-respect, etc. Sans oublier bien sûr la production des automobiles sur laquelle agit cette mutation, provoquant une baisse considérable des commandes liées à l’inutilité de l’usage de l’automobile en milieu hyperurbain. Dont le paradoxe est justement d‘avoir provoqué cette mutation pour protéger la qualité du développement harmonieux de la Ville grâce à l’essor des modes de transport doux.
Si, simultanément, les laboratoires de recherches en génétique urbaine arrivent à mettre au point une version quasi parfaite du gène ZTL, un laboratoire concurrent élabore des dispositifs destinés à l’éradication des trottinettes et le biome de s’interroger sur la finalité de toutes ces interventions sur le biotope urbain. Demeure l’hypothèse d’une fuite de laboratoire du virus trottinettophore par la faute d’un trop grand nombre de manipulations débouchant sur une combinaison génétique ZTLZFR qui se répand comme une traînée de poudre et infecte le milieu organique en charge de la régulation de la chaîne trophique du biotope.
Entre l’époque quand le Président Pompidou souhaitait que la ville soit adaptée à l’automobile et les récents travaux incohérents des apprentis sorciers d’aujourd’hui, il y a eu l’invention d‘outils, d’instruments de mesure, de contrôle, et surtout de l’intelligence artificielle pour modéliser les éventuelles hypothèses de toutes les mutations d’un Paris haussmannien en un Paris du tout automobile. Brusquement, en mettant à l’œuvre le règne tout puissant des laboratoires de génétique urbaine, l’inversion du système échappe à tout contrôle politique.
Or, justement, ce qui pourrait sauver nos villes sont les politiques. Nous en voulons pour preuve le récent discours du ministre de l’Écologie, Christophe Béchu, pour régenter la pollution et la gabegie des enseignes lumineuses, non indispensables à la survie du biotope :
« … Il convient d’établir une stratégie de “sobriété” fondée sur des trajectoires de réduction des consommations électriques et d’émissions carbone du parc des publicités lumineuses en tenant compte des caractéristiques, usages et besoins des univers de transports selon leurs périmètres à la date de signature de la présente charte… »
Nous sommes sauvés !
François Scali
Retrouvez toutes les chroniques de François Scali