Quand l’urbanité met la pression sur la ruralité… Ces derniers temps, le monde a le regard tourné vers la crise ukrainienne. Celle-ci sert de prétexte pour les politiques afin de s’affranchir de notre dépendance aux énergies fossiles. Cette pression met cruellement en exergue l’effet induit par nos volontés écologiques urbaines sur nos campagnes.
En effet, après des années passées à promouvoir le chauffage au gaz par le truchement d’une réglementation thermique outrageusement avantageuse, nous voilà dépendants d’un gaz russe devenu inacceptable. Pour s’en affranchir, les pouvoirs publics mettent l’accent sur le Biogaz, le nom est bien trouvé, ça fait nature !
Mais comment est-il fait, ce Biogaz ? Initialement grâce à des méthaniseurs censés recueillir les bouses de vache des élevages… d’une pierre deux coups, les bouses ne participent plus au réchauffement climatique, et elles produisent de l’énergie ! De quoi réconcilier un écologiste avec l’élevage bovin pourtant bien décrié pour sa consommation de maïs – lui-même consommateur d’eau – et son bilan carbone soi-disant désastreux !
Cependant, pour assurer la production en masse de Biogaz, toutes les vaches françaises n’y suffiront pas. Les pouvoirs publics ont donc ouvert le droit à mettre du maïs directement dans les méthaniseurs ! car la plante a un pouvoir de production de gaz équivalent à la bouse de vache ! En d’autres termes, pour que les urbains puissent avoir des bus « écolo » au Biogaz et se chauffer, l’Etat demande donc aux agriculteurs de faire des champs de maïs, non pas pour nourrir les hommes ou les animaux mais pour directement le décomposer et ainsi produire du gaz !
Au-delà du côté perturbant de transformer nos agriculteurs en producteurs gaziers, une telle politique peut laisser dubitatif quant aux combats écologiques à géométrie variable : les ayatollahs se scandalisent régulièrement des volumes d’eau nécessaires à la culture du maïs mais s’élèvent contre les réservoirs faits pour y répondre et, en même temps, promeuvent les méthaniseurs ! Cet écologisme qui prône le végétarisme, voire le véganisme, s’élève contre la maltraitance animale des filières d’élevage mais n’a rien contre le fait que les vaches soient transformées en usine à biogaz !
Le domaine de la construction n’est pas en reste. Après la mode de la construction en bois, les écologistes urbains s’élèvent contre l’industrialisation de la forêt ! Le bois c’est bien mais les arbres c’est mieux ! Ils viennent manifestement de découvrir que le bois n’est pas un matériau miracle qui apparaît par magie, sous forme de poutre ou de planche mais qu’il est issu d’un processus industriel qui commence par la plantation d’une pousse, puis l’abattage d’un arbre pour enfin le transformer.
Et, en effet, cette industrie sélectionne des espèces pour leur rentabilité et leur performance et modifie le territoire. Un travail de sylviculture en somme, oui mais voilà, il faut laisser la nature sans l’exploiter, donc la construction bois est déjà passée de mode au profit du chanvre et de la paille !
Plus rapide, plante annuelle à fort développement, le chanvre présente plein de qualités que l’on retrouve après l’avoir abandonné durant des années. Donc maintenant il faut construire en chanvre, laine de chanvre, béton de chanvre, tout y passe ! Mais le chanvre, il pousse où ? Et bien dans des champs ! Demandons donc aux agriculteurs de le produire, en plus du maïs pour faire le gaz ! Donc nos agriculteurs sont aussi nos producteurs de matériaux de construction !
Le contexte géopolitique actuel tend aussi le marché des céréales et certains pays comme l’Inde ont ouvertement annoncé qu’ils n’exporteraient plus leur production, la réservant pour leur propre population ! Donc les agriculteurs français vont devoir en produire plus mais avec moins de champs !
Le point positif est que les urbains réquisitionnent aussi maintenant la paille pour isoler les bâtiments ! A nouveau, une pierre deux coups ! C’est omettre que le monde rural exploitait déjà la paille, pour l’élevage, et comme engrais naturel. Les vaches productrices de biogaz vont devoir se battre contre les constructeurs pour préserver leurs litières et leur fourrage !
Pendant que l’on transforme nos agriculteurs en producteurs de matériaux de construction et d’énergie plutôt qu’en nourrisseurs de la nation, en ville des « business angels » dilapident des dizaines de millions d’euros à fonds perdus pour soutenir des start-up tentant de résoudre la quadrature du cercle, en essayant de produire en gants blancs et sans se baisser, trois fraises et deux carottes dans quelques caves ou container en ville, parce que le « circuit court » c’est écolo ! Et qu’importe si cela se fait à grand renfort de ‘datacenters’ et de lumières artificielles, cette pollution-là ne se voit pas en ville !
Force est de constater qu’à ce jour, aucune start-up n’a réussi à trouver un modèle économique viable dans la production de fruits et légumes high-tech, à croire que, finalement, l’agriculture le dos courbé et les deux mains dans la terre pour étaler le lisier a encore de beaux jours devant elle !
Exception notable, afin de remédier aux carences nutritives des régimes vegans, des usines de « viande de culture » commencent à se construire… dans les campagnes. Des projets sûrement pas initiés par des startupers mais par de bons spécialistes de l’agroalimentaire au ‘business model’ bien établi !
Cette appétence de l’écologie urbaine pour la production nourricière, systématiquement contre nature, a de quoi interroger… A quel moment le monde se dit-il qu’il est préférable de faire pousser les fruits et légumes dans des conteneurs ou des caves sans terre, à la lumière artificielle, et dans des environnements aseptisés, et la viande dans des laboratoires, que de se nourrir avec ce que donne la nature en la travaillant ? A quel moment le monde a dérapé au point de faire plus confiance à des geeks urbains pour subvenir à nos besoins alimentaires qu’aux agriculteurs ? A quel moment une personne sensée en arrive à se dire que : « ça c’est l’avenir ! » ?
A force de rejeter hors de la ville tout ce qui dérange, la ville met en réalité une pression énorme sur la ruralité. En cumulant la production d’énergie, de matériaux de construction, le tout en assurant la subsistance alimentaire de la nation.
Toute la production d’énergie « écolo » dépend de la campagne, des centrales nucléaires dont l’implantation doit être loin des urbanités aux éoliennes, en passant par le biogaz, les matériaux de construction, entrepôts de stockages, et enfin l’alimentation de l’ensemble de la population parce que ce n’est pas l’agriculture urbaine qui va changer la donne sur le sujet…
C’est bien là tout le paradoxe, quand notre pays ne cesse d’investir et de suréquiper les « zones urbaines denses » au motif qu’elles seraient écologiques et cela grâce aux impôts de l’ensemble de la population, il ne cesse de désinvestir les territoires ruraux, désertifiés de tous services publics et aides. Pour les uns les transports en commun dernier cri et pléthoriques, les hôpitaux et les universités, etc. Pour les autres, le recours obligatoire aux transports individuels avec la dépendance aux énergies fossiles, les déserts médicaux et les fermetures d’écoles.
Lorsque sont mises en regard de ce déséquilibre patent les cartographies des résultats de la dernière élection présidentielle, il est permis de penser que le recours au vote extrême soit plutôt lié à un ras-le-bol général des ruraux de l’exploitation qu’ils subissent par des écolos-urbains nantis qu’a un problème d’immigration comme nous le vendent si aisément les médias.
Quand notre écologie urbaine veut de la « nature en ville », elle génère en réalité l’industrialisation de la campagne qu’elle s’empresse de dénoncer et de montrer du doigt pour mieux se convaincre que la vie en ville serait plus vertueuse !
Il serait peut-être temps de retrouver une relation plus équilibrée entre urbanité et ruralité, comprendre que c’est en valorisant la ruralité que l’urbanité pourra tendre vers une écologie sereine.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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