À Shanghai (Chine), pour l’Administration de la culture et du tourisme du district de Xuhui maître d’ouvrage, Wutopia Lab (Yu Ting) a livré en décembre 2022 la vertigineuse bibliothèque Zikawei. Surface : 18 650 m². Budget : n.c. Communiqué.
« Peu importe ce qu’on vous dit, les mots et les idées peuvent changer le monde ».
Le Cercle des poètes disparus (1989)
Depuis 2023, la bibliothèque Zikawei, conçue par Wutopia Lab est devenue le monument culturel le plus emblématique de Shanghai.


Avant de devenir la bibliothèque Zikawei, le bâtiment avait été conçu comme une librairie par le cabinet David Chipperfield Architects. Malheureusement, juste après l’achèvement de la façade et de la structure, le bâtiment a été laissé vacant. Après l’abandon de deux investissements dans la librairie, le bâtiment a finalement été désigné comme bibliothèque publique du district de Zikawei et baptisé Bibliothèque Zikawei.
En tant que cabinet d’architecture, Wutopia Lab, plutôt que de remanier la structure originale, a développé une nouvelle narration spatiale basée sur les caractéristiques du projet, afin d’implanter ou de dissoudre l’architecture originale, créant ainsi une expérience nouvelle appelée réalisme magique.
Le bâtiment d’origine possède un atrium de trois étages avec une mezzanine de chaque côté. Cet atrium classique occupe le centre de l’axe central. « Nous souhaitions éviter cette narration classique, sans pour autant la négliger complètement », indique Wutopia.


Dans son livre « Underland: A Deep Time Journey », Robert Macfarlane observe que l’enfouissement des déchets d’uranium des réacteurs nucléaires consiste à sceller les noyaux d’uranium usagés dans des tiges de zirconium, dans des colonnes de cuivre, elles-mêmes encastrées dans des cylindres de fer, lesquels sont également enrobés de boue de bentonite. Enfin, ces derniers sont stockés profondément sous terre, dans des formations rocheuses, à des milliers de mètres de profondeur, dans du gneiss, du granit ou du sel gemme. Il semble que ce soit une procédure courante dans les sociétés humaines pour préserver des objets importants. C’est la structure des « boîtes chinoises dans des boîtes » avec ses couches imbriquées qui crée un nouveau récit.
La structure de type « boîte imbriquée chinoise » pour la bibliothèque Zikawei est inspirée du coffret traditionnel chinois de la dynastie Han. La première couche de la boîte est la fine façade conçue par DCA ; la deuxième couche comprend les principaux services de la bibliothèque, tels que le café, les différents espaces de lecture, les salles de conférences, les salles d’exposition, etc. ; la troisième couche est l’allée en forme de beignet ; la quatrième couche est l’atrium qui sert de salle de lecture ; et enfin, le cœur de la bibliothèque, le dernier trésor protégé de la structure de la boîte.

Cette structure narrative se traduit dans l’espace, où les deuxième et troisième couches peuvent être considérées comme la partie A et les quatrième et cinquième couches comme la partie B. Si la façade constitue l’enveloppe extérieure de l’ensemble, l’ensemble intérieur peut s’exprimer de manière autonome, sans être influencé par son langage architectural. Le trésor de la cinquième couche ne constitue pas une signification spatiale mais vient compléter la signification symbolique du coffret.
La bibliothèque Zikawei devait également contenir sa propre représentation emblématique : une table de lecture de près de 30 mètres, la plus longue de Shanghai.
Selon la stratégie dualiste du laboratoire Wutopia, une fois les deux structures principales A et B définies, les parties A et B peuvent être utilisées comme des phrases opposées. À, en tant qu’ensemble de boîtes d’emballage, peut exprimer la solidité avec du béton, du terrazzo et de la peinture. B, en tant que coffret de rangement, peut exprimer la douceur avec la chaleur du bois.
Dans la zone A, il est également important de distinguer finement les deuxième et troisième niveaux, avec leurs dallages et leurs variations de gris, et d’imbriquer des caissons plus petits dans l’espace fonctionnel principal, comme la bibliothèque. Au premier étage, le café est un îlot circulaire, l’espace de lecture pour enfants est un espace de lecture central et circulaire, et au deuxième étage, un caisson en vitrail, issu de la verrerie de Tou-Se-We, sert d’espace de repos. Au troisième étage, la lucarne laissée par DCA, combinée à l’éclairage, forme un canapé entre les deuxième et troisième niveaux de caissons.

Dans la section B, la mezzanine, de part et d’autre de l’atrium, est conçue comme un espace intime de lecture et d’exposition, enrichissant ainsi la structure des niveaux imbriqués. Afin de renforcer l’aspect visuel, le sol et le plafond ont été réalisés à la jonction entre les deux espaces, permettant ainsi à chacun de former une expression visuelle indépendante.
L’espace B, où sont rassemblés les trésors, est empreint d’une certaine sacralité. À cet égard, les architectes ont emprunté la basilique, un type spatial typique des églises catholiques du quartier de la bibliothèque, pour sanctifier l’atrium. Le plafond de l’atrium est conçu comme une arche, complétant ainsi l’interprétation symbolique de la bibliothèque comme temple du savoir contemporain.
Le langage de l’arche est reproduit au premier étage pour créer une expression spatiale continue, dissociant davantage la structure narrative intérieure de la logique de construction de la façade afin de mieux correspondre au récit du décor chinois. Une pagode moderne et réécrite imprimée en 3D est le point culminant de l’axe. Ainsi, la basilique occidentale et la pagode orientale, la structure traditionnelle en bois et la technologie d’impression moderne, forment un duo astucieux, combinant Orient et Occident, alliant ancien et moderne. De ce fait, la signification symbolique de Zikawei comme source de la science chinoise moderne est sublimée dans la structure de l’ensemble chinois de cases imbriquées en couches.

Une bibliothèque accueillante redynamise la communauté et renouvelle la ville. La bibliothèque Zikawei a connu un succès plus important que prévu : 180 000 personnes s’y sont rendues en deux mois, dont beaucoup n’y étaient jamais allées auparavant. Pour la première fois, un lieu d’intérêt public est devenu le point de repère incontournable et le plus en vogue de la ville, remettant le quartier d’affaires de Zikawei, longtemps absent des regards de la ville, sous les projecteurs. C’est la magie d’une bibliothèque. C’est la magie de Shanghai.
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