Pour cette cinquième journée de reconnaissance du Tour de France contemporain de Chroniques, les suiveurs se rendent sur le parcours de la future 14ème étape, laquelle s’avère dantesque avec au menu : le col de Cou, le col du Feu, le col de Jambaz, le col de la Ramaz (13,9 km à 7,1 %) et enfin col de Joux Plane (11,6 km à 8,5 %) pour 4 200 m de dénivelé positif au total. Les suiveurs pourront participer à l’étape du tour ouverte aux amateurs et auront le plaisir de rouler sur route fermée pour parcourir le territoire haut-savoyard.
Pour préparer cette dernière reconnaissance avant le grand départ de Bilbao en Espagne le samedi 1er juillet 2023, les suiveurs auront séjourné à l’hôtel Novotel d’Annemasse pour profiter à la fois d’un emplacement idéal et d’une architecture contemporaine de bonne tenue. L’agence DREAM, acronyme de Dimitri Roussel Ensemble Architecture Métropole (ouf !) a livré en 2020 ce nouvel établissement dans le nouveau quartier de la gare d’une ville quasi à cheval entre la France et la Suisse. De fait, l’urbanité du projet tend plus vers une écriture helvétique et affiche sa parenté : ouvrage béton aux multiples finitions, ouvertures verticalisées, registre minimum des matérialités, la palette est similaire.
« L’architecture extérieure du bâtiment se veut contemporaine, sobre et épurée. Son enveloppe est principalement minérale pour le socle et le corps principal (…). Un squelette de corniches et de colonnes en béton préfabriquées rend hommage au patrimoine et à l’héritage néoclassique annemassien », précise l’agence.
La coiffe du projet rend hommage à Jean Nouvel et au centre des Congrès de Lucerne avec un vaste porte-à-faux de la dernière couverture, dont la fine lame vient tout à la fois définir le gabarit haut de l’immeuble et réfléchir son activité vers la rue. À la manière d’un périscope, les usages du ‘rooftop’ sont ainsi visibles depuis la rue, tressant un lien immatériel entre l’usage de ce bar suspendu et l’espace public. Il est d’une certaine façon partie prenante de l’animation urbaine tout en étant suspendu dans le ciel. La parenté Nouvellienne passe par le débord, sa qualité de réflexion et de sa localisation dans le bassin lémanique. Cet espace projeté en hauteur s’ouvre tout à la fois sur ce dernier et le massif du Jura à portée de main.
L’architecture intérieure reprend les codes de l’époque et du programme pour offrir un environnement qui ravirait le marié du film « Le sens de la fête » à la recherche d’une approche : sobre, chic et élégante. Une forme de parenté s’opère ici avec le travail de Charlotte Perriand dans les Alpes. Environnement dépouillé de second œuvre, technique apparente et mobilier bi-composant métal et bois, installent l’ambiance à la fois dans son époque et dans une efficacité économique.
Après un petit-déjeuner copieux sur le toit, les suiveurs prennent la direction de Morzine au gré de tous ces diables de cols et de pentes interminables. Ils pourront régler les compteurs à rebours du dénivelé ou en acquisition continue. C’est au choix et à chacun sa méthode Coué : soit mesurer ce qu’il reste à gravir, soit se motiver par ce qui est déjà fait. Vaste sujet philosophique adapté à l’effort du jour.
L’arrivée à Morzine leur permettra de découvrir la station d’Avoriaz crée en 1960 sous l’impulsion du champion local Jean Vuarnet auquel les élus ont confié la mission de créer un « Super Morzine ». La réalisation de l’ensemble est confiée Jacques Labro et Jean-Jacques Orzoni.
« Pour aménager Avoriaz, il fallait d’abord prendre conscience de cette unité paysagère, de ce site qui a ses limites naturelles et qui s’inscrit dans un cadre plus vaste, celui de la montagne. Ce site est composé d’un élément principal, le plateau qui est comme suspendu entre la falaise haute et la falaise basse. Loin d’être parfaitement plat, le site présente plusieurs « accidents géologiques » qui viennent guider les possibilités d’aménagement, « dire » où installer une urbanité. Le tout compose le programme de constructions qui répond aux nécessités d’une station de ski, qu’elles soient fonctionnelles ou économiques », explique Jacques Labro.
Les architectes développent le thème de ces années – la station dite « ski au pied » – et insèrent les constructions dans la pente pour permettre aux skieurs de circuler gravitairement de la piste à leur résidence. Les grandes constructions en béton offrent des typologies traversantes tournant les espaces de vie vers le sud. L’approche architecturale tourne le dos à la question vernaculaire par sa typologie mais trouve un point de contact par un habillage généralisé en tavaillon, la tuile de bois local. Le travail sur la toiture comme cinquième façade préfigure toutes les approches actuelles et assume de réunir les plans en un continuum formel de matières offrant au regard du lointain un ensemble cohérent où les ouvrages se diluent entre les différents plans.
« On sort complètement du style « chalet » parce que les contraintes de densité l’excluaient, mais on retrouve l’identité locale au travers de l’emploi du bois. Bien sûr, les structures sont en béton armé, un procédé technique incontournable pour construire en grandes dimensions, en hauteur et avec de nombreux planchers superposés. Mais comme le béton doit être thermiquement protégé du froid et des intempéries, on a utilisé le bois pour le revêtir car la plus efficace protection est celle posée à l’extérieur puisqu’elle empêche également la transmission (par pont thermique) du froid et de l’humidité. Cet essentage constitue alors comme une enveloppe, une vêture, une « peau de bois » aux propriétés thermiques essentielles tout en participant aussi à l’ambiance, à l’atmosphère du lieu. Ainsi ont été conjuguées propriétés fonctionnelles et identité locale », précise Jacques Labro.
Cette précision tout droit venue des années ‘60 permet d’évaluer l’ampleur de l’évolution de l’approche pré-choc pétrolier à celle de l’ère des COPs. L’ADN reste le même finalement sur l’emploi du meilleur matériau au bon endroit et la nécessité de fabriquer du sens par la matérialité locale. Cette proposition sera déclinée à l’infini dans les Alpes et encore aujourd’hui où nombre de constructions nouvelles en station reprennent cette grammaire ; le béton pour l’efficacité, le bois pour l’indentification.
La vista et le plaisir des formes semblent pourtant disparaître pour laisser place au modèle du méga chalet qui ravit les élus en figeant le paysage dans une architecture pastichée où le même projet est à son tour décliné à l’infini, peu importe son échelle. Le PLU de certaines stations de l’arc Alpin fait passer un règlement de Zac d’architecte Priztkérisé pour un univers de possibles infinis face à la définition ultra-précise des éléments de modénatures imposées. Le travail sur Morzine Avoriaz a été réalisé à rebours de celui purement minéral de la station de Flaine et montrait la possibilité de définir une approche contemporaine située et de son époque. Le suiveur qui aura croisé d’innombrables petites « maisons bois » sur sa route pourra se demander pourquoi la production des dernières décennies a opté pour le pastiche d’un modèle fantasmé collectivement du chalet suisse façon Heidi au détriment de la démarche de Jacques Labro.
Les suiveurs, épuisés par cette longue étape qui les a menés d’un hôtel à la facture helvétique à une station de ski onirique, iront se restaurer à l’Atelier qui propose une cuisine d’arrivage « d’inspiration du marché ». Ils pourront ainsi déguster une ballotine de volaille farcie aux trompettes-de-la-mort, légumes oubliés et girolles, accompagnée d’un apremont de Savoie « Fleur de Jacquère » de J. Perrier.
Guillaume Girod (en reconnaissance d’étape)
*Pour les suiveurs, retrouver :
– Les reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2023
– Le Tour de France contemporain 2022 : Les reconnaissances et les étapes
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018