
Le prochain concours international d’architecture lancé par Macron Président pour une nouvelle entrée du musée du Louvre, à Paris face à l’église de Saint-Germain-L’Auxerrois, témoigne au mieux d’une décision aventureuse, à coup sûr particulièrement dispendieuse. L’alternative existe, au moins cinq fois moins onéreuse ! Dix fois plus prestigieuse ? Explications.
Depuis trente ans, l’entrée du Louvre via la pyramide est inadéquate, non seulement parce qu’elle est sous-dimensionnée – il suffit de constater les files d’attente sous la pluie ou en plein cagnard – mais parce que, si en effet la pyramide était une réponse adaptée dans l’axe de l’Obélisque et de l’Arc de triomphe, un tel ouvrage n’a jamais eu vocation de servir de porte d’entrée, sauf en général pour un homme seul qui n’en ressort jamais.
De fait, encore le 17 juin 2025, le Louvre a été bloqué plusieurs heures après une grève surprise de ses agents d’accueil qui entendaient dénoncer le surtourisme et des conditions de travail dégradées après la suppression de 200 emplois en quinze ans (Le Monde 17/06/2025). Les queues de visiteurs livrés à eux-mêmes font partie des émouvants souvenirs des 80 % de visiteurs étrangers qui fréquentent le musée chaque année. Les Français sont sans doute moins étonnés… Bref, c’est dire s’il y avait urgence à trouver une solution.
Ce qui explique pourquoi Macron Président a annoncé, le 28 janvier 2025, la création d’une nouvelle entrée pour le Louvre, d’ici à 2031 « au plus tard », dans la façade de la colonnade de Perrault, face à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, plein est.* À cela s’ajoute la construction « de vastes espaces souterrains sous la cour Carrée, offrant un axe de circulation est-ouest » et le déménagement de La Joconde dans un espace réservé, sous la Cour carrée, « accessible de manière autonome, doté d’un titre d’accès propre ». Baptisé sans imagination « Nouvelle Renaissance du Louvre », ce projet colossal aux nombreuses inconnues est estimé entre 700 et 800 M€, dont au moins 300 M€ pour le nouveau portail d’entrée. Soit tout compris le budget d’un grand CHU à la pointe de l’innovation pour une porte par-derrière, que les touristes devront trouver, et un travail de termites sans lumière naturelle.
Le président a, à cette date, le 28 janvier donc, d’abord indiqué le lancement d’un concours international d’architecture avant fin février – délai évidemment trop court pour qui se préoccupe un peu d’architecture et en comprend le fonctionnement – ce sera finalement fin juin 2025 ; ou plus tard qui sait à l’heure où j’écris ces lignes. À La Saint-Glinglin peut-être puisque les promesses, comme disait l’autre… ?
Nul doute en tout cas que depuis cette annonce qui a fait le tour du monde et se rengorger Vulcain-ex-Jupiter, nombre d’agences « internationales » préparent leurs équipes et fourbissent leurs arguments. À la fin cependant, il restera quatre agences sélectionnées par un jury souverain. Nouvel, de Portzampac, Lacaton&Vassal… Les Pritzkers hors course, Ricciotti ayant déjà au Louvre réalisé les Arts de l’Islam et Wilmotte le Carrousel, qui côté français ? Dominique Perrault et sa passion souterraine ? Mais il est tatoué Mitterrand et Macron est désormais très à droite. Philippe Prost ? Philippe Madec ? Bernard Desmoulin ? La Nouvelle AOM ? Il n’y aura en tout cas, au mieux, pas plus de deux places. Les deux autres, au moins, sont en effet réservées à un Japonais, un Danois, un Norvégien, un Néerlandais, un Anglais, voire un Italien, qui partiront favoris comme pour un banal immeuble du Monde après avoir lu l’histoire du Louvre sur Wikipedia en leur langue vernaculaire.
Pour autant, à l’heure où la France cherche désespérément des économies pour son budget national – et 800 M€, c’est une somme – est-il bien judicieux, à cet endroit-là, sous les douves, de s’engager pour un tel projet aussi dispendieux qu’incertain ? Il y a pourtant une autre façon de répondre aux besoins du Louvre et du budget de l’État tout en évitant la pagaille. En effet, le projet – ou plutôt contre-projet – signé SAREA (Alain Sarfati) et Ameller Dubois (Stéphane Védrenne), que Chroniques d’architecture dévoile ici, offre pour bien moins cher une solution tout à fait à l’Ouest sans doute mais autrement plus pratique et prestigieuse. **
De quoi s’agit-il ? Ce projet, pour citer ses concepteurs, propose par l’ouest donc une entrée monumentale, principale et emblématique, en relation directe avec le centre du Louvre et la pyramide. Elle intègre le Jardin des Tuileries dans le plus grand musée du monde et rend encore plus intense la perspective géniale réalisée depuis la Cour Carrée jusqu’à La Défense. En témoigne la coupe ci-dessous.

À partir des Tuileries, une esplanade en pente douce – le dromos des Grecs, magnifiquement exploité par Oscar Niemeyer notamment pour la cathédrale de Brasilia*** – offre un accès largement ouvert au public et facilite le parcours jusqu’à la nouvelle salle de la Joconde sans perturber la fonction symbolique de la pyramide. Depuis le jardin, au bout de l’allée centrale, petit à petit les visiteurs arrivent de part et d’autre de l’enceinte de Philippe Auguste sans aucune gêne ni attente. À l’abri des éléments, passant de la vision prismatique de la pyramide inversée à l’envolée verticale de la pyramide, avant de découvrir la Joconde, ils en seront d’autant plus patients qu’ils auront le temps de se promener dans les vastes espaces commerciaux, culturels et touristiques auxquels, puisque ces m² sont déjà là, il sera facile de donner une destination scénarisée.
Pourquoi une telle différence de coût entre les deux projets ? Ce n’est pas compliqué : ici une conception qui s’appuie sur l’existant, dont les deux boulingrins qui bordent cette nouvelle esplanade, des travaux limités, une réalisation rapide, pas de démolition : rien de plus qu’un luxueux terrassement qui ne fera peur à aucune entreprise française et ne nuira en rien aux recherches archéologiques d’usage. Il n’y a même pas besoin de grue, juste de savoir-faire en circuit hyper court (la terre d’extraction ne sera pas perdue – et pourquoi pas la transformer en briques portant le nom des sponsors ?). De plus, ces travaux n’auront qu’un faible impact sur le fonctionnement habituel du musée qui n’y perdra rien en termes de revenus. Enfin, comme à Notre-Dame, dans l’hypothèse d’un coup de pouce administratif et d’un coup de menton du chef, les travaux seront terminés bien avant 2031. Le Louvre lui-même aura conservé son intégrité architecturale.
D’ici-là, un concours sera donc bientôt lancé et il est certain que si le président (du jury) n’envisage comme prévu que la seule option d’une entrée face à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, soit un ouvrage orienté à l’est comme un jour pluvieux de février, alors certainement Alain Sarfati et Stéphane Védrenne, par définition hors concours, ne seront pas retenues pour le seul ou les deux tickets français. Mais il faudra alors au président (du jury) expliquer pourquoi, en ces temps de disette, il tient tant à dépenser autant pour une danseuse, c’est-à-dire un projet incertain, compliqué et au coût particulièrement élevé, quand bien même l’alternative est désormais connue et, pour quiconque doué de bon sens, s’impose comme une évidence.

« Ce projet permettra de placer le Louvre au cœur de la ville et d’en faire un épicentre de l’histoire de l’art », a déclaré le président (du pays) lors de son annonce en janvier. Maintenant, si en juin ou juillet le concours « international » ne demande sans autre contrainte qu’une nouvelle entrée qui résout tous les problèmes et intègre le jardin des Tuileries, il verra c’est sûr ses vœux exaucés.
Et pour SAREA et Ameller Dubois, les paris seront ouverts…
Christophe Leray
* Lire notre édito Nouvelle entrée du Louvre ? Par ici la sortie !
** Découvrir la présentation Nouvelle entrée ouest du Louvre : le projet
*** Lire la chronique Au Louvre, le plus grand musée du monde, on a oublié l’entrée