C’est un des effets de l’évolution urbaine de n’être possible, réglementation thermique après réglementation thermique, que grâce à l’apport d’inflexions administratives. De la génétique comportementale des fonctionnaires ?
Les stratégies du vivant pour lutter contre les évolutions, notamment les changements climatiques, sont nombreuses et variées selon les espèces. Plus ou moins rapides, selon la sophistication de l’organisme, ces évolutions sont de deux natures :
– Génétique : c’est la plasticité phénotypique qui, en modifiant les codes inscrits dans l’ADN permet, d’une génération à l’autre, d’inscrire dans les gènes, les besoins nouveaux liés aux nouvelles conditions ;
– Comportementale, c’est l’adaptation à des gestes transmis par les parents qui induit chez le jeune de nouvelles habitudes, de nouvelles fonctions.
Il est intéressant de noter que la modification génétique résulte souvent, à long terme, d’une adaptation comportementale devenue très habituelle, jusqu’à être considérée acquise. Ainsi, à force de loucher pendant plusieurs millénaires, pour des raisons diverses liées sans doute à sa survie, la sole a réussi à vaincre la symétrie de son regard, un œil de chaque côté, usuelle chez le poisson. Il a fallu bien des efforts aux enfants soles pour détailler et reproduire les mouvements bizarres effectués par le parent avec ses yeux, jusqu’à inscrire ce regard étrange dans les gènes afin que les nouveaux-nés puissent voir clair et n’aient plus à se frotter inlassablement contre le sol, du sable dans l’œil.
Des comportements ayant le pouvoir de modifier les codes génétiques de certains animaux sont légion dans le règne animal. Par exemple le phalène du bouleau est papillon de nuit qui passe ses journées immobile camouflé sur l’écorce de son bouleau favori. Pour se protéger de ses prédateurs, il adapte la couleur de ses ailes à l’environnement immédiat. Ainsi a-t-il vu les codes couleurs usuels du bouleau (blanc taché de gris) se transformer en un noir profond dans la banlieue de Manchester à cause de la profusion de mines de charbon au début du XIXe siècle. Cet animal débonnaire et sibyllin a été victime d’un mélanisme industriel.
Une trentaine de génération seulement ont été nécessaires pour cette modification de la couleur des ailes… jusqu’à l’arrêt des mines au début du XXIe siècle. Et là, soudainement, la population de notre phalène a été décimée ; les bouleaux étant redevenus blanc et gris, cette tache noire est devenue proie facile pour tous les prédateurs amateurs de phalènes.
Le mécanisme de la coloration des ailes n’a pas pour origine un changement comportemental, le phalène n’a pas trouvé les ressources pour modifier ses habitudes par son comportement indolent, c’est un effort sur ses propres gènes qui l’a conduit à ces modifications colorimétriques qu’il essaye à présent d’inverser. Sans doute a-t-il conservé un copié/collé de ses gènes du XVIIIe siècle, en tout cas, on le lui souhaite.
Et l’homme comment mue-t-il ? Personne n’en a la moindre idée parce que si le phalène met une centaine d’années à se colorier les ailes, l’homme, du haut de ses 10 ou 15 000 années de perception de sa condition d’homme, n’a pas tellement changé. Homo sapiens il est né, homo sapiens il enfantera, sans modification extraordinaire de sa couleur ou de son aspect.
La diminution de la taille de son petit doigt de pieds et la disparition des dents de sagesse sont des indices, mais insuffisants pour prévoir la forme de l’homme dans le prochain million d’années. Peut-être faut-il s’attendre à une hypertrophie de la taille du pouce puisque le comportement lié à l’usage intensif des messageries sur portable va induire un usage nouveau et inédit qui peut permettre dans un petit millénaire de vérifier sur nos descendants que l’adaptation comportementale va générer une plasticité phénotypique.
Et qu’en est-il des villes, éléments organiques dont les mutations ne doivent rien au hasard ? Ces lignes mensuelles sont truffées, au fil de ces chroniques, d’évidences du comportement organique de celles-ci et, puisque l’objet de cette présente page est de parler d’évolution, comment le darwinisme appliqué à nos cités va en prévoir la forme dans les siècles à venir.
Nous n’avons pas la chance d’appartenir à une espèce qui se fabrique des épiphragmes (cloison temporaire comptant l’ouverture de la coquille de certains mollusques en période d’inactivité, fin et muqueux en été, l’épiphragme est plus épais en hiver) et nos maisons ne peuvent évoluer sans artifice lié à une activité savante.
Les progrès de l’architecture sont les seules ressources de la lutte contre l’inconfort lié aux changements saisonniers, parallèlement aux escargots dont la protection au froid est génétiquement programmée selon les capteurs internes de la température externe pour produire des épiphragmes.
Et ce fut très long pour faire évoluer le modèle de la chaumière jusqu’au logement moderne. Il faut bien évidemment reconnaître le changement profond du paradigme de la pensée architecturale, qui, sans vouloir faire un cours sur le mouvement moderne, a reconsidéré les données climatiques dans un contexte plus collectif. C’est à ce titre que sont nées les réglementations outrancières qui peuplent nos rêves et embrument quelque peu notre pensée.
C’est un des effets de l’évolution urbaine de n’être possible, RT après RT, que grâce à l’apport d’inflexions administratives.
Les animaux sécrètent des acides aminés qui modifient les gènes et agissent automatiquement sur des fonctions à fin d’adaptation aux modifications de l’environnement et, pendant ce temps-là, les villes se modifient à coups de décrets, d’arrêtés et de réglementations : un curseur sur la nature des isolations imposées, et hop, la ville change…
Dans ces modifications de la génétique administrative de la ville, le plus grave réside dans l’utilisation qui est faite des (faux) assentiments consensuels dans une perspective électoraliste. Quelques matériaux biosourcés par ci, quelques limitations du béton par-là (en oubliant parfois que le béton est certainement, de par son inertie, le matériau le plus efficace pour la régulation thermique d’été), beaucoup de réutilisations et de sobriété énergétique, une pincée de lutte contre l’imperméabilisation des sols, et hop on réunit, coup double, une série de magnifiques décrets à venir, et un glossaire de la lexicologie à la mode.
François Scali
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