*L’n-spaces (prononcer ènspaces) est un espace pluriel, augmenté, connectable dans les mondes physiques et virtuels. Multidimensionel, l’n-spaces caractérise l’ensemble des dimensions d’un environnement et la nature des liens qu’il entretient avec les autres environnements et avec ses habitants. Qu’en est-il de l’habitat ?
Après avoir esquissé la nécessité de penser des successions d’espaces-temps, et non exclusivement d’espaces, reprenons plus concrètement, sous le prisme de l’habitat. Quelles incidences positives pourraient avoir une conception en n-spaces sur nos environnements urbains et nos manières de vivre ?
Nous cherchons ici à apporter des éléments de réponses en nous appuyant sur un concept d’habitat partagé à l’ère numérique pour les métropoles, intitulé Habiter l’infini. Ce modèle ne cherche pas à effacer les modèles existants mais à les compléter en proposant des solutions plus adaptées à l’évolution des modes de vie, des morphologies urbaines et des capacités économiques. Il ne s’agit pas de ‘disrupter’ mais d’enrichir.
Aujourd’hui, des normes toujours plus contraignantes appliquées à un modèle d’habitat 100% individualisé mènent nécessairement à une uniformisation croissante. Uniformisation des appartements mais aussi des immeubles, des ilots, des quartiers, des villes, des métropoles et des territoires. Cette uniformisation réduit la complexité et donc la richesse de nos environnements, avec nécessairement une incidence directe sur nous : les vivants. Comme l’affirmait Winston Churchill : nous construisons des bâtiments qui ensuite nous construisent. Dit autrement, et en reprenant le vocabulaire ou les travaux de Bernard Stiegler, cette uniformisation croissante augmente l’entropie, alors même que nous devrions recréer des modèles néguentropiques*, plus résilients, plus riches et plus diversifiés.
Nous allons essayer d’en esquisser un ici autour de la notion d’n-spaces en nous appuyant d’une part sur les portes ouvertes par les nouvelles technologies (accélération de la transmission de l’information, vitesse de calcul, réalité augmentée, intelligence artificielle, etc.), d’autre part sur un nouveau rôle de «maître d’usage», intégrant des actions humaines douées de raison et capables d’agrémenter les lieux, d’apporter de nouveaux services et d’insuffler une approche sensible et empathique à ces nouveaux modes d’habiter.
Habitat et appropriation
Aujourd’hui en ville, mon appartement est mon habitat. J’y mange, je m’y détends, j’y dors, parfois j’y travaille, je reçois, je range, je… etc. ; et tout cela dans un même espace, souvent de plus en plus petit et cher. Dans la plupart des cas, mon habitat est un espace-temps à temps infini ou presque (c’est-à-dire qu’il n’appartient de manière permanente qu’à moi). Son usage est variable, il est parfois plein, parfois vide, parfois mi-plein, mi-vide.
A contrario, un espace-temps avec un temps fini signifie qu’il y a des moments où le lieu n’est plus exclusivement mon habitat ou mon «chez-moi» ; il est soit à un autre, soit partagé. C’est un peu le cas si je prête ou loue régulièrement mon appartement quand je n’y suis pas. Cela me permet de créer de la valeur sur l’existant, j’augmente son taux d’usage et nous en tirons profit, mes visiteurs et moi-même. Le visiteur est chez moi quand je n’y suis pas. Il passe. Peut-être, même si ce «chez-lui» est très temporaire, réussit-il à s’approprier mon lieu le temps de sa visite ?
Faisons un autre exercice mental et imaginons un «chez-soi» partagé, à appartenances plurielles, c’est-à-dire qu’il est à la fois, selon le moment, chez moi, chez X, chez Y ou chez Z. Théoriquement, cela fonctionne mais, dans la pratique, c’est plus compliqué parce que chez moi, ce n’est pas comme chez Y ou chez Z. Ce qui nous amène à redéfinir le «chez-soi» – «home» en anglais – qui inclut l’idée d’appropriation, de décoration, de stockage, d’archivage, de mémoire, etc.
Pour être chez soi, l’espace doit répondre à certains critères difficilement définissables car habiter est aussi projeter une frontière mentale qui est différente d’un individu à l’autre. Un proverbe dit «il vaut mieux un petit chez-soi qu’un grand chez-les-autres». Il s’agira alors d’agrandir son espace de vie sans avoir le sentiment d’être exclu, sans se sentir chez un autre, mais en démultipliant cette notion de chez-soi.
Pour un concepteur, l’appropriation est une notion délicate, davantage encore quand elle agit à court terme. Elle est très dépendante des structures de personnalité des habitants ; pourtant c’est toujours la vie, incluant l’appropriation, qui finalise l’œuvre d’architecture. Une conception attentive peut enrichir, rendre possible et favoriser l’adaptation et l’adoption des n-spaces, notamment à travers la non-généralisation des modèles : repenser les coins, les recoins, les seuils, l’étrange, multiplier les configurations possibles, etc.
Vers un habitat à géométrie changeante
«Chez-soi» et espace-temps à temps court fini sont-ils compatibles ? Difficilement si le «chez-soi» est limité par une surface fixe et pérenne, mais facilement s’il s’applique à une multitude de surfaces déployées dans des espaces-temps aux natures différentes.
Le nouveau chez-soi est alors composé d’un lieu permanent (espace-temps à temps infini) auquel s’ajoutent d’autres lieux plus volatils, plus dispersés, aux espaces-temps à temps fini court, dont le mode d’appropriation différera. Mon habitat s’étend, ce que je perds en temps, je le gagne en espace. Je libère l’espace dans les temps où je ne l’utilise pas, et je récupère davantage d’espace dans les temps où je l’utilise.
Mon habitat est donc composé d’une série diversifiée d’espaces-temps qui se modifient selon mes besoins, mes envies et les disponibilités. En d’autres termes, ce nouvel habitat est composé d’une sphère intime permanente plus petite et de sphères intimes partagées de manières alternatives.
Les conséquences sont grandes. La taille de mon habitat devient variable ; il se réduit ou s’agrandit de manière élastique. Par exemple, au lieu d’habiter 60 m² de manière permanente 24/7 (24h/24 et 7jour/7), j’ai 45 m² de manière permanente 24/7 et le reste en fonction de mes besoins, c’est-à-dire que les 15 m² – 24/7 peuvent devenir 150 m² – 2,4/7 ou 105 m² – 24/1, etc. J’augmente la taille de mon habitat parce que mes «dépenses» sont davantage corrélées à mon usage.
Mon habitat s’agrandit, sa dimension peut alors facilement se multiplier par un facteur 10. Je redécouvre/retrouve l’immensité au cœur de la ville.
Eric Cassar
Retrouver la précédente chronique d’Eric Cassar : Chronique des «n-spaces» – Réalité augmentée ?
* La néguentropie ou entropie négative, est un concept philosophique et n’a pas de base scientifique. Elle se définit comme un facteur d’organisation des systèmes physiques, biologiques, et éventuellement sociaux et humains, qui s’oppose à la tendance naturelle à la désorganisation : l’entropie. Wiki.