Un petit virus qui se promène, se multiplie et se transmet et ce sont nos modes de vie qui changent complètement, questionnant l’air, l’espace et le mouvement.
La propagation est grande et rapide (même si elle pourrait l’être davantage encore – considérons cet épisode comme un premier entrainement -). Le premier moyen de l’endiguer est la distanciation sociale. La propagation du virus est fonction d’au moins trois attitudes qui diffèrent selon les cultures :
– la proxémie ou distance sociale (cf la dimension cachée d’Edward T. Hall) ;
– l’aptitude à suivre et respecter les consignes collectives ;
– la capacité de résilience et l’état d(e l)’esprit (ne pas être désespéré et résister).
En fonction de ces paramètres, entre autres, ce petit virus se promène différemment et il fait plus ou moins de dégâts.
L’architecture, comme art de créer des environnements, est une extension de notre enveloppe corporelle. Que peut-elle faire pour nous protéger ?
Adapter les limites
A l’échelle du bâtiment, enfiler un masque consiste à mettre en place rapidement des limites, ou à adapter leur degré de porosité. Il s’agit de créer des contours physiques répondant aux nécessaires nouveaux rapports sociaux, un peu comme avec la ligne de séparation entre les clients dans les supermarchés ou la vitrine pour protéger les caissières, etc.
Concevoir en n-spaces, c’est d’abord considérer le temps, c’est-à-dire intégrer la capacité à transformer l’espace dans le temps, y compris le temps court. Si nous pouvions, dans des moments de crise comme celui du confinement que nous vivons, transformer certains espaces, cela faciliterait, entre autres, un retour partiel dans les lieux de travail, un accroissement ponctuel de la taille de certains habitats occupés et un rétrécissement des habitats vides (par exemple 17 % des Parisiens ont quitté la capitale), une meilleure adaptation des EHPAD et des structures hospitalières. Tout cela grâce à un meilleur réajustement des espaces en fonction des besoins, des ressources et des nouvelles données apportées par la crise.
Vivre dans des espaces-temps plutôt que dans des espaces permet d’ajuster les lieux plus facilement selon les situations.
Ouvrir des vues vers ce(ux) qu’on aime
Voici donc une première dimension augmentée, ajoutons les autres, celles induites par le numérique : des limites qu’il s’agit, cette fois, d’ouvrir plus grand pour simplifier nos accès à d’autres espaces, d’autres lieux tout en restant confinés.
Ces dimensions s’exploitent déjà en partie à travers l’utilisation de nos smartphones ou ordinateurs comme porte d’accès aux autres (via les vidéo-conférences et autres réseaux). Mais des fenêtres digitales adaptées aux lieux et davantage intégrées aux espaces faciliteraient l’entraide à l’échelle locale et les échanges collectifs, ce qui aiderait sans doute à continuer à faire du sport ensemble, à poursuivre les rendez-vous (professionnels, chez un médecin, etc.), à suivre certains cours ou leçons ou à mieux accompagner nos aïeux confinés, malades voire mourants. Les n-spaces, avec des murs qui parlent, simplifieraient les communications, la mise en relation des espaces, des informations et des individus.
Ces fenêtres participeraient aussi à la production d’atmosphères changeantes. Installées dans un recoin, un couloir élargi, elles favoriseraient la démultiplication des usages. Leur possible ouverture agirait comme un recul de l’horizon à l’intérieur de l’espace clos.
Rien ne remplacera une vue sur mer avec vent et embruns mais, bien utilisées, les technologies de réalité augmentée pourraient aider à ouvrir perspectives et perceptions (par exemple dans un espace sombre et exigu), à revaloriser des lieux sans qualités, à partager des paysages en direct avec ceux que nous aimons.
Ces nouvelles architectures ne répondent pas qu’à une période de crise. Avoir des espaces mieux reliés peut servir dans de multiples situations. Sans chercher à remplacer radicalement nos manières de faire, ils décuplent les choix et les possibles.
A l’ère de l’anthropocène où chaque déplacement, surtout lointain, a une incidence sur notre environnement, il devient important d’apprendre à les restreindre. Transformer la moitié de nos rencontres en réunions virtuelles, nous permettrait de gagner du temps (lié aux déplacements physiques) tout en économisant notre planète (et en restant attentif à l’empreinte carbone produite par ces activités). Une fois sur deux, ce n’est plus nous qui nous déplaçons dans l’espace mais l’espace qui se déplace à nous : les informations, les lieux, les services, les cours, les personnes.
Concevoir un bâtiment en n-spaces permet d’améliorer et de simplifier les outils d’échanges notamment à travers les fenêtres virtuelles, pilotables via une boussole numérique. C’est ajouter des liens, créer des murs qui murmurent, des espaces qui s’emboîtent et s’entrelacent, des lieux qui voyagent.
Ces nouveaux bâtiments (smart-building) rendent possible un réajustement des limites physiques, et de leurs porosités, combiné à un accroissement et une simplification des ouvertures digitales. Ils sont donc un moyen d’adapter notre environnement face à la situation.
Encourager la diversité
Essayons de prendre encore un peu plus de recul et de ne plus regarder cette menace spécifiquement mais l’ensemble des menaces possibles, connues ou inconnues.
L’action la plus simple pour accroître la résilience est d’accroître la diversité.
Pourtant, aujourd’hui l’uniformité prolifère. En effet, reproduire un modèle unique, jugé efficace et souvent similaire à la concurrence, rassure. Or si ce modèle devient inadapté, c’est l’ensemble qui s’effondre. L’efficacité d’un modèle dépend toujours d’axiomes de base, d’un contexte. Considérer ces axiomes immuables et déployer un unique modèle à l’identique – quel qu’il soit – n’est pas fiable sur le temps long : une variation brutale de ce contexte met en péril le système entier.
La globalisation nous a rendus trop interdépendants à grande échelle. Elle nous a aussi conduits à uniformiser nos modèles d’habitat, de bureau, de musée, de ville, etc. alors qu’il conviendrait de préserver la diversité existante (de certains modèles anciens) et d’en produire de nouveaux plus variés.
Dans une crise comme celle que nous traversons, le contexte, (ici, d’abord la notion de distanciation sociale) change. Dans les environnements de travail, par exemple, les lieux favorisant les échanges physiques, propices à la stimulation des idées et à la cohérence de l’équipe, accélèrent aussi la propagation des virus. Ainsi l’open space, qui s’est généralisé, questionne. La doxa cherchant à uniformiser tous nos espaces de travail s’épuise.
Une des réponses, nous l’avons vu, s’exprime dans la possible variation de la limite, qu’elle soit physique ou virtuelle. C’est ce que nous avons montré dans « Travailler en c(h)oeur » (nouveaux environnements de travail à l’ère numérique), où la démocratisation du flex-office, combinée à une augmentation des typologies d’atmosphères, s’accompagne d’une plus grande flexibilité des espaces déployés en réseau (ajustables dans l’espace et dans le temps).
Renouveler
La crise que nous traversons doit nous apprendre à préserver et accroître la diversité de nos modèles. Une attitude écologique demande de réduire drastiquement notre bilan carbone et donc une partie de nos déplacements. L’expérience de confinement que nous vivons est une occasion pour mettre en place de nouvelles habitudes.
Elle invite aussi à imaginer, tester et développer de nouvelles typologies de relations et d’espaces, depuis l’établissement scolaire jusqu’au musée en passant par l’hôpital, l’hôtel, le théâtre, l’habitat, le commerce, la gare, le bureau ou l’aéroport ; tout en identifiant et tirant profit des synergies possibles entre ces différents programmes.
Les concevoir à partir du concept d’n-spaces, c’est considérer ensemble les relations physiques et digitales, en proposant des systèmes architecturaux liés pour amplifier et élargir le champ des échanges et des sensations, tout en augmentant la flexibilité et la diversité des atmosphères donc la résilience de nos lieux, territoires, de nos villes et de nos vies.
Eric Cassar
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