Même si la transparence est prônée depuis le début de l’ère moderniste, les développements contemporains de la technologie du verre ont rénové non seulement les capacités structurelles et isolantes du matériau, mais aussi la manière dont il construit la visibilité en soi. Chronique-Photos d’Erieta Attali.
Le verre architectural fonctionne comme une « loupe » à travers laquelle l’environnement peut être perçu de manières diverses et inattendues.
Avec l’utilisation extensive du verre, comme en témoignent les bâtiments sélectionnés pour cette chronique, l’architecture devient un dispositif visuel, une machine optique qui alterne l’écran bidimensionnel et le volume lumineux, la transparence et l’opacité, l’objectivité et la confusion des coordonnées familières dans un mélange ambigu.
Les surfaces des bâtiments de verre permettent d’obtenir une étrange dimension de profondeur révélant non seulement les microcosmes intérieurs qu’elles renferment mais aussi l’expansion macrocosmique des éléments locaux et universels qui les entourent.
Ainsi le béton se confond-il avec le ciel, l’asphalte avec le sable, les tuiles avec les nuages, l’acier avec les arbres. À d’autres moments, les bâtiments en verre ont la particularité de disparaître, d’être absorbés par l’obscurité de la nuit et de devenir des éléments du paysage environnant. Ainsi, malgré la grandeur de l’architecture impliquée, le paysage reste l’élément le plus significatif dépassant de loin le geste architectural.
En revanche, pour les architectes contemporains, comme l’affirme Jean Nouvel, le verre n’est pas seulement un matériau à travers lequel on voit mais aussi « sur lequel l’architecte peut projeter des images, alternant réflexion, translucidité et transparence ».
Ces projections s’étendent du domaine du réel, naturel ou artificiel, à celui du fictif et du virtuel. En effet, le mélange de points de vue et d’éléments incohérents perçu sur de telles surfaces de verre crée la réalité d’un autre monde qui ne peut pas être complètement déterminée par les intentions des architectes mais seulement vécue par le sujet dont la vision est en constante évolution.
J’ai choisi de présenter l’architecture au format panoramique, format qui selon le critique John Stathatos est « tout compris et autosuffisant ». À travers ce format, l’architecture de verre apparaît en effet comme une composante prothétique du milieu environnant, contribuant à son expansion en multipliant les points de vue de manière trompeuse par la profondeur particulière de sa surface.
Ainsi j’ai l’impression que le format panoramique choisi est fidèle à l’origine paysagère de mes photographies en ce qu’il suggère un mouvement cinématographique, une structure visuelle qui amène le regard parallèlement d’un côté à l’autre de l’image et du premier plan vers la profondeur, de la macro-appréciation de l’ensemble à la micro-lecture des détails, un peu comme la structure visuelle des rouleaux japonais traditionnels.
Je choisis mes points de vue comme moyen d’exposer, et souvent de juxtaposer, différents aspects de la réalité. Contrairement aux photographies traditionnelles de l’architecture de verre qui s’intéressent davantage aux perceptions extérieures des bâtiments, pour regarder le monde environnant, je choisis souvent d’habiter le bâtiment.
Dans un bâtiment en verre, l’arrière-plan lointain devient un premier plan, éclairant les différentes couches d’un paysage « déformé ». L’utilisation du verre modifie la distance entre le premier plan et l’arrière-plan, créant plusieurs couches de réalité.
Ou, comme l’a écrit le critique d’architecture Kenneth Frampton à propos de ma photo nocturne du Lerner Hall de Bernard Tschumi, le paysage réel est souvent rendu fantasmatiquement absent par les reflets très lumineux de l’intérieur sur la surface du verre. Là, le jeu de la lumière et de la réflexion crée « une sorte d’espace fantôme parallèle se trouvant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du champ apparent du bâtiment, le mur-rideau de Lerner Hall dupliquant sa superstructure et engendrant des reflets fantomatiques et hautement illuminés qui effacent totalement le paysage réel se trouvant à l’extérieur du verre », écrit-il.
Je ne souhaite pas documenter objectivement une œuvre architecturale mais plutôt transmettre les qualités auratiques des bâtiments causées par des éléments imprévus de la conception architecturale.
Erieta Attali
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