Un contre-la-montre la veille de l’arrivée à Paris est un pari risqué : si l’écart entre les premiers est trop grand, la caravane s’amuse. Mais s’il y a encore des places à jouer, dont la première, l’étape peut s’afficher pleine de rebondissement ; 40 km c’est long et c’est court et le parcours se termine sur deux bosses casse-pattes pour atteindre le promontoire de Rocamadour.
Pour cette ultime étape avant l’arrivée en grande pompe le lendemain sur les Champs-Élysées, les suiveurs aussi auront au programme de cette journée plusieurs sprints architecturaux au pays de l’or noir de la gastronomie. Sauf qu’eux ont largement le temps de faire un grand tour puisque les premiers au classement, les meilleurs, partent les derniers.
Direction donc le Périgord noir pour un périple qui, s’éloignant du tracé général, permet aux suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques de se souvenir que, avant d’avoir pris la grosse tête, des architectes ont pu vivre un moment de grâce en ces terroirs emplis de luminosité méridionale.
De fait, avant de rejoindre Rocamadour, les suiveurs se rendront à Terrasson-Lavilledieu en Dordogne pour s’enquérir du devenir de la médiathèque livrée par Patrick Mauger en 2011.
La ville de Terrasson est bâtie en terrasses sur la colline. En 2006 la commune lance deux concours d’architecture : celui du centre culturel au sommet de la ville ancienne et celui de la médiathèque dans la partie basse de la ville, plus récente. Le centre culturel est situé au pied des jardins de l’imaginaire dessinés par Katherine Gustavson, avec la serre signée de l’architecte Ian Ritchie.
La médiathèque devient le prétexte pour constituer un paysage, en reconstituer un peut-être, inspiré du livre de Houellebecq : « la possibilité d’une île ». « Avant Lavilledieu et son urbanisme diffus, nous avons imaginé qu’existait ici une île de la Vézère, une île plantée de pins sylvestres. Cette île déborde la parcelle, en particulier vers l’ouest », explique Patrick Mauger.
Sur l’île, morceau de nature épargnée, est implanté le bâtiment : structure inspirée d’une logique de jardin, de serre. Les percements répètent les espaces irréguliers des pins, qui, depuis les salles de lecture ou la salle du temps libre forment un premier plan, un filtre naturel des images des bâtiments riverains. Sa peau est constituée de panneaux aléatoires de verre et d’inox qui reflètent les arbres. Elle offre une profondeur de champs au paysage.
Les parties inox sont constituées de caissons épais, avec une épaisseur de plus de 20 cm d’isolant et côté intérieur, des plaques perforées pour l’absorption acoustique. A l’intérieur, ce jeu de pleins et vides constitue des ombres et reflète le soleil sur le sol en béton ciré à l’intérieur. En plus des onze pins sylvestres qui filtrent les rayons du soleil au sud, l’ensemble des espaces intérieurs dispose de stores coulissants toute hauteur qui permettent l’occultation de l’ensemble du bâtiment.
Les suiveurs fileront ensuite dans le Périgord noir se régaler d’un foie gras d’oie, poêlée ou mi-cuit et accompagné d’un chutney de cerises avant une première escale à Sarlat-la-Canéda afin de retrouver un Pritzker enfant du Pays, Jean Nouvel.
Etrange destin que celui de l’église Sainte-Marie de Sarlat. Après la Révolution française et ses coupeurs de têtes hallucinés, l’édifice est vendu comme bien national. Ses propriétaires successifs en feront une usine à… salpêtre, une boulangerie, un commerce de charbon, un bureau de poste puis un dispensaire. Des réaffectations plutôt inusitées. Plus tard, le chevet sera démoli pour en vendre les pierres. Même ainsi martyrisé, l’ancien lieu de culte est classé au début du XXe siècle et joue les hôtels des Postes jusque dans l’entre-deux-guerres.
Avec Philippe Oudin, architecte en chef des Monuments historiques qui s’occupe de l’enveloppe, tels deux portiques géants d’écluse (7 tonnes chacun), les monumentales portes en acier anthracite de 17 m de haut déclenchent d’enfiévrées polémiques. Les mezzanines culturelles logées dans l’abside, itou. Que dire de l’ascenseur belvédère panoramique édifié dans le clocher en 2012 par AJN ? Entre-temps, les polémiques s’essoufflent. Désormais le pays sarladais attire… deux millions de visiteurs l’an. Jean Nouvel n’y est pas étranger.
L’église de Sainte-Marie de Sarlat n’accueillait plus aucun service religieux depuis des années et ne conservait pas plus de meubles liturgiques de son passé dévot. Elle s’impose aux côtés de l’Hôtel de Ville, sur la place de la Liberté. Le projet commandé à Jean Nouvel avait pour objet de convertir l’espace en un marché couvert et de transformer l’ancien clocher en un point de vue qui dominerait les alentours et une partie de la ville.
« L’église a su préserver une structure urbaine médiévale et possède de nombreux palais et bâtiments d’intérêt. Le projet respecte au maximum la structure gothique et tous les éléments nouveaux, ainsi les présentoirs des stands ou l’ascenseur du clocher, sont en acier, contrastant avec la pierre gothique et évitant toute confusion visuelle. Cette dualité matérielle s’annonce déjà dès la porte principale, en acier, qui permet au contraste de devenir patent avant même de pénétrer dans le bâtiment. À l’intérieur, la lumière naturelle abonde grâce à la grande ouverture par la rosace de la façade », se remémore l’architecte.
Les pérégrinations des suiveurs se poursuivront ainsi jusqu’à Montignac où la grotte de Lascaux a été découverte le 12 septembre 1940 et classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 1979. Chef-d’œuvre de l’art pariétal, elle connaît, depuis sa fermeture en 1963, de nombreuses déclinaisons, dont le quatrième opus de l’agence Snøhetta inauguré en 2016.
Loin devant les trois autres équipes, c’est celle formée par le cabinet norvégien Snøhetta, secondé par le bordelais Duncan Lewis et associé au scénographe britannique Casson Mann qui a été choisie. L’équipe espagnole de José Luis Mateo est deuxième, suivie des Allemands de Auer et Weber et de Jean Nouvel lors de la consultation internationale.
Equipement culturel de référence, le centre international de l’art pariétal a pour vocation d’expliciter la richesse des représentations peintes et gravées de la grotte de Lascaux. Combinant une haute exigence scientifique et une véritable volonté d’accessibilité pour le grand public, le centre invite ses visiteurs à ressentir l’émotion authentique de la grotte originale, à apprendre à l’observer, à la questionner.
« Elément majeur de l’équipement, un fac-similé reproduit l’intégralité de Lascaux grâce aux savoir-faire de l’Atelier des fac-similés du Périgord (AFSP). Afin de laisser place à la contemplation et d’offrir une visite immersive, l’atmosphère de la grotte originale a été recréée (température, humidité, éclairage, sons). Un voyage sensoriel au plus près de nos ancêtres d’il y a plus de 20 000 ans », explique Kjetil Trædal Thorsen, membre fondateur de Snøhetta .
Afin de garantir la pérennité au très long terme de la grotte, le conseil scientifique en charge du site préconise une sanctuarisation de la colline de Lascaux. Cette recommandation a dicté l’implantation du projet, qui se déploie en contrebas de la colline. Il s’agit d’un bâtiment-paysage, qui donne le sentiment d’une incision dans le sol, d’une faille horizontale. L’écriture architecturale est sobre et sans ostentation, ce qui renforce d’autant plus la force du lieu.
« Le Centre de l’Art pariétal vise une expérience critique et sensorielle totale, qui se situe au-delà d’une quelconque rivalité entre vrai et faux. Certes, le fac-similé n’est pas la chose en soi. Il se pourrait même que l’aura de cet ensemble de peintures, que Georges Bataille décrivait peu après sa découverte comme « l’aube de l’humanité », décline au fil des reconstitutions successives », ajoute-t-il.
La grotte peinte, reconstruite et déconstruite par Snøhetta, accède au statut générique de document, ignorant ainsi sa condition de copie pour être éprouvée en tant qu’expérience documentaire d’une œuvre reconstituée en trois dimensions.
Les suiveurs se rendront ensuite à quelques kilomètres de là, à Mauzac-et-Grand-Castang, pour découvrir le chantier, dans sa dernière ligne droite, des nouveaux bureaux, services administratifs et services de santé pour les agents du SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) de l’agence CoCo architecture.
Le programme prévoit la construction d’un service extérieur à la prison, composé à la fois d’agents administratifs et d’agents en charge des détenus en détention aménagée, ou en période probatoire. S’y trouve aussi le service de santé du personnel et des lieux de convivialité.
Cette nouvelle construction devait donc faire partie de l’institution mais aussi s’en démarquer en offrant une image moins fermée. Le projet est implanté dans une vallée agricole à caractère fluvial, avec sur le site un verger et un réseau de canaux et d’écluses qui font l’identité du territoire. La volumétrie du nouveau bâtiment utilise le vocabulaire architectural des bâtiments agricoles tels que la serre ou le hangar.
L’habillage extérieur est un bardage et une couverture zinc dont le rythme fait écho à celui des vitrages des serres. Le zinc reflète légèrement le paysage pour fondre le bâtiment dans son environnement. Le projet est inséré dans le verger existant en suivant sa trame orthogonale et en préservant le patrimoine arboricole du lieu.
Cette trame est intégrée à l’intérieur du bâtiment avec la création de patios plantés. Grâce à ces patios, toutes les circulations bénéficient de lumière naturelle. Les lanières du projet se prolongent en treilles et portiques bois pour accueillir des plantations de kiwis grimpants.
Ce projet engage une réflexion sur la durabilité et la modularité en mettant en œuvre un principe constructif basé sur la mise en place de portiques en bois douglas. L’intérêt de ce choix constructif est multiple : la filière sèche bois et la répétitivité de la structure permettent la préfabrication en atelier et une pose rapide sur chantier. Par ailleurs, la trame des portiques libère un plan libre pour un aménagement intérieur modulable en fonction des besoins des différents services. Enfin, le système des portiques s’étend vers l’extérieur afin de créer des abris ou des supports pour une végétation grimpante. Cet élément structurel permet d’envisager une extension future qui utilise les structures porteuses d’ores et déjà en place. Livraison prévue en 2022.
Après ce road-trip varié dans le Périgord noir, les suiveurs iront attendre les derniers coureurs, le maillot jaune et vainqueur du Tout cette fois connu et reconnu.
Pour célébrer l’évènement – et pour eux aussi, juste avant le retour à Paris – les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques, quasiment au bout de leur sportif voyage architectural, s’autoriseront de succomber à une belle omelette aux truffes noires à marier avec un verre de Margaux ou de Saint-Estèphe. Respectant la subtilité du terroir, de belles fraises sucrées et juteuses finiront de combler les palais.
Alice Delaleu (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018