L’aménagement des lieux de travail est le credo de l’agence Majorelle depuis plus de 30 ans. L’agence vient de livrer les nouveaux plateaux de PWC (PricewaterhouseCoopers) dans l’ancien hôtel-Dieu de Lyon. Pourtant les géants de l’audit, qui a contrario des start-up qui ne cessent d’émerger, ne sont pas réputés pour leur envie de proposer des solutions nouvelles et branchées. Le Flex office, un réel besoin ? Rencontre.
Au mois de mars 2018, Thibaud Poirier, directeur de Projet en ‘Workplace Strategy’ de l’agence parisienne d’architecture d’intérieur, me faisait visiter le ‘Creative Lab’ de la maison. Quelques semaines plus tard, les 240 collaborateurs lyonnais de la firme australienne prenaient possession de plus de 3000 m² de plateaux en plein cœur de la capitale des Gaules.
Ici, c’est un quinté dans l’ordre : des casiers sont installés en remplacement des places attitrées, les bureaux individuels ont laissé place à une multitude de salles de réunion, la connectivité a toutes ses barres qui clignotent dans le vert, le gris comptable s’est effacé au profit de couleurs acidulées et «pepsy» tandis que la lumière inonde sans préavis tout ce petit monde désormais entré dans le bureau du futur. Le tout dans un ancien hôpital dont les premières pierres datent du XIIe siècle.
Il n’était donc pas question ici de s’offrir un projet type Le loup de Wall Street, d’autant que les Australiens n’en étaient pas leur premier coup d’essai avec Majorelle. En effet, en 2017, PWC avait amorcé sa mue lors du projet ‘Workplace of the Future’ du ‘Crystal Park’ de Neuilly-sur-Seine.
Pourtant, PWC, comme Deloitte, BPCE ou encore AXA IM, clients de Majorelle, ne sont pas de jeunes start-up qui misent sur une décoration édulcorée pour refléter la créativité qu’elles sont censées porter. D’autant que l’investissement, remis au m², pour ces spécialistes des chiffres à plusieurs zéros est loin d’être négligeable. Si le cœur a ses raisons… le business lui, exige une forme de pragmatisme.
Nicolas Brunetaud, associé de PWC, résumait en avril 2018 lors de l’inauguration de l’Hôtel-Dieu le triple objectif du projet : «il fallait bâtir un écrin cinq étoiles pour accueillir les clients, distiller la digitalisation à tous les étages, tout en décloisonnant l’espace (et les esprits !). Transparence, ouverture… ce lieu incarne finalement l’ADN du conseil». Tout un programme !
Désormais le lieu de travail est à l’image de l’entreprise. Dans des secteurs extrêmement concurrentiels, l’apparence est reine. Il faut montrer que les idées circulent plus vite ? Les cloisons sont abattues. La connectivité comme gage d’efficacité chronique ? Pas de problème, le Wifi est rapide comme la fibre. La fidélisation des clients et des collaborateurs (ça ne se dit plus employés ?) est un des «goals» prioritaires ? Du jaune, du rouge, du vert, du mobilier design et quelques plantes vertes feront l’affaire. A la photo finish, ça marche ?
Bien avant la frénésie de l’’open space’ et de l’’activity based working’ (les petits casiers qui ont remplacé les places attitrées), Majorelle prônait le «changement de lieu pour changer l’entreprise». Désormais les entreprises misent gros pour un changement d’images. «Nouveau Look pour une nouvelle vie» s’applique désormais sans complexe aux grands comptes.
Le Flex office sera-t-il bientôt un passage obligé pour les multinationales autant que pour les petits nouveaux pour fidéliser les talents ?
Pour Majorelle, il ne suffit néanmoins pas d’une borne d’arcade ou d’un baby-foot entre deux cactus pour chambouler l’esprit de tous. «Tout doit partir d’un nouveau projet d’entreprise. L’aménagement n’est alors qu’un accélérateur pour permettre à l’entreprise de s’organiser et de travailler autrement. Sans même déménager, on peut alors faire des nouveaux locaux un relais très efficace des ressources humaines !», relève Richard Galland, le fondateur de l’agence avec Lucy Bakli.
Il s’agit surtout de gagner des mètres carrés, et d’optimiser les coûts. Le paradoxe est que, depuis quelques années, les bureaux se désertifient quand de plus en plus de collaborateurs travaillent de l’extérieur, les lieux de travail doivent donc se réinventer en prenant en compte ce changement de paradigme. Jusqu’à ce que le serpent se morde la queue ?
C’est pourquoi Majorelle a mis en place depuis 2015 un ‘Creative Lab’ dans ses locaux parisiens. «L’aménagement de ces nouveaux lieux de travail ne peut se faire sans les collaborateurs eux-mêmes», souligne Thibaud Poirier. Désormais, leur mode de travail, façon projet, s’applique à la conception des espaces de vie. Majorelle joue participatif.
Le Creative lab est une sorte de laboratoire dévolu à la co-conception. Un panel de collaborateurs de l’entreprise, environ 30 personnes, sont ainsi conviés à concevoir ensemble leurs nouveaux lieux de travail. Un groupe miroir est séparé en plusieurs ateliers, pour maximiser les propositions.
L’avantage de ce travail participatif, calqué sur le fameux mode projet, est de voir émerger les envies mais, aussi, d’entendre les craintes de chacun. «Par exemple, la lumière peut susciter de l’appréhension dans les ‘open spaces’, il y a ceux qui aiment et ceux que cela gêne», raconte Thibaud Poirier.
«Dans un tel espace, on parle moins frontalement pour ne pas déranger les autres, il faut aussi arriver tôt pour avoir les bonnes places… Mais il y a ceux qui en rient. Un utilisateur d’un de ces espaces m’expliquait il y a peu qu’il avait un jeu, celui d’identifier ceux qui s’installaient chaque jour au même endroit, pour leur piquer leur place», dit-il. Les habitudes seraient-elles promptes à reprendre leurs droits ?
Ces nouvelles façons de travailler sont en revanche bien perçues puisque 80% des managers sont prêts à quitter leur bureau fermé, à condition de mettre à disposition de tous des espaces de réunions. Les cadres sont donc symboliquement prêts à perdre un peu de leur statut, les bureaux désormais hyperconnectés, qui accélèrent la communication, rendant possible cette mutation de l’esprit. «Les modes organisationnels sont en train de changer l’univers tertiaire. Notamment parce que la hiérarchie se fait plus horizontale, le nouveau Flex-office le démontre chez PWC», conclut Thibaud Poirier.
Reste à savoir si ce sont les nouveaux modes collaboratifs qui influent sur l’aménagement ou, au contraire, si c’est l’aménagement qui oriente inconsciemment vers une productivité accrue et une plus grande disponibilité virtuelle (venir tôt pour les bonnes place !). Aujourd’hui, Majorelle anticipe pour bientôt une majorité de plateaux de bureaux en Flex-office avec des espaces de plus en plus modulables et novateurs. Ces espaces pourront-ils absorber dans le temps les évolutions futures ?
Plus qu’une simple mode, ce qui ressemble à une véritable avancée sociétale est en réalité une savante opération marketing qui vise moins le bien-être des collaborateurs que la fidélisation des talents, et des clients. Et Laëtitia Coly, chargée de communication chez Majorelle, présente lors de l’entretien de trouver le mot de la fin : «repenser le territoire dévolu au travail est lui donner une valeur ajoutée pour se reconnecter aux valeurs de l’entreprise».
Les concepts de «bien-être au travail», les espaces de détente comme les salles de sieste, les concepts de restauration à l’opposé de la cantine d’entreprise ne seraient donc qu’un leurre ? En tout cas rien ne permet encore de s’assurer de l’efficacité des Flex Office dans la productivité des salariés.
Alice Delaleu