La maison sur la cascade de Frank Lloyd Wright, sacrée en 1991 comme la «meilleure œuvre de tous les temps de l’architecture américaine», continue de souffler les architectes du monde entier. Pour preuve, l’architecte tchèque Michal Sluka n’en fait pas mystère : la maison qu’il a construite en banlieue de Prague en est directement inspirée. Plagiat ? Créativité ? Découverte.
Contexte historique
En 1934, à 80 kilomètres de Pittsburgh, en Pennsylvanie, le riche industriel Edgar J. Kaufmann, propriétaire de la chaîne de magasins du même nom, cède à un luxueux caprice, celui de rendre habitable un terrain qu’il possède en dehors de la ville, situé au beau milieu d’un parc verdoyant et agrémenté d’une sublime cascade. Amoureux de ce cadre idyllique, l’homme d’affaires et sa femme ont beau faire installer de petites cabanes sur le terrain pour profiter à leur guise du calme de la cascade, l’humidité ronge malheureusement les constructions, obligeant Kaufmann à trouver une solution rapidement pour préserver son coin de paradis.
L’industriel décide alors de faire appel à un architecte pour ériger une demeure digne de ce nom et de la réputation des Kaufmann. Son fils lui conseille l’un de ses anciens professeurs, Frank Lloyd Wright (1857-1959), concepteur des maisons usoniennes, ces habitations en harmonie avec l’environnement où elles sont construites, et déjà auteur de la Robie House de Chicago.
Ce dernier se fixe pour objectif d’intégrer la structure de la maison à la cascade et envisage de construire la bâtisse au-dessus même du jet d’eau. Premier problème, le maître d’ouvrage rêve de pouvoir profiter de la vue de la cascade et non de vivre littéralement «dedans». De plus, le couple Kaufmann, amateur de mondanités en tout genre, a des exigences bien précises. Il voudrait non seulement que la maison soit apte à accueillir leurs petites sauteries, mais désire également deux chambres séparées, ainsi qu’une pièce pour leur fils, et une chambre d’amis.
La préparation des travaux durera plusieurs mois. Après une longue réflexion, F.L Wright propose des plans que Kaufmann approuve. Mais l’utilisation de béton armé pour la construction fait peur à l’industriel qui envisage même de retravailler les plans avec un groupe d’ingénieurs, provoquant la colère de l’architecte qui menace de quitter le chantier. Malgré cette situation conflictuelle, Kaufmann se résout à laisser carte blanche à l’architecte et la maison principale est finalement achevée en octobre 1937, avec un budget largement dépassé (155 000 dollars au lieu des 35 000 prévus initialement).
Wright, qui a bel et bien compris la nature du fantasme de son client a cherché à créer une harmonie entre le bâtiment et l’environnement verdoyant. La structure du bâtiment se marie à merveille avec la cascade. L’ensemble de la construction fut achevé en 1939, avec le rajout de l’intendance pour les domestiques, du parking et de la maison pour les invités, situés plus haut sur la colline. La couleur jaune ocre et rouge acier de l’ensemble fit finalement le bonheur du couple Kaufmann.
Véritable chef-d’œuvre. En 1938, l’hebdomadaire britannique Time considère que cette maison est définitivement la plus belle réalisation de Frank Lloyd Wright. De nos jours, la fameuse «Fallingwater house» fait partie des grandes créations résidentielles du XXe siècle. Son maître d’oeuvre a été reconnu en 1991, comme le plus grand architecte américain de l’histoire par l’Institut des Architectes Américains (AIA) et sa Maison sur la cascade comme la «meilleure œuvre de tous les temps de l’architecture américaine». En janvier 2008, le magazine Smithsonian a carrément classé le bâtiment parmi sa liste des «28 lieux à visiter avant de mourir». En 1966, elle est classée aux monuments historiques américains.
Un clin d’œil appuyé à «Maître Wright»
C’est cette histoire qu’a revisitée l’architecte tchèque Michal Sluka qui a livré fin 2014 dans la banlieue de Prague, au milieu d’un coin de nature, une somptueuse villa directement inspirée de la Maison sur la cascade.
Située au Lysolajsky potok, non loin de l’université d’Etudes agricoles de Prague, la demeure offre un havre de paix, à l’abri de tout vis-à-vis et de la circulation. Sa structure monolithique en béton armé est agrémentée d’une isolation externe de laine et de panneaux ventilés en prismes de bois.
«Dans la banlieue de Prague, une coquette petite villa ressemble à s’y méprendre au chef-d’œuvre de l’architecte américain. A l’instar de la Maison sur la cascade, cette demeure réalisée par l’architecte tchèque Michal Sluka, du bureau FACIS’ se marie avec succès au terrain difficile où elle se tient et offre à ses habitants une qualité de vie des plus enviables, à quelques kilomètres seulement du centre-ville», écrit la journaliste Jitka Pálková, de la rubrique architecture du quotidien tchèque Idnes.
Comme celle du maître, la construction de 148 m² se trouve cachée au beau milieu de la vallée du ruisseau Lysolajský, sans aucun vis-à-vis ni voisin à proximité.
La structure du bâtiment de Michal Sluka se compose de deux blocs perpendiculaires, placés sur un socle en pierre solide. Vue d’en haut, la composition a la forme d’une croix asymétrique. Malgré sa façade massive, la maison reste très lumineuse grâce à ses grandes ouvertures et ses baies vitrées, tandis qu’à l’extérieur, des terrasses en béton armé monolithique permettent de profiter du dehors. Ainsi, le bâtiment, qui peut avoir l’air compact et fermé au premier abord, est en réalité très ouvert et spacieux, offrant une incroyable liberté de mouvement à ses occupants.
Entre la maison et le mur de roche qui la jouxte, l’architecte a fait réaliser un atrium autour duquel s’organise toute la construction. De l’aube à l’heure du déjeuner, les rayons du soleil viennent caresser cet espace d’intimité et de calme situé à l’opposé de la rue. A proximité se trouve une source d’eau naturelle. Une aubaine pour l’architecte qui, s’inspirant de la Fallingwater de F.L Wright, n’a pu résister à l’envie de créer un bassin et une cascade de pierre, transformant l’atrium en une oasis de paix.
L’entrée, le garage et le studio adjacent avec entrée séparée accessible par le jardin sont au rez-de-chaussée. Pour se rendre dans le grand et spacieux salon, lieu de vie principal du logement, il faut emprunter l’escalier extérieur situé en plein centre de la maison.
La chambre est orientée parallèlement à la rue et l’axe principal du bâtiment est le couloir qui longe la façade sud-ouest et sépare la villa des rues alentour. Les chambres et salles de bains sont toutes tournées en direction de l’atrium et de sa cascade au clapotis apaisant. Un ensemble raffiné de portes et de murs coulissants permet de jongler avec l’espace à sa guise.
La chambre parentale située au bout du couloir est agrémentée de baies vitrées et d’une terrasse offrant une fois de plus une vue agréable sur l’atrium du rez-de-chaussée. Au même étage on trouve également un bureau de travail, séparé du reste des chambres et ayant sa propre terrasse extérieure orientée nord/ouest.
L’escalier central continue jusqu’au premier étage, où la maison culmine en un vaste espace de vie aéré et ouvert. La grande salle rectangulaire est entourée de murs en verre et de terrasses sur trois côtés. «Le fait que la maison soit ouverte de tous les côtés lui donne un aspect apaisant et bénéfique. On s’y sent libre», explique Michal Sluka. Et d’ajouter : «tout cet espace permet d’aérer la maison à sa guise, de sorte que, même en plein été et avec les grandes baies vitrées, il n’est pas du tout indispensable d’avoir une climatisation. Il y fait frais et agréable».
La façade principale est orientée sud/ouest avec des portes coulissantes en verre donnant sur un pont en bois ouvert sur l’extérieur où la famille peut profiter d’une vue splendide et du soleil à n’importe quelle heure de la journée. En cas de grosses chaleurs, l’heureux habitant de la villa n’aura qu’à descendre l’escalier central pour se rafraîchir dans l’atrium, près de la cascade.
Les liens avec l’environnement et le rapport à la nature sont omniprésents dans la maison. L’étage supérieur a été garni de bois d’épicéa qui, dans un charmant dégradé, vire au gris et se fond avec le paysage alentour. Les fenêtres, elles, sont en bois de chêne, avec des planchers palissandre et des escaliers en panneaux de bois collés entre eux.
Michal Sluka a expliqué avoir choisi le terrain pour son aspect isolé et rustique : «La vallée du ruisseau a su garder son charme et son atmosphère agréable. Pour couronner le tout, la vue qu’offre le bâtiment de son sommet est tout simplement magnifique». Frank Lloyd Wright aurait pu dire la même chose.
Kyrill Kotikov (avec Jitka Pálková, Můj dům, Idnes)