La passion d’Etienne Tricaud, le président d’AREP, pour les gares est intacte. En témoigne sans doute la fierté avec laquelle il présente la nouvelle gare de Lorient lors d’une visite de presse. La gare est petite, sans commune mesure avec des ouvrages récemment livrés ou proposés par AREP. Lorient, dans le Morbihan, était un terminus. Elle est devenue une destination.
Cela faisait un moment que je n’étais allé en Bretagne, c’est-à-dire à Lorient. L’occasion est la découverte de la nouvelle gare livrée par AREP au printemps 2017. Dans la gare neuve, la signalétique est en deux langues, en français et en breton. Voyage à l’étranger ?
C’est pourtant début juillet que la nouvelle ligne de TGV va mettre la ville de Lorient à portée de tir de Paris, moins de trois heures. Voilà pour l’indépendance. En tout état de cause, il fallait une nouvelle gare pour remplacer l’existante qui suintait la tristesse.
Etienne Tricaud aime faire des gares. Imaginez par exemple un voyage en train de Paris à Lorient et retour. A chaque gare traversée ou presque, même sans s’arrêter, c’est une gare AREP ou alors un chantier en cours avec tel ou tel l’architecte. Parfois Etienne Tricaud sourit, d’autres fois, il fait la moue.
Le patron d’AREP explique à volonté, il n’est pas le seul, le nouveau rôle de la gare en tant que pôle urbain innovant, non plus un simple lieu de transit mais aussi un lieu de commerce, d’échanges, une destination. Une nouvelle ‘centralité’ loin de l’image de zone industrielle et de cafés glauques qui il y a peu squattaient encore les centres-villes autours des gares.
Ces nouvelles centralités sont sources d’affaires et il est entendu que les 60 gares du Grand Paris Express sont autant d’opportunités financières que de projets urbains. Quand le bâtiment va… De fait, juste en face de la nouvelle gare de Lorient – Ti-gare an Orient Krestez Breizh, en dialecte – une ZAC de Nicolas Michelin, auteur du bâtiment qui viendra fermer le parvis et le nouvel espace public.
Mais si Etienne Tricaud aime faire des gares – je dis Etienne Tricaud mais ce n’est pas comme si l’architecte-ingénieur était tout seul à tirer les traits – c’est justement parce qu’il en a une vision qui dépasse leur fonction, qui dépasse l’architecture.
Quand Etienne Tricaud raconte un détail astucieux de construction – à Lorient par exemple, le ‘boomerang’, élément de structure qui tient le toit en suspension protégeant l’entrée à l’abri du vent et dont il est très fier – l’échelle de sa réflexion est en fait bien plus large. Le détail, de plusieurs tonnes quand même, n’est que l’illustration d’une vision beaucoup plus globale. Peut-être la gare n’est-elle pour lui qu’un prétexte tant c’est apparemment l’échelle de la ville, voire du territoire, qui l’intéresse.
Lorient, il faut le savoir, est en Bretagne une ville de durs au mal. La ville, bombardée à 80% pendant la seconde guerre mondiale, n’a pas été reconstruite élégamment comme Le Havre ou Caen ; chez les Merlus, en héritage, une base de sous-marins dont la ville n’a longtemps pas su que faire et le caractère ronchon et courageux d’Ordralphabetix.
Même la gare, datant des années 50, avait été construite à l’envers. L’entrée faisait face au seul quartier historique préservé de Lorient, quand toute la ville s’est reconstruite de l’autre côté des voies, comme si ce quartier coloré de Lorient devait s’en vouloir à jamais de n’avoir pas été écrasé sous les bombes. Pour atteindre la gare depuis le centre-ville, il fallait faire un grand détour. Aujourd’hui, la gare de Lorient ne tourne plus le dos à l’histoire.
Lorient peut encore s’enorgueillir de l’Orientis, immense immeuble construit en 1989, date de l’arrivée du TGV en ville. Pour rétablir l’ordonnancement de la ville, ouvrir la perspective de la gare vers le centre, le port et les commerces et connecter deux quartiers si longtemps séparés, Etienne Tricaud a tranché, au sens propre, un bout de l’Orientis. «Nous avons cherché un joint et nous avons coupé», explique-t-il.
Une décision qui a moins à voir avec la gare elle-même et ses trains qui passent qu’avec une vision de l’organisation de la cité. Certes faire une gare est gérer les flux, c’est aussi en l’occurrence faire le pari de l’avenir. En tout cas, la connexion visuelle entre les deux quartiers enfin rétablie au travers de la façade de verre permet dorénavant à la ville de chérir le présent.
Etienne Tricaud travaille pour la SNCF et il est permis de penser qu’il se sent sans doute investi d’une mission de service public. Quand il en a eu l’occasion, plutôt que de céder à la peur anxiogène de l’époque, il a fait de la nouvelle gare de Lorient en tant que telle le passage utile et élégant d’un quartier de la ville à l’autre, un lieu public entre tous guidé par un dessin urbain, noyau d’un développement urbain à venir.
Non qu’il ne prête attention à l’objet lui-même. A priori, si un architecte, à Lorient, explique que «le bâtiment à la forme d’un thonier de l’île de Groix», le journaliste craint aussitôt le concept un peu lourdingue. En l’occurrence, pas du tout. L’objectif urbain initial, le lien avec la ville autour de sa gare, une fois atteint, pourquoi pas en effet quelque indulgence ? Il suffit de prendre un peu de recul, puis de chercher sur son téléphone les photos des fameux thoniers dont il parle, de regarder les bateaux sur le téléphone, de regarder le bâtiment en vrai, encore une fois, dit comme ça, ça a l’air kitch mais la gare devient aussi un bâtiment au sens maritime du terme, une image familière qui va plaire à Lorient, l’appel du large, le concept et tout ça.
De fait, la façade de bois, de béton fibré (Befup) et de verre affiche des courbes et des torsions qui défient le vent qui arrache le bardage comme la coque des thoniers de l’île de Groix défie les éléments. Ne manquent que les mouettes.
S’il peut s’autoriser à céder à la mélancolie du grand large, c’est parce qu’Etienne Tricaud n’aime rien tant que faire des gares, parce qu’il aime les villes, qu’il est un homme de paix et que d’un terminus, il sait faire un point de départ qui solde l’histoire et la mauvaise réputation.
Lorient Bretagne-Sud, il est encore temps de s’y précipiter. Passez par la gare.
Christophe Leray
Pour découvrir la gare plus en détail, lire notre article Nouvelle gare de Lorient – Bretagne sud / Ti-gare an Orient Kresteiz Breizh