Découvrir l’architecture de terre des déserts, la vie des oasis, rencontrer une population à l’époque encore épargnée par le tourisme envahissant et pollueur… Explorer à pied, à cheval, à bicyclette, à motocyclette ou en jeep, le vrai voyage. Acheter de l’encre de Chine, une plume, du papier Canson à haut grammage, ni crayon ni gomme… Capturer l’essentiel de l’image en un temps très limité. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
Ici nous sommes dans le Sud tunisien, les ghorfas et Matmata créent un univers métaphysique captivant qui, s’il a servi de décor à plusieurs films, dont Star War, a surtout vu depuis mon passage le siècle dernier certains des sites rénovés et classés Patrimoine mondial par l’UNESCO.
Le territoire est une zone géographique ingrate, balayée par le vent et la sécheresse d’un climat aride et austère, à la limite du désert. Là, sur des points stratégiques, sont implantées d’étonnantes et véritables villes fortifiées. Ceux que les Romains appelaient « Barbares », fuyant les envahisseurs successifs, ont abandonné la plaine du littoral et les vallées pour se réfugier dans le Djebel, créant des nids d’aigle fortifiés et insaisissables comme Chenini, Douiret, Guermessa et Ouazen près de Dehibat en Lybie.
Gabès : c’est déjà le Sud tunisien. Les palmeraies frissonnent, l’air est rouge de sable, le désert est proche. Au bout de l’avenue bien dessinée et bordée de palmiers régulièrement plantés, une petite gare d’autobus et de louage qui tôt le matin est déjà très animée.
A une heure de là, au sud, un paysage lunaire. Effrayante et calme, Matmata est une oasis couverte de cratères, de tumulus de terre. Renonçant à fuir encore, des Berbères se sont sédentarisés dans ce paysage rouge et vallonné, la population troglodytique vivant au fond de larges trous béants circulaires d’environ 15 mètres de diamètre.
Taillée dans la terre, la chambre à coucher matrimoniale est la salle de réception des invités. Les « meubles » font partie intégrante de murs peints à la chaux blanche pour écarter les insectes. Si le mobilier est rudimentaire – quelques coussins et deux nattes posées de part et d’autre du sommier matrimonial – cette pièce est la plus importante de l’habitation troglodytique. Sa température intérieure est fraîche et contraste avec le soleil brûlant qui plonge dans la cour.
L’habitat est aussi une succession de greniers. Des jarres en terre cuite contiennent de l’huile. De chaque côté de la porte d’entrée sont stockés olives et blé. Les Matmatas souvent dotées d’un étage, l’accès s’effectuant par un escalier extérieur sculpté dans la terre.
Dans une autre pièce se trouve le métier à tisser. C’est le domaine privé de la femme. Des fils de laine pendent au mur. Plusieurs pièces de taille analogue sont réservées à des usages divers : habitations, réserves, abris d’animaux. À l’intérieur de la grotte, la température est constante en hiver comme en été.
Dans la cour, près du four à pain, sont disposés des silos à grains légèrement surélevés en raison des insectes et des rongeurs. Le foyer en pierre et poterie se situe au centre de la cour pour une meilleure évacuation de la fumée.
Les parois de la vallée sont un véritable gruyère. Chaque Tumulus abrite une matmata, que la population locale construit toujours. Pour ce faire, il faut d’abord établir les limites de la maison. Ce périmètre est ensuite creusé d’une tranchée profonde, la terre dégagée étant déposée puis damée tel un promontoire du côté face au vent. L’excavation peut atteindre 10 à 15 mètres. Les pierres étant rares, le gypse sert à consolider certains murs pour empêcher l’effritement. L’entourages des portes et fenêtres est peint à la chaux et réfléchit les rayons du soleil.
Des chemins mènent à un puits commun, lieu de rencontre des femmes.
De l’autre côté de la plaine de la Djefara, quand le vent de sable sec et chaud a remplacé l’air marin, pour les Berbères qui se repliaient dans les montagnes, c’est encore cette nature ingrate qui servit de cachette. Ainsi naquirent les Ksours de Foum Tataouine. Digne du relief tabulaire de la vallée du Colorado, ce paysage de Mesa, caché derrière un virage, laisse apparaître au lointain la silhouette crénelée d’une ville fortifiée.
Chenini, Douiret et Guermessa se trouvent au sud-ouest de Foum Tataouine. Pour profiter au maximum de la terre arable de la vallée, Chenini s’agrippe telle une citadelle sur le piton rocheux du Djebel. En ruine, la ville paraît déserte, puis, en s’approchant, de découvrir une véritable ruche humaine. Deux mille personnes y vivent réparties en quatre cents familles. Les ghorfas, anciens greniers à blé destinés à protéger les récoltes (blé, orge, olives) et construits au sommet de pitons rocheux difficilement accessibles, ont été aménagés.
Trois ou quatre étages de greniers empilés les uns sur les autres forment des murs imposants et aveugles du côté de la vallée, l’accès aux greniers se faisant par une cour intérieure. Les habitants, disposant de très peu de matériaux, outre la pierre, fabriquaient des voûtes en berceaux, longues de 4 à 6 mètres, larges de 2 à 3 mètres et haute de 2 mètres.
Pour construire une ghorfa, sont d’abord élevés deux petits murets en pierre entre lesquels sont disposés quelques sacs de grains en vue du coffrage. Une natte recouvre le tout, puis une couche d’argile et de gypse avec des pierres. La voûte se monte ainsi, les sacs de grains retirés à une extrémité au moment de procéder au démoulage.
Les ghorfas de Chenini auraient plus de 1 000 ans. L’assemblage de toutes ces ghorfas forme le Ksar, place de marché et véritable agora de vie sociale en temps de paix mais qui peut devenir totalement hermétique en temps de guerre. Un lieu de protection du même type que le Fondouk arabe traditionnel, abri sédentaire des caravaniers nomades, le Fondouk étant une juxtaposition de cellules à l’intérieur d’un mur périmétral. L’entrée est le seul accès de l’extérieur, chaque cellule au niveau du rez-de-chaussée faisait usage de stockage, les caravaniers logeant à l’étage.
La nature du terrain implique différentes formes de culture et d’habitat. C’est ainsi que sont distingués les Ksars de montagne et les Ksars de plaine. Trois types d’habitats sont distincts : un habitat nomade dans la plaine, un habitat temporaire sur les plateaux pour les pâturages et les troupeaux et un habitat sédentaire dans les Ksars des montagnes. Médenine est, à l’heure actuelle, la plus importante ville administrative du Sud tunisien. Du fait de son implantation géographique, elle fut aussi le plus grand groupement de ksars – on en comptait 25 – plusieurs tribus plaçant alors leur grain sous une protection commune. Le Ksar du Djebel n’est donc pas uniquement une ville fortifiée de type défensive appelé « Kaala « , c’est aussi un grenier collectif construit dans la même enceinte.
Le bulldozer passait quotidiennement sur ces Ksars vétustes, en piteux état, utilisés encore pour certains en remise ou convertis en petits commerces. L’industrie touristique a rendu possible ces réhabilitations en hôtels et Souks. L’intérêt considérable de ce patrimoine culturel architectural n’est cependant pas suffisamment et globalement pris en considération.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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PS – Jean-Pierre Heim a reçu le 22 février 2023 à Rome (Italie) le Prix Business Care remis par la chambre des députés. (NdE)