Après un mois et demi de confinement, Corinne Vezzoni, architecte, membre de l’Académie d’Architecture, vit cette période entre inquiétude et enthousiasme. « Le rapport au temps n’est plus le même », dit-elle.
De mars à juin 2020, durant le confinement et jusqu’au déconfinement, l’Académie d’architecture a questionné ses académiciens et académiciennes quant à leurs réponses et réactions face à cette contrainte inattendue. Chroniques d’architecture publie neuf de ces entretiens.
Académie d’architecture – Où travaillez-vous en cette période de confinement ?
Corinne Vezzoni – Je me rends, chaque jour, dans nos bureaux. Nous n’y sommes que deux et à chacun son étage ! Nos locaux à Paris sont, quant à eux, restés fermés. Les dix-huit collaborateurs de l’agence sont tous chez eux.
Tous travaillent-ils ?
Nous avons dû mettre tous les architectes en charge des chantiers au chômage technique. Cette décision a été prise rapidement car il nous fallait agir vite sur un plan économique et répondre à l’arrêt brutal de nos projets en cours de construction.
Certains chantiers ont-ils cependant repris depuis ?
Deux seulement ont repris aujourd’hui [27 avril], l’un à Nice, l’autre à Toulon. Le premier porte sur un ensemble important mêlant un centre des métiers de l’automobile, des logements, les locaux de la Chambre de Commerce et un internat soit une mini-ville sur une seule et unique parcelle.
Le second correspond à une opération de logements. Nous espérons que l’Ecole d’Art de Toulon puisse aussi reprendre dès la semaine prochaine.
Vous y retrouvez-vous dans le travail à distance ?
J’ai besoin de calques et de feutres ! Expliquer l’espace et les proportions par des mots est un exercice difficile.
Nous connaissions certes le travail à distance avec l’agence de Paris mais nous n’avions pas cette habitude avec les collaborateurs de Marseille. Ce n’est pas évident.
Constatez-vous des changements dans le comportement des uns et des autres ?
Certains architectes sont, à l’agence, très demandeurs depuis qu’ils ne sont plus sur place. Ils m’appellent davantage, plus qu’ils ne me sollicitaient quand ils étaient sur place. L’isolement est une situation difficile pour certains.
D’autres y trouvent un confort, surtout ceux qui habitent loin et perdent un temps précieux dans des trajets interminables pour rejoindre Marseille. Je pense prolonger pour ceux-là cette organisation si jamais ils le souhaitaient.
Est-ce à dire que l’agence changera ?
Je me suis d’autant plus posé cette question que nous venons de déménager. Nous étions « au Corbusier » [à la Cité Radieuse, ndla] tous à l’étroit, les uns sur les autres. Nous avons alors vendu pour consentir un investissement lourd : l’achat d’une grande maison. Tout le monde était alors ravi de cette décision… mais qui y reviendra désormais ? Si le confinement n’avait duré que quinze jours, personne n’aurait développé de nouvelles habitudes. Là, la durée fait que nous nous installons dans autre chose et peut-être l’acquisition de cette maison ne fait plus sens. L’avenir nous le dira.
Que retirez-vous du confinement ?
Que je fais enfin ce que je ne faisais plus : des maquettes ! J’ai repris des ciseaux et du carton. J’aime cet exercice. Je l’ai toujours aimé car en même temps que je pense, je construis. C’est un moment où l’on rentre spatialement dans le projet. Et même si ce sont des maquettes rustiques, je les photographie et les partage avec les autres. Elle nous aide considérablement à nous comprendre.
J’apprends aussi du confinement le bon usage du temps, moi qui suis obligée de me déplacer énormément, à Bordeaux, à Nice, à Paris, des journées entières perdues pour une seule et unique réunion de quelques heures. Nous faisons maintenant différemment.
Enfin, en ce qui concerne l’exercice de conception, j’ai retrouvé des moments perdus. Je peux reprendre le temps de dessiner ; je suis faite pour cela. Il y a également le temps de la recherche et de l’écriture que je retrouve avec plaisir. Je rouvre des livres et ne me contente plus que de la seule lecture de l’actualité que le temps d’un week-end m’autorisait. Je prends donc le temps de me pencher sur l’œuvre de certains architectes. Ce sont des moments agréables où une idée en chasse une autre.
Et l’après ?
Après le confinement – et si la crise sanitaire est révolue – nous aurons à vivre vraisemblablement une autre période électorale. Les municipales ont pour habitude de tout bloquer. La perspective de nouvelles échéances dans les grandes villes et leurs environs, là où nous construisons principalement, nous inquiète particulièrement. Enfin, la situation économique du pays dictera-t-elle l’abandon de certains projets ? Obligera-t-elle de nouvelles orientations ? Nous sommes dans l’incertitude la plus grande.
Propos recueillis par l’Académie d’architecture
Entretien réalisé le 27 avril 2020
Retrouvez les neuf entretiens de la série.