C’est au Pays-Bas, près de La Haye, que Jean Nouvel et son maître d’ouvrage, l’Office Européen des Brevets (OEB)* avait donné rendez-vous à la presse fin juin 2018 pour visiter le nouveau siège batave de l’institution européenne – le New Main -, première livraison d’une année 2018 pour les Ateliers Jean Nouvel rythmée par l’achèvement de plusieurs chantiers notoires, de Marseille à Doha à La Défense et Rotterdam. Visite.
Découvrir un nouveau bâtiment une veille d’inauguration officielle, qui plus est avec architectes et maître d’ouvrage éclairés, a comme un petit goût d’avant-première cannoise. C’est du moins l’impression que donnait la visite du nouvel OEB, installé fièrement à Rijswijk, dans la banlieue de La Haye, aux Pays-Bas. Zélés, Jean Nouvel et son équipe (AJN), l’architecte Diederik Dam (Dam & Partners Architecten), Benoît Battistelli, président de l’OEB avaient fait le déplacement. Si le choix des deux agences d’architecture internationales en était un indice, cette mobilisation traduit bien les ambitions architecturales et symboliques de l’ouvrage.
Financé entièrement par l’OEB sur ses fonds propres, ce nouveau bâtiment témoigne également de l’investissement continu de l’Office Européen des Brevets aux Pays-Bas et de son implication dans l’innovation. En effet, construit en quatre ans, ce projet représente le plus important investissement de l’organisation aux Pays-Bas en 40 ans d’existence, soit environ 205 M€ pour 85 000 m² construits.
Au pays des villes canaux, les bâtiments hauts ne sont pas légion. Cette petite confrérie vient néanmoins d’accueillir en son sein un nouvel arrivant, et pas des plus discrets, avec ses 156 mètres de long, 107 mètres de haut et 24 de large. New Main, c’est son nom alambiqué, est donc la plus haute et fine construction des Pays-Bas et d’Europe. Elle offre des plateaux de 12 mètres de largeur tenus par deux premières façades. La double façade, construite en retrait pour ménager le grand vide dans lequel sont suspendues les jardinières, permet la ventilation naturelle et la protection acoustique.
Le New Main est implanté à la place des anciens bureaux néerlandais de l’Institution, dont l’ancienne tour, bâtie dans les années 60, jouxte encore son successeur, avant d’être déconstruite progressivement. «Nous avons fait appel à Jean Nouvel car c’est un architecte qui ne livre pas deux bâtiments identiques, pour qui le contexte prime», explique le maître d’ouvrage, volontaire.
«On est sur un polder…», prévient Jean Nouvel en préambule. Pour assurer la stabilité de l’édifice, des centaines de pieux ont été nécessaires pour le fonder à plus de 20 mètres en sous-sol. «… et ce qui m’a frappé est l’horizontalité du paysage», poursuit-il, ajoutant «qu’ici, toutes les constructions ont une même orientation Est/Ouest, comme les bateaux». Polder-horizontalité-bateaux… Inspiré l’architecte ?
Il est vrai que dans ce contexte si particulier, il ne fallait pas heurter l’imaginaire local. C’est pourquoi Jean Nouvel et Diederik Dam ont pris le parti de proposer un vaisseau amiral tout de verre et d’acier qui trouve sa source dans la matérialité alentour, c’est-à-dire celle du ciel changeant, de l’eau du site et de la lumière du nord.
Si le bâtiment est calme, sobre et serein, c’est «qu’il parle à notre culture janséniste, nous n’aimons pas trop montrer !» souligne non sans une pointe d’ironie, Benoît Battistelli, le président de l’OEB. Pour répondre à cette sensibilité, les architectes ont conçu une superposition de plusieurs systèmes d’abstraction, de miroirs, de transparence et de reflets. «La matière constitue la première essence des bâtiments» rappelle Jean Nouvel, concepteur de la fondation Cartier pour l’art contemporain dont la filiation est évidente pour ce bâtiment.
La séquence d’entrée témoigne de l’honorabilité d’une institution composée de 38 pays et ayant déjà délivré plus d’un milliard de brevets, des enjeux manifestes dès le hall, accessible par une rampe dans une séquence d’entrée très officielle. D’ailleurs, le lendemain de la visite de presse, l’inauguration avait lieu en présence de S.M. Willem-Alexander des Pays-Bas elle-même. Passé le pas de porte, le plafond, recouvert de plaques de couleurs, rappelle les drapeaux des pays membres. La façade arrière est déjà bien en vue avec la lumière qu’elle amène à l’intérieur, laissant deviner un passage vers le second bâtiment de l’OEB, le Hinge, qui fait le lien avec les autres bâtiments de l’OEB. Pour accéder aux différents services (restaurants, fitness, salles de réunion…), il faudra passer sous un miroir d’eau.
Dès les pieds du New Main, l’impression de légèreté est saisissante, malgré la hauteur. Cela est dû à une double peau en verre, située à plusieurs mètres de la façade. Cette double façade en verre** très transparente joue le rôle de tampon climatique, assurant la ventilation naturelle en été et conservant la chaleur en hiver. Par ailleurs, des centaines de panneaux solaires sur le toit apporteront la source énergétique principale nécessaire au confort des 2 000 examinateurs venus des quatre coins de l’Europe qui y travailleront.
Dans l’interstice, des jardins suspendus trouvent place et contribuent à la quiétude du lieu grâce à l’entrée de la nature, toute contrôlée qu’elle soit, dans l’édifice. Et Jean Nouvel de convoquer “Le Je-ne-sais-quoi et le Presque rien” cher au philosophe Vladimir Jankélévitch sur la notion de l’ordre de l’impalpable. Autrement dit, en architecture, il s’agit de capter l’esprit du lieu.
Environ 300 variétés d’essences s’épanouiront dans cette Babylone du nord. Les jardinières sont également un prolongement de la nature à l’extérieur, «une façon aussi de prendre conscience de ce qu’il y a autour tout en étant bien isolé», explique Diederik Dam, l’architecte néerlandais. Il faut dire que le siège est érigé le long de l’autoroute la plus passante du pays, un paysage fascinant mais peu agréable à entendre. Ici, la façade joue parfaitement sa fonction protectrice.
Dans la lignée de bien des projets nouvelliens, Diederik Dam explique que «le New Main est un bâtiment paysage qui reflète de haut en bas, de chaque côté et de l’intérieur et de l’extérieur, le contexte qui l’entoure grâce à sa transparence». D’ici deux ans, il aura même les pieds dans l’eau, ce qui aura pour effet – c’est le but avoué – d’accentuer encore les jeux subtils de lumières, de reflets, de miroirs et de flous. «Le bâtiment s’intègre dans l’atmosphère et dialogue avec le ciel. C’est comme si le New Main avait quelque chose à dire aux nuages», souligne l’architecte français.
Au fur et à mesure que le visiteur s’élève dans les 26 étages du bâtiment, le paysage se dévoile et est progressivement mis en scène. Depuis les plateaux de travail, la vue sur le Westland au sud est spectaculaire, d’autant que la façade intérieure se reflète dans la façade extérieure. Sur le côté nord du bâtiment, l’espace intermédiaire est beaucoup plus étroit mais offre une autre vue jusqu’à la mer du nord. Finalement, depuis l’immense toit-terrasse, c’est presque tous les Pays-Bas qui, derrière l’écran vitré qui met le pays en scène, deviennent le principal acteur d’un panorama étourdissant.
Si nul n’est prophète en son pays, au Pays-Bas au moins, Jean nouvel livre un projet sobre et élégant, dans la droite ligne de la Fondation Cartier, pour un maître d’ouvrage ravi.
Léa Muller
*L’Office Européen des Brevets (OEB) est la deuxième plus grande institution publique en Europe, et la plus grande organisation internationale aux Pays-Bas.
**Il s’agit de verre ‘low-iron’, le peu de fer qu’il contient dans sa composition le rend presque invisible.