
En décembre 2024, je me suis rendue au SIMI. Pour les non-initiés, il s’agit du Salon de l’Immobilier d’Entreprise, une grand-messe où promoteurs, investisseurs, collectivités et quelques architectes se croisent dans un tourbillon de cartes de visite et de poignées de main.
Image de loin
Avant d’y mettre les pieds, j’en avais une vision un peu floue mais pas forcément reluisante. J’en avais entendu parler comme d’un passage obligé pour qui veut « trouver du boulot », un terrain de chasse aux promoteurs, mais aussi comme d’un club fermé où l’on trinque en racontant de bonnes blagues bien grasses sur l’art de tartiner du béton.
Avec ce tableau en tête, j’ai hésité. Y aller ou non ? Ma curiosité piquée, après tout il faut bien un jour jouer dans la cour des grands, alors VENI, VIDI… SIMI ?
J’étais prévenue : « Un SIMI, ça se prépare ». Soit. J’ai donc listé tous les promoteurs que je connaissais, envoyé des demandes de rendez-vous et compris que, trois jours avant l’événement, c’était déjà presque trop tard. Malgré tout, j’ai réussi à caler quelques rencontres et j’ai jeté un œil au programme des conférences. Surprise : écologie, réhabilitation, loi ZAN, ESS… Les rumeurs sur le SIMI seraient-elles exagérées ?
L’immersion
Le grand jour arrive. On émerge des couloirs étriqués et sombres du métro pour déboucher directement dans le hall du Palais des Congrès. Le contraste est saisissant : ici, tout est grandeur, hauteur sous plafond et foisonnement. La démesure est omniprésente et l’ambiance déjà chargée d’une effervescence presque théâtrale.
Passé l’incontournable cohue des badges, on est happé par le ballet incessant des escalators centraux, véritable colonne vertébrale du SIMI. On monte, on descend, on cherche un stand, on s’y attarde un instant avant de repartir dans l’autre sens, pris dans le flux de visiteurs. Ces trois plateaux, où la lumière du jour semble proscrite, imposent leur propre rythme : celui des spots et enseignes lumineuses qui rivalisent d’ingéniosité pour capter l’attention.
Le design des stands devient un langage à part entière, révélateur de la posture de leurs occupants. Certains s’ouvrent largement sur les circulations, cultivant l’accessibilité et l’échange, tandis que d’autres s’érigent en forteresses exclusives, filtrant les interactions. Ici, un décor écoresponsable affiche des engagements verts, là, une scénographie grandiloquente vise à impressionner. Entre politique d’image et stratégie commerciale, chaque espace raconte une intention, une posture, un positionnement.
L’entrée dans la fosse aux lions se fait en douceur mais la horde de costumes-cravates reste impressionnante. Je me fonds dans la foule, j’observe, j’écoute. Rapidement, je me prête au jeu : on salue quelques têtes connues, on discute, on rigole, on montre son travail, puis on passe au suivant. Une course boulimique aux rencontres commence.
C’est grisant et épuisant à la fois. Je découvre un monde oscillant entre sérieux et exagération, un ballet bien huilé où chacun tente de montrer qu’il est le plus compétent, le plus innovant, le plus indispensable. Dans le flot des discussions, quelques perles émergent : des échanges sincères, des visions inspirantes, des inquiétudes partagées.
Un peu plus tard, j’échange avec un jeune promoteur qui me confie que les cycles d’investissement sont devenus très courts. Les fonciers sont rares, les financements se raréfient et les arbitrages sont de plus en plus pragmatiques. En clair, il est désormais difficile de faire sortir des opérations en gardant les anciens modèles budgétaires. Lui se réinvente en faisant des montages d’opérations hybrides, c’est intéressant. Cette discussion me conforte dans l’idée que la posture de l’architecte doit évoluer : nous ne pouvons pas seulement proposer des projets convaincants mais il faut aussi être capables de changer les modèles de viabilité de nos architectures. Seuls, je suis convaincue que les architectes auront du mal à le faire mais, en trouvant les bons partenaires, de nouvelles façons de dessiner une ville doivent exister. D’ailleurs, sur place, nous avons retrouvé l’un des nôtres, il s’appelle Soletdev, un bel exemple parmi la foule d’un des nouveaux acteurs de la ville qui ne lâche rien pour réinventer un monde toujours plus inclusif.
Un contexte compliqué
Difficile d’aborder cet événement sans évoquer le climat actuel. L’architecture et l’immobilier traversent une période trouble, entre hausse des coûts des matériaux, baisse des investissements, etc. Des agences d’architectures peinent à trouver des projets, ce n’est pas un secret, et c’est donc sans surprise que j’ai découvert que les promoteurs eux-mêmes semblent moins confiants qu’auparavant.
Dans ce contexte, le SIMI est autant un espace de réseautage qu’un reflet de l’état actuel de notre secteur : tout le monde parle de « qui est encore là », « tu as vu, machin n’a plus de stand », « truc n’a même pas fait d’apéro » et de comprendre doucement qui parvient à se réinventer, qui a de la ressource et qui souffre. Le SIMI est donc aussi le reflet de l’état du chiffre d’affaires des acteurs influents de la construction.
Les grands sujets de cette édition étaient nombreux. La fameuse loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette) était dans tous les esprits mais c’est la rénovation qui était la grande star des conversations. Entendu que la rénovation est principalement ce que nous faisons à l’agence, je fus bouche bée de n’avoir pas pris la mesure du changement à l’œuvre !
Sur le fond, ce salon a donc pour moi rempli le traité d’intérêt : non on n’y parle pas uniquement de tartiner du béton mais bien de sujets de fond qui montrent que le secteur est en train de chercher des solutions aux maux de notre temps et cela parfois avec une grande justesse et humilité.
Bilan d’une jeune architecte
Qu’en ai-je retiré ? Avant tout, l’occasion de me montrer et de rappeler que nous sommes là. Résultat concret : trois rendez-vous avec de nouveaux contacts dans les semaines qui ont suivi. Un bon score ? Peut-être. Suffisant pour rentabiliser le prix très élevé de l’entrée sans invitation, le temps passé et la logistique ? Pour un jeune architecte, pas sûr. Les architectes croisés sur place que nous connaissions représentaient presque tous des grandes agences : architecture studio, 2/3/4, bien d’autres.
Alors, est-ce un événement incontournable pour un jeune architecte ? Si la promotion est votre unique marché visé oui. Si ce n’est pas le cas, il y a toujours le risque de se noyer. Pour autant il n’est pas interdit de plonger dans le grand bain et voir où mènent les courants. D’ailleurs je repars avec l’impression d’avoir vécu une expérience à 200 à l’heure, prise dans le tourbillon d’un monde en crise qui tente malgré tout de se projeter joliment vers l’avenir.
Sommes-nous encore trop petits à l’agence pour se prêter à ce jeu, dans cette arène ? Peut-être. Peut-être pas. La réponse viendra avec le temps… et les prochaines éditions.
Estelle Poisson
Architecte — Constellations Studio
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