La petite phrase d’Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, expliquant le 14 octobre 2021 lors de la conclusion de la consultation « Habiter demain » que la maison individuelle est « un non-sens écologique » a fait sursauter jusqu’à Landernau. Parmi ceux qui sont tombés de leur chaise, le philosophe de Chroniques.
Madame la ministre,
La teneur des propos constituant votre discours de ce jeudi 14 octobre est autrement troublante que l’évocatrice façon choisie le lendemain pour, par un simple tweet, saupoudrer de confusion un message dont l’essence demeurait déjà imprécise.
La maison individuelle représente l’un des symboles sacrés et concrets de l’égalité des classes !
En premier lieu, notamment parce que son implantation ne requiert pas une imperméabilisation systématique et massive des surfaces naturelles l’entourant, la maison individuelle est respectueuse de l’environnement.
D’autre part, parce qu’elle est parfaitement compatible avec l’installation de mécanismes générant des énergies renouvelables, également parce que sa configuration accueille aussi aisément des équipements puisant l’énergie du soleil que ceux récupérant l’énergie provenant du sol ou de l’air, la maison individuelle dispose de nombreuses des qualités requises pour assurer un rôle majeur dans la transition écologique.
Aussi, je suis surpris de constater qu’à l’issue d’une tournée de six semaines de tables rondes autour desquelles vous avez rencontré professionnels et élus, ce soit vraisemblablement par inattention qu’après avoir employé l’inadaptée formule de non-sens écologique pour la qualifier, vous réduisiez la maison individuelle à un rêve construit pour les Français dans les années 70.
Je vous invite à traverser la rue de Belvezet à Sévérac-d’Aveyron dans laquelle vous apercevrez alors la façade de La Maison Jeanne, demeure individuelle et familiale érigée au XIVe siècle ; époque durant laquelle notre nation ne cautionnait pas plus de sucrer le corps de son peuple pour ensuite le piquer d’insuline, qu’elle n’envisageait d’élever sur ses terres une architecture en kit à la durée de vie limitée, ayant vocation à répondre aux besoins névrotiques d’une politique du logement se cachant effrontément derrière l’urgence.
Abaisser la noblesse de la maison individuelle en résumant plusieurs siècles de son histoire à une décennie marquant le symbole de la décadence d’un segment de l’architecture reviendrait à définitivement juger le cinéma désuet, sous prétexte que ses sorties actuelles sont majoritairement navrantes, ou encore à qualifier la littérature comme un art dénué d’intérêt puisque Cendrars n’est plus et que certains auteurs de best-sellers présentent aujourd’hui l’impudence de publier.
Les aspérités dessinant notre pays constituent la pierre angulaire sur laquelle doit reposer toute réflexion ayant pour objet l’avenir du logement ; par conséquent, plutôt que d’envisager d’une façon ascensionnelle de confier les choix traçant l’esquisse de ce futur à des pouvoirs centralisés, voire même parfois à des institutions extérieures labellisant ce qui influe en notre État, je vous propose de prendre le contre-pied d’une politique désarmant la collectivité de sa capacité à l’autonomie, à la grâce, ainsi qu’au goût du savoir et de l’élégance.
Afin d’éviter de souiller nos territoires avec l’édification de logements dont la responsabilité ne sera partagée ni par des élus locaux, ni par des agences d’architecture ni même par des maîtres d’ouvrage mais reviendra aux rédacteurs toujours imprécisément signataires de normes et de labels, il me semble, Madame la ministre, qu’il conviendrait hâtivement de rendre à nos maires un peu de leur pouvoir, d’entendre les architectes locaux évoquer les enjeux de chaque région, ainsi que de revenir à une écologie prenant en compte les besoins fondamentaux de l’humain dont le destin ne mérite pas de se dérouler obligatoirement dans le cloître, ou alors, parfois seulement, mais dans ce cas précis, entouré par les quatre murs d’une cellule dont l’air est vicié.
Les maisons dessinées par nos architectes, ainsi que les ambitions qu’elles font naître dans l’esprit de chacun de nos concitoyens, sont aussi belles que le sont les voitures qu’André Citroën ou Armand Peugeot construisirent, et qui contribuèrent par leur perfection à forger la grandeur, la puissance et la souveraineté de notre pays.
Aussi, Madame la ministre, au nom de cette jeune génération à laquelle j’appartiens, je déploierai l’énergie requise pour défendre la force et la majestuosité de la France que je refuse que l’on dispose, en usant de formules semblables à celles que vous avez utilisées ce jeudi, sur un tremplin, la guidant tout droit vers une déshumanisation profitant à quelques-uns des acteurs d’une économie high-tech régie outre-Atlantique.
Je déplore que le schéma architectural de la France ressemble à la structure de son circuit alimentaire, médiocrement saccagé ce dernier demi-siècle par la grande distribution, camouflant perpétuellement les ravages qu’elle cause par sa faculté à générer de l’emploi, et faisant dans l’intervalle volontiers omettre que son fonctionnement a contribué à transformer des petits commerçants en des petits salariés.
Les pavillons, durant leur construction comme lorsqu’est effectué leur entretien, contribuent particulièrement à soutenir l’entrepreneuriat populaire.
Madame la ministre, la centaine de caractères remplissant un tweet me semble insuffisante pour justifier votre point de vue ou pour l’abandonner et, si lors de vos dernières déclarations vous l’avez certes euphémisé, à ce jour, vous ne l’avez pas clairement expliqué.
Le sujet est important, sérieux et d’actualité. D’où sans doute l’étonnement que vos propos ont suscité chez moi, ainsi que chez beaucoup de nos compatriotes.
Avec toute la considération due à votre fonction.
Tom Benoit
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