Le 23 septembre dernier avait lieu l’ouverture de la 4ème biennale d’architecture et d’urbanisme de Caen baptisée «In-Situ. (Re) construire la ville sur mesure». L’occasion de découvrir, in situ, la presqu’île de Caen, figure de proue du projet d’urbanisme local. A l’orée de ce territoire en mutation se dresse un bâtiment étrange, surplombé d’un dôme : une maison de la recherche et de l’imagination (MRI) conçue par l’agence parisienne Bruther et livrée en juillet 2015. Visite.
La MRI est installée au bord du canal Victor Hugo, fièrement dressée entre l’Ecole supérieure d’arts et médias (ESAM) conçue par Studio Milou architecte et le Cargö, salle de musiques actuelles imaginée par Olivier Chaslin et qui fut le premier ouvrage construit sur la presqu’île en 2009. Non loin, de l’autre côté du canal, apparaissent le chantier de la future bibliothèque multimédia à vocation régionale (BMVR) signé Rem Koolhaas, une minoterie encore bruyamment en fonction et, en fond de paysage, l’impressionnante Abbaye aux Dames. Ces multitudes de relations visuelles, à tous les étages, avec toutes les couches historiques de la ville, permettent de mettre l’ouvrage en résonance avec son environnement et de souligner les écritures autonomes de chacun des bâtiments.
Baptisé Le Dôme depuis avril 2016, la construction est une cité des sciences, à l’instar, toutes proportions gardées, de celle de La Villette à Paris. La différence ne concerne pas seulement le volume construit du bâtiment mais aussi le public visé. Ici, peu de familles et pas de présentation didactique, le public destinataire, spécifiquement les 15-25 ans, est acteur et non spectateur du fonctionnement. En effet, les adolescents et jeunes adultes, mais aussi des industriels souhaitant réaliser des prototypes, disposant désormais d’un lieu où donner corps à leurs projets en s’appuyant principalement sur les nouveaux outils et usages liés au numérique. Sa dimension «LivingLab / FabLab» met la participation active des publics au cœur de la démarche culturelle et, à ce titre, le programme du Dôme représente parfaitement l’enjeu du développement urbain de la presqu’île résolument tourné vers l’avenir.
«Il fallait imaginer un environnement bâti actif, avec peu d’expositions et des ateliers mis à la disposition des usagers», expliquent les architectes*. Aujourd’hui, sur quatre plateaux libres de 500 m², sont superposés une place publique, un vaste espace appelé Living zone, à la destination encore incertaine ou non limitée, le fablab et ses ateliers. Au sommet, le dôme est un espace événementiel posé en belvédère sur la ville.
Avec un budget de seulement 7 M€ (dont 4 M€ dédiés à la seule construction), sur une parcelle étroite, ce n’est pas tant en termes de surface que de volumétrie que s’exprime la réflexion des architectes. Une trame préfabriquée et performante détermine des plateaux libres de double hauteur, chacun doté d’un espace en mezzanine, flexibles et sans contrainte structurelle. Etroite et haute, les espaces servants relégués en périphérie, la construction repose uniquement sur les escaliers et ascenseurs latéraux ce qui a permis de créer en rez-de-chaussée un vaste parvis abrité sous le porte-à-faux du premier étage qui ne bloque ni les circulations ni les vues. C’est cette intuition, d’un confort insoupçonné pour le visiteur, qui a emporté l’adhésion du jury lors du concours explique Matthieu Debar, responsable du développement culturel pour l’association ‘Relais d’sciences’, laquelle est maître d’ouvrage et propriétaire des murs.
Pour le coup, l’esplanade Stéphane Hessel, minérale, s’en trouve subtilement accueillante. «La libération du sol et du grand hall permettra d’accueillir une multitude d’événements», souligne Stéphanie Bru. «Cet espace au sol était la seule façon d’attirer du monde sur l’esplanade sans perturber ce qui se passe à l’intérieur du bâtiment», souligne pour sa part Matthieu Debar.
Si une partie de la façade est un mur-rideau, une autre consiste en la mise en œuvre de quatre coussins ETFE et de trois chambres à air gonflées en permanence par une centrale. «Cette technique procure une isolation thermique conforme à la RT 2012 que nous visions, en plus d’apporter de la transparence et de la légèreté», explique Stéphanie Bru. La course à l’économie a décidément stimulé l’esprit prospectif des concepteurs et l’agence Bruther n’a pas hésité à détourner un procédé souvent utilisé pour les verrières de centres commerciaux.
«La transparence caractérise le travail de l’agence», poursuit l’architecte «En plus d’apporter beaucoup de lumière naturelle, ce dispositif démontre qu’il est possible d’être transparent tout en restant thermiquement performant». Finalement, la façade exprime parfaitement combien était contrainte la conception de ce bâtiment. Si Le Dôme semble offrir une parenté fortuite avec certains des projets de Lacaton&Vassal, jamais n’y ressent-on un sentiment de froideur car la simplicité des espaces intérieurs a permis d’apporter plus tout en restant dans le budget.
De fait, la place publique et le toit belvédère correspondent à des initiatives de l’agence, «des ajouts au programme permettant de créer de nouvelles polarités», souligne Stéphanie Bru. Ils se révèlent être la partie visible et concrète d’un processus de création ayant conduit à une réponse architecturale généreuse.
L’agence Bruther a une autre obsession : la réversibilité programmatique. «La non-détermination des espaces constitue le fils conducteur de la démarche du projet, comme concevoir un bâtiment flexible qui puisse s’adapter au long de sa vie», indiquent les architectes*. «Nous souhaitions proposer des volumes capables qui puissent évoluer avec les besoins et offrir une disponibilité maximale». Le regard se tourne alors vers le Fun Palace de Cédric Price selon lequel l’architecture n’est pas faite pour durer mais pour évoluer.
Le Dôme permet cette gestion très souple de l’espace et de la programmation en proposant une combinatoire d’espaces, et de temps d’utilisation, à l’intérieur d’un contenant le plus vaste possible : être ouvert et pouvoir cloisonner ou temporairement reconfigurer. Ainsi l’accueil n’est pas encore structuré car le maître d’ouvrage ne savait pas en amont si le besoin d’un accueil se ferait sentir. C’est le succès du bâtiment qui le rend désormais nécessaire. A l’image du couteau suisse, le Dôme assure donc de multiples fonctions dans un volume compact rationnel et efficace. Il répond enfin à une forte demande d’espaces locatifs pour des réunions, séminaire et cocktails, le dôme lui-même se révélant à cet égard un espace parfaitement original.
Le bâtiment aux couleurs changeantes en fonction de la lumière se voulait également identitaire et un élément urbain qui signale le territoire. «Un peu comme une idée littérale du lanterneau et du phare pour donner une existence et une identité dans le paysage caennais», expliquaient les architectes. Objectif atteint.
Léa Muller
* Pour voir la vidéo de l’intervention de Stéphanie Bru et d’Alexandre Thériot : https://www.youtube.com/watch?v=_piGiubOpdM