Au milieu de la Méditerranée, une île détachée de l’Afrique, avec les mêmes paysages que l’Afrique du Nord, les mêmes essences, le même air africain et surtout la même nature : palmiers, azalées, cactus, agaves, eucalyptus, cyprès, oliviers, jasmin : tout est odeur et mélange. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
La Sicile, c’est aussi l’autre Grèce et, surtout, un petit paradis de cette architecture grecque prédominante en Méditerranée. Paysages variés de l’Etna à Taormina, où les églises baroques et les villes agrippées sur des falaises impressionnantes dominent la Méditerranée sous les pins parasols. Le théâtre antique de Taormina, d’origine grecque, a été modifié par les Romains, où les gladiateurs se battaient devant les foules de la ville.
À Noto, je découvre l’Infiorata, le festival des fleurs fin mai. La ville est en effervescence, les gens affluant de toutes parts : orchestres, défilés de scouts en uniforme, femmes et gentilshommes en costume d’époque s’assemblent sur la place centrale pour défiler et chanter. C’est une cacophonie orchestrée suivant la tradition. Le long d’une petite rue menant à un portail d’église baroque, des motifs et des inscriptions sont dessinés et seront remplis de fleurs et de pétales multicolores par une foule bien organisée. Par petits groupes spécifiques, les pétales s’inscrivent dans un dessin parfait. Le soir même, le dessin sera réalisé. La Via Nicolaci sera, comme chaque année, le théâtre de cet événement traditionnel.
Si la Sicile a joué un rôle important dans la première guerre punique menée par Hannibal, l’héritage gréco-romain de Taormina se mélange également à une architecture baroque comme à Noto et Catane, Palerme. La Sicile eut un rôle moins prépondérant dans la deuxième guerre punique, série de conflits entre Rome et Carthage entre 264 et 146 avant J.-C. Au milieu du IVe siècle avant J.-C., la Sicile est déterminante pour l’axe carthaginois et les futurs échanges.
Au VIIIe siècle avant J.-C., la Sicile est devenue une grande colonie grecque en Méditerranée. Le temple dorique de Ségeste est une merveille de proportion provenant du style architectural de la Grèce continentale, avec son style austère dorique.
La Sicile peut s’enorgueillir de rassembler des trésors d’architecture, remis en valeur actuellement par l’artiste Igor Mitoraj, dont les expositions lo Sguardo Humanitas-Physis à Syracuse et Agrigente s’harmonisent dans un décor parfait.
En Sicile, le temple de la Concorde se trouve dans une vallée qui rassemble plus de temples grecs que ceux de la Grèce même ; la nature environnante similaire à celle de la Grèce, le temple de la Concorde rivalise avec l’Acropole. Les nécropoles paléochrétiennes entourent les temples des rois et d’Hercule, et les jardins exhalent des senteurs de verdure et de parfum. Nous sommes dans le paradis des temples grecs. Cette collection harmonieuse sous la colline de San-Nicola est proche d’un théâtre identifié en 2016. Le temple de la Concorde reste le temple le mieux conservé de l’Antiquité grecque, construit entre 440 et 430 av. J.-C. Il doit son nom à une inscription romaine.
Ce temple dorique présente une précision absolue dans ses effets visuels, particulièrement le long des colonnes et leurs extrémités qui s’affinent. Seul le toit manque, ainsi que les couleurs vives peintes sur le stuc blanc d’origine. Transformé en basilique en 597, puis désacralisé en 1748, le temple a retrouvé son état initial. Pour y accéder, il faut marcher 1,5 km sous un soleil de plomb mais la traversée des grèves et des jardins exotiques de fleurs méditerranéennes et de parfums floraux est un ravissement total.
La vision du temple d’Hera révèle une structure plus endommagée que celle du temple de la Concorde, mais cela reste une véritable peinture orientaliste sous les pins et les cyprès, avec des ruines en partie reconstituées. Le temple d’Hera précède d’une vingtaine d’années la construction du temple de la Concorde, et subsistent 25 des 34 colonnes originales grâce à une restauration menée à partir de 1796 par le prince Gabriele Lancillotto Castello di Torremuzza. Ce temple a retrouvé sa nature première après la bataille de 261 av. J.-C., pendant la première guerre punique entre Rome et la Sicile. Cette bataille reste un événement majeur de l’histoire sicilienne, quand les Romains ont attaqué Agrigente pour empêcher les Carthaginois d’avancer sur Rome, d’où cependant Hannibal pourra s’échapper. Agrigente reste l’une des villes les plus importantes de Sicile, dominant le paysage et préservant la vallée des temples, un site protégé par l’UNESCO.
La vue magnifiquement préservée de la vallée des temples demeure un témoignage prestigieux de l’influence grecque en Sicile. Le temple de Segesta, un autre édifice important, offre une vision inoubliable sur le paysage vallonné. Sur la route sinueuse qui pénètre dans la vallée, il se dresse, tel une maquette, en parfait état, fait de pierre, le long des coteaux et des vallées boisées. Il apparaît mystérieux et majestueux, presque inquiétant dans la montagne. Un magnifique théâtre domine également la vallée, parfaitement reconstitué, animé par les spectacles qui s’y déroulent encore. Construit à partir de 425 av. J.-C., ce temple dorique, avec ses six colonnes en façade et ses quatorze colonnes latérales, domine la vallée. Ce temple inachevé, où se pratiquaient cultes et sacrifices, n’a jamais été terminé à cause des guerres. Pour autant, il a été épargné par les Vandales, et reste un monument impressionnant et mystérieux de l’Antiquité grecque.
Ce qui est le plus étonnant est l’alliage de styles entre influence africaine et architecture baroque de la Renaissance italienne, un mélange unique.
L’influence africaine en Sicile remonte à l’époque où l’île faisait partie de l’Empire arabe au IXe siècle. Les éléments architecturaux tels que les arcs,les motifs géométriques et floraux rappellent le style mauresque. Bien que ces influences soient plus évidentes dans les constructions islamiques, elles ont également trouvé leur chemin dans l’architecture baroque enrichissant la palette décorative et ornementale.
La Renaissance italienne a eu une influence majeure sur l’architecture sicilienne, les architectes de l’île ayant adopté les principes de proportion, de symétrie et de perspective qui lui sont caractéristiques. Pendant la période baroque, ces éléments ont été associés à des décorations exubérantes intégrant les éléments classiques de la Renaissance avec une sensibilité baroque.
L’Art des Chariots (Carretti Siciliani)
Les carretti siciliani, ou chariots siciliens, sont des œuvres d’art, une expression propre de l’art populaire sicilien. Peintures éclatantes et colorées, représentation de la mythologie sicilienne, ces charriots sont de véritables véhicules artistiques qui témoignent de la richesse de l’art sicilien.
Les Testa di Moro sont des pots issus d’une légende sicilienne. Une jeune fille, tombée amoureuse d’un Maure qui voulu la quitter, lui coupa la tête et l’utilisa en pot de fleurs. Ce qui deviendra un symbole culturel de l’artisanat en Sicile, notamment à Taormina où ces pots ornent les balcons de la ville.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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