Rue de Varenne, dans l’ancien hôtel Boisgelin qui accueille aujourd’hui l’Ambassade d’Italie, était annoncée le 22 mars dernier le retour, après 20 ans d’absence, d’une Triennale à Milan. Elle accueillera sur 19 sites des expositions, des festivals, des conférences et autres manifestations. Son titre : 21st Century Design after design. Il y est donc question d’architecture.
Selon le directeur général, Andrea Cancellato, cette 21ème édition (du 02 avril au 12 septembre prochain) «cherche à décoder le nouveau millénaire et à identifier les changements qui portent l’idée même du projet». En les plaçant sous l’égide d’un même mot – design -, il rappelle ainsi les liens forts qui unissent depuis plusieurs siècles ‘design’ et ‘architecture’. Question de vocabulaire : comment le «design», que les architectes en France cantonnent à la fabrique d’objets, peut signifier l’architecture ?
Selon Andrea Cancellato, le mot fait référence à la transversalité des arts appliqués. Il rappelle que «le design est une idéologie du modernisme et qu’il correspond à une unité de méthode qui valait de la conception des objets à celle des unités d’habitation». En effet, avant d’être considéré́ comme un objet de mode, le design a d’abord été une réponse à une réflexion sur la manière d’habiter. Il s’agissait de donner forme à des façons nouvelles de vivre (to design en anglais peut signifier «dessiner») ainsi que d’explorer l’industrie comme condition à l’évolution du projet social (to design signifie également «designer, avoir un dessein»).
Cette assimilation ne relève pas de l’apanage de la triennale italienne. En effet, à Montréal est remis tous les ans un «Grand Prix du Design». Les récipiendaires sont à la fois architectes ou designers selon des catégories touchant à tous les champs du design, de l’objet à l’architecture, en passant par le design d’espace ou encore par la scénographie.
L’essor du design au tournant du XXe siècle est essentiellement le fait d’architectes. Frank Lloyd Wright simplifie les lignes tandis que l’architecte Peter Behrens devient un des précurseurs du design industriel en Allemagne. Il établit la profession de designer comme profession libérale, au même titre que celle d’ingénieur, d’architecte, d’artiste, attirant notamment Le Corbusier et jetant les bases du fonctionnalisme. C’est l’architecte Louis Sullivan qui le résumera le mieux, «la forme suit la fonction», engendrant notamment l’école de Chicago.
Parmi les premiers designers, les architectes faisaient légion : Ludwig Mies van der Rohe, Charlotte Perriand, le finlandais Alvar Aalto, les frères américains Ray et Charles Eames, l’anglaise Eileen Gray, et ce jusque dans les années 60 et 70 avec Archigram ou les italiens de Superstudio.
La frontière est donc floue entre design et architecture, surtout à Milan puisque l’architecte Gio Ponti a été le directeur de sa triennale, bien avant de concevoir du mobilier. De fait, le design est lié à l’architecture en raison de son importance dans le mobilier, qui est un équipement du bâtiment. Par ailleurs, l’élaboration d’un projet en design suit un processus de création proche de l’architecture, ne serait-ce qu’à cause de la forte implication de la fonction et de la technique. En outre, la représentation est similaire puisque l’un et l’autre utilisent plans et perspectives.
Pourtant, «design» est devenu un mot à la mode propre à appâter le chaland, réduisant l’acte d’architecture à la production de bâtiments «objets» et perdant les raisons profondes – sociales et humanistes – qui doivent fonder l’œuvre architecturale. Andrea Cancellato explique qu’aujourd’hui «il n’y a plus d’unité de méthode du fait de la transversalité de la discipline, ce qui pourrait être perçu comme un affaiblissement». Il faut donc selon lui redonner son rôle au design dans le projet social, ce qui implique «une nouvelle façon de parler de la ville, en terme de paysage, de culture et pas seulement d’urbanisme ou d’architecture. La dimension du bâtiment ne suffit plus pour faire l’habitation». De fait, ajouter aujourd’hui des éléments aux barres d’immeubles c’est reconnaître l’échec de la politique des grands ensembles.
La Triennale 2016 de Milan utilise donc le mot design pour montrer que «l’architecture ne fait plus la ville, mais qu’elle est devenue un des éléments qui la constitue», comme le montre notamment l’exposition City after City, qui explore la ville nouvelle au travers de cinq thèmes*, dont l’urbanisme paysager qui voit l’architecture comme moment de la réconciliation entre l’artificiel et le naturel.
«Le design c’est le dépassement de l’architecture, car l’appartement n’est plus seulement la cellule de la ville», conclut Andrea Cancellato. Certes, si la ville doit accueillir de nouvelles façons de vivre et d’habiter, alors sa forme va en effet nécessairement évoluer différemment qu’au siècle précédent. Mais, de la conception d’objets à l’architecture, c’est encore une vision humaniste et sociale qui doit réunir les concepteurs. En liant architecture et design, les commissaires de la Triennale de Milan rappellent ainsi les architectes à leur plus haute responsabilité.
Léa Muller
*Gio Ponti (1891-1979), architecte et designer connu pour la conception du mobilier Fontana
**City after the city – Landscape Urbanism ; Urban Orchard ; Expanded Housing ; People in Motion ; Street Art