
Jean-Marc Chancel, architecte mandataire, et José Morales, architecte associé, signent à Marseille un collège singulier – le collège Louis Armand – qui, outre une «radicalité d’usage,» s’inscrit dans un parti pris architectural audacieux et une volonté d’affirmation des valeurs républicaines d’éducation à l’interface de quartiers qui s’ignoraient. Découverte.
Le site, rue Saint-Jean du Désert dans les quartiers est de Marseille, est un plateau en promontoire dominant la vallée de l’Huveaune située au sud. «La première chose que nous ayons faite en y arrivant est de se mettre sur la pointe des pieds : il doit bien y avoir la mer pas loin,» se souvient José Morales. Aller chercher la mer et le paysage est ainsi, d’emblée, devenu le principe fondateur du collège Louis Armand.
Le programme est celui habituel d’un collège de 600 élèves : salles de classe, centre de documentation et d’information, un amphithéâtre de 200 places (qui peut être ouvert au quartier), un gymnase omnisports (44 x 24), un réfectoire devant accueillir 450 demi-pensionnaires ainsi que six logements de fonction.
Si le programme est classique, la réponse de Jean-Marc Chancel et de José Morales l’est moins. En effet, l’idée simple que toutes les salles liées à l’enseignement soient ouvertes à la vue revenait à faire tenir 50% du programme sur un seul étage. Soit, dit autrement, concevoir un bâtiment de plain-pied à … 9m au-dessus du terrain naturel. Qui plus est, «en-dessous, il fallait remplir,» se marre José Morales. De plus, les architectes avaient également fait le choix de proposer aux collégiens «la plus grande cour possible».

Aujourd’hui, la cour est deux fois plus grande que celle exigée par le programme, les autres éléments du programme sont venus se glisser ou s’encastrer sous les salles de classes tandis que quatre escaliers, reliés directement à la cour, proposent une radicalité d’usage dans un schéma pourtant clairement identifié.
L’établissement est implanté dans un quartier datant des années 1960 longtemps abandonné aux confins des limites de la ville, mal desservi par les transports en commun et constitué pour partie de grandes barres occupées par une population défavorisée. Puis le quartier a vu l’arrivée en périphérie de petits îlots résidentiels vivants un peu en autarcie et, enfin, l’arrivée du tramway. «Nous avions dès le début, avec ce collège à l’interface de ces différents quartiers, la volonté d’affirmer la présence d’un bâtiment républicain et public,» explique José Morales. Du coup, pour les collégiens, le bâtiment fonctionne sur une double échelle – celle, fédératrice, du quartier et celle, avec la vue sur la mer et les montagnes, du grand territoire – et donc d’appartenance. «Pour ces gamins, la vue sur le Vieux-Port peut apparaître comme un symbole éculé mais les symboles les plus simples sont parfois les plus efficaces,» note José Morales.
C’est l’implantation des corps de bâtiments à la périphérie de la parcelle qui dessine la cour, fermée par les logements. Les salles de classes, situées donc au deuxième niveau, sont posées sur une colonnade centrale d’une emprise de quatre mètres vingt. Le gymnase et le CDI, libres d’appui, viennent se glisser sous un porte-à-faux de 7,5 mètres – une largeur de classe – au nord, le porte-à-faux sud, de même dimension, formant un vaste auvent sur la cour.

«Les éléments singuliers du programme sont à la fois intégrés dans un édifice unitaire en même temps que singularisés par leur volumétrie et leur structure. L’amphithéâtre de béton blanc est installé sous le portique du hall ouvert, le CDI circulaire en bois paré de zinc glissé entre terrasse et porte-à-faux, le gymnase encastré pour un tiers sous les classes. La construction ordonne l’essentiel de l’écriture architecturale du collège. La colonnade de piliers, très complexe structurellement, non seulement assure évidemment les descentes de charge mais aussi reprend les efforts en torsion des porte-à-faux. Le béton auto-plaçant est laissé brut le plus souvent à l’extérieur comme à l’intérieur du bâtiment,» expliquent les architectes.
La colonnade n’a cependant pas que des vertus mécaniques puisqu’elle a permis de concevoir de grands espaces de distribution, des volumes supplémentaires d’entre-deux, des passages traversants et des patios qui créent autant d’endroits atypiques dans un collège. Elle a également la vertu de laisser passer «le vent du large et l’air frais» tout en protégeant du Mistral. Qui plus est, avec une épaisseur de poteau qui oscille entre 40 et 60 cm, les architectes ont utilisé beaucoup de matière – «une hérésie absolue» – et consacré 50% du budget au gros-œuvre. «Le squelette du bâtiment relève quasiment plus du génie civil que de l’architecture,» s’amuse José Morales. La générosité des espaces a été compensée par une économie de moyens dans le second-œuvre – béton apparent, pas de cloison, pas de faux-plafond – sans pour autant renoncer à la qualité des matériaux.
L’intérieur des salles de classe, en contraste avec les nuances de gris du béton, s’appuie sur «une polychromie des carrelages qui se poursuit sur le parement de mur de façade et dans la couleur des rideaux».

Le parti architectural était osé, même si, convient José Morales, l’environnement urbain facilitait son intégration. Pourtant c’est bien ce projet qu’a choisi, sans regret apparent, la maîtrise d’ouvrage (le Conseil général des Bouches-du-Rhône) à l’issue du concours gagné face à, au dernier tour, un projet de Rudy Ricciotti qui proposait d’ailleurs également un bâtiment minéral. La mention de Rudy Ricciotti n’est pas ici fortuite car elle permet d’éclairer ce choix.
En effet, dans un précédent article consacré à l’une de ses réalisations, José Morales expliquait à quel point la construction pour le même maître d’ouvrage du lycée d’Auriol, signé Ricciotti mais auquel il avait collaboré, avait marqué une étape dans le département. «Un coup de grisou,» expliquait alors José Morales. C’était en 1995. Aujourd’hui, l’architecte assure avoir eu affaire à un ‘bon maître d’ouvrage’. «La démarche pédagogique vis-à-vis des élus initiée par Rudy Ricciotti quant à l’architecture contextuelle porte ses fruits,» dit-il.
De fait il semble apparent que ce bâtiment contemporain s’inscrit dans une histoire de l’architecture méditerranéenne sans pour autant céder en quoi que ce soit au kitch néo-régionaliste qui fait pourtant, souvent, office de viatique intellectuel dans la région. José Morales n’y avait pas pensé mais note que la remarque est récurrente. «Il est vrai que la casbah est une architecture très minérale avec une enveloppe riche en matière, en épaisseur avec un traitement au sol qui offre protection et légèreté,» dit-il. Ne pourrait-on en dire autant du collège Louis Armand ?

Enfin, José Morales tient à saluer le travail de l’entreprise de gros-œuvre (DUMEZ Méditerranée, une filiale du Groupe GTM (Grands Travaux de Marseille), désormais entité du Groupe VINCI). «La phase préparatoire a été très longue, l’entreprise ayant du développer des outils spéciaux de coffrage et modéliser les phases de coulage,» indique l’architecte. La façade du gymnase avec une multitude de trous destinés à être occupés par des pavés de verre, l’enfilade de poteaux de grande hauteur qui nécessitait un étaiement particulier, la spécificité de certains voiles, les grands porte-à-faux, étaient, entres autres, quelques-unes des difficultés à résoudre. «Les entreprises ont joué le jeu et nous ont permis de réaliser un exploit dans ce budget (13,5M),» assure José Morales.
«D’une hauteur sous plafond inusitée (4,20 mètres), les classes avec la charpente métallique apparente, la polychromie des vêtures, les portes plaquées de bois exotique, les vues sur mer et collines, échappent aux stigmates d’une identité scolaire ordinaire,» concluent Jean-Marc Chancel et José Morales.
Le collège a ouvert ses portes à la rentrée 2008
Christophe Leray

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 11 février 2009