Récemment, les députés allemands ont voté une loi fédérale qui asserte que le bruit d’une cour de récréation ne saurait être, en tout état de cause, considéré comme une nuisance. Par conséquent, les riverains grincheux ne pourront plus à ce titre exercer recours contre la construction d’une école sous leurs fenêtres. Il fallut pourtant que cela soit écrit dans la loi.
A Paris, l’un des premiers recours contre l’installation d’une maternelle fait état du bruit des enfants, en récréation. Insupportable. Une nuisance. Un texte de loi, comme en Allemagne pourrait peut-être y remédier. Qu’en pensent nos députés ?
Aux yeux de quelques commanditaires, les recours sont en eux-mêmes une nuisance.
Il y en a de toutes sortes. Souvenez-vous par exemple, l’autoroute entre Angers et Saumur et ce scarabée rare. Ou alors ces permis de construire de mauvaise presse accordé à telle célébrité malgré les lois littoral et montagne. Les recours des écolos, que de délais !
Sauf que pour la maternelle, ce n’est pas qu’elle soit HQE, BBC ou CNN qui est le problème, c’est le bruit des enfants.
Tout à fait comme ces recours dans tels quartiers tranquilles de l’ouest parisien où les associations de riverains ne veulent ni stade, ni maternelle, ni HLM, ni malades mentaux, ni architecture contemporaine, ni rien. Les intérêts catégoriels des riverains, que de délais !
Alors construire une tour triangle…
Bref, les recours sont une nuisance car le temps c’est de l’argent. Du coup, afin de décourager l’enthousiasme des nouveaux ou anciens convaincus, les maîtrises d’ouvrage irritées ont trouvé une nouvelle parade : le procès à 100 millions de dollars.
Ainsi, la société russe Hermitage réclame-t-elle huit millions d’euros à une association de locataires «pour procédure abusive ayant retardé et renchéri son projet»*. Plus proche de chacun, à Garches (92), en mars 2010, les présidents de trois associations ainsi que trois riverains opposés au projet d’aménagement du centre-ville de la municipalité et qui avaient déposé recours en ce sens se voyaient réclamer 200.000€ par la mairie.
De quoi décourager les irréductibles, quelle que soit la pertinence de leur motivation : la bombe atomique pour soumettre Astérix.
Bref, de l’égoïsme particulier en principe de précaution institutionnel, ce qui n’était que querelle de voisinage est devenu conflit d’intérêt sans merci.
Non que nous ayons une quelconque affection pour le recours abusif – comment éprouver quelque sympathie que ce soit pour qui ne veut pas d’une école ou d’une institution destinée aux enfants dans son quartier ? – mais il ne faudrait pas, pour quelques abus, que l’esprit de la loi soit détourné par la lettre de la procédure.
Et demain, à celui qui ose une opinion dissidente, pourquoi pas un procès à trois trillions de dollars ?
Heureusement, en notre pays et Navarre, la justice est indépendante.
La question demeure pourtant : qui, en ce siècle improbable, va l’emporter à la fin ?
Les enfants allemands ont gagné la première manche.
Christophe Leray
* In ‘La justice paralyse le projet des tours Hermitage’, d’Isabelle Rey-Lefebvre – Le Monde, en date du 18 octobre 2011
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 19 octobre 2011