L’architecte doit-il cesser la maîtrise d’œuvre telle qu’entendue actuellement ? Doit-il cesser de faire semblant de « diriger » l’opération ? Et doit-il exiger de modifier le Code Civil afin d’être retiré de la liste des « constructeurs » ?
BET, BC, OPC, SPS, AMO, DIAG, BIM… Non, ce n’est pas un code secret, ce sont des missions de maîtrise d’œuvre (ou assimilées) qui sont assurées parfois par des architectes, bien plus souvent par d’autres. Il en fleurit régulièrement des nouvelles et le mouvement s’accélère.
La dernière en date : ‘Accompagnateur Rénov’*, une sorte de maître-d’œuvre-social-financier.
Quel rôle aura-t-il ? Un peu tout, un peu rien…
Voyons :
– réaliser un audit thermique du logement à rénover (avant les travaux) ;
– Lister les travaux nécessaires pour l’amélioration du logement du point de vue énergétique (isolation, chauffage, ventilation, etc.) ;
– accompagner les maîtres d’ouvrage dans leur plan de financement et l’obtention des aides de l’État ;
– conseiller les particuliers dans le choix des entreprises de rénovation ;
– mener un diagnostic de fin des travaux, de manière à mieux évaluer leur impact.
Qui seront ces « accompagnateurs » ? Pas forcément des architectes puisqu’il est évoqué que des structures du service public, des associations ou encore des entreprises, notamment, pourront tenir ce rôle. Je souhaite bien du plaisir à ceux qui n’auraient pas une solide expérience de la maîtrise d’œuvre…
La plus stupéfiante de ces missions : AMO ! Assistance à Maîtrise d’Ouvrage. Autrement dit, « conseiller le client ». Ah bon ? Comme je retarde ! Je croyais que c’était exactement la mission des architectes.
Il fut une époque – lointaine – où seul l’architecte assurait la maîtrise d’œuvre d’une opération. Bien sûr, les techniques de construction étaient alors très limitées, même si elles n’étaient pas toujours simples pour autant : bâtir une cathédrale gothique n’est pas à la portée de tout le monde. Et sans aller chercher aussi loin, se souvenir de Le Corbusier qui mentionnait effectuer les plans d’exécution de ses ouvrages. Il est vrai que le béton armé, c’était son truc.
Puis ces techniques se sont multipliées, les matériaux se sont diversifiés, l’équipement des bâtiments s’est étoffé. L’architecte seul n’y suffit plus, d’autant plus que la technique n’est parmi bien d’autres que l’une des composantes de son travail.
L’architecte doit aussi, notamment, se soucier de l’éclairage juridique de l’opération, la jurisprudence des tribunaux lui rappelant, souvent douloureusement, ses obligations dans toute opération.
L’architecte doit encore mener une équipe : artisans, entreprises, autres acteurs de la maîtrise d’œuvre, justement. Des qualités en relations humaines sont alors indispensables.
Bien entendu, l’aspect commercial doit être pris en compte. Oups ! Ne jamais écrire « commercial » à des architectes, paraît-il. Ce mot ne signifie pourtant que la « relation-client », rien de plus, et cette relation doit être excellente dans une prestation de services… Dit autrement, l’architecte doit « gérer un client » (ah, ça va mieux…), ce dernier ne sachant pas toujours quel est le rôle d’un maître d’ouvrage, ou qui parfois le sait trop bien, ce qui peut être pire ! Les pouvoirs du maître d’ouvrage dépassent trop souvent ses compétences en la matière.
Quand même, l’architecte doit assumer la dimension culturelle et artistique (là, j’ose le mot) de l’architecture. Que cette dimension soit privée – celle des intérêts du client, même s’il ne l’appréhende que rarement – ou qu’elle soit publique. Les « élus » appréhendent-ils davantage cette dimension culturelle ? Non, puisque ce sont des gens « comme tout le monde ». Elus un jour, le Saint-Esprit de l’architecture ne leur est pas tombé dessus pour autant.
Ainsi, ne pouvant évidemment tout apprendre, tout faire, tout assumer, l’architecte voit de nouveaux métiers se créer autour de lui. Du coup, ne pouvant plus être LE professionnel universel, il a vu son rôle se rétrécir comme peau de chagrin. Pas ses responsabilités pour autant.
Je ne suis pas pessimiste sur l’avenir de la profession, même si je suis inquiet de la tournure qu’elle a prise. Contrairement à ce qui m’était prédit quand j’étais étudiant, notre profession existe toujours. Notre nombre a même augmenté malgré notre incapacité à défendre nos intérêts comme le font ces autres professions libérales, médecins, notaires, avocats…
Alors, à qui ou à quoi l’architecte doit-il sa survie ? Pas seulement à son talent pour… établir des dossiers administratifs ! Ce que reconnaît un promoteur immobilier m’expliquant que, sur ce point, les architectes sont les meilleurs. Je n’ai pas eu le mauvais esprit de le prendre mal…
L’architecte est en réalité « increvable » à cause de la nature même de son rôle. Il est in-dis-pen-sable parce que le besoin d’un maître d’œuvre harmonisant toutes les compétences, pour aboutir à une œuvre cohérente et harmonieuse, demeurera toujours. Un bâtiment ne se découpe pas en rondelles ou, du moins, il faut bien quelqu’un pour s’assurer que ces rondelles pourront toujours s’assembler pour constituer un saucisson. Le rôle de l’architecte est clair : il est celui qui fait la synthèse de toutes les compétences de chacun, le chef d’orchestre qui permet que tous les musiciens jouent harmonieusement. C’est ce rôle, pas forcément à la tête mais nettement au centre de toute opération, que doit revendiquer tout architecte.
Actuellement, ce rôle est flou :
– constructeur (au sens du Code Civil) ? Mais indépendant des entreprises ? Ah non, c’est incompatible : priorité à l’indépendance, condition indispensable à la fiabilité ;
– sachant ou pas sachant ? Sachant quoi, et surtout jusqu’à quel point ? Sûrement pas aussi bien que les entreprises et les bureaux d’études, chacune dans leur domaine ;
– chef d’orchestre, mais avec quel pouvoir ?
L’architecte prétend « diriger » l’opération. A tort puisqu’il ne dirige rien du tout. Seule une relation employeur-employé permet une réelle direction. Or l’architecte n’a même pas de contrat avec les artisans et bureaux d’études, justement pour garantir son indépendance. Bref, il assume les responsabilités d’être « directeur » (c’est-à-dire d’être responsable de tout, a priori) sans pouvoir l’être de fait.
Tout bien réfléchi, l’architecte devrait peut-être se concentrer sur son rôle de synthèse, sans plus. Ce rôle serait plus clair pour tout le monde et les agences d’architecture ne seraient plus responsables de n’importe quoi et de n’importe qui. Il pourrait se consacrer en amont sur la conception architecturale et en aval sur les intérêts du client, sans arrière-pensée puisqu’il ne saurait être mis en cause pour une faute d’un tiers.
Jean-François Espagno
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