Le 5 avril 2007, Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, et Bertrand Delanoë, maire de Paris, coprésidents du jury, estimaient à l’unisson que le projet des Ateliers Jean Nouvel pour la Philharmonie de Paris « marquera l’entrée nord-est de la capitale par un geste architectural audacieux« . C’est la décision du jury qui, clairement, ne manque pas de toupet.
La Philharmonie de Paris – depuis longtemps espérée à défaut d’être attendue – sera le lieu de résidence permanente de l’Orchestre de Paris, et pourra accueillir les plus prestigieuses phalanges symphoniques françaises et internationales. Le bâtiment – une salle de concerts de 2.400 places prévue à La Villette-, auquel a été réservé un terrain de 2 hectares (19.600 m² accueilleront des salles de répétitions, des locaux administratifs pour plusieurs orchestres, mais également un restaurant, un pôle éducatif de 1.750 m², un lieu d’exposition de plus 1.100 m². NdR) sera « doté d’un pôle pédagogique ouvert aux professionnels de la musique, aux étudiants des conservatoires comme au public scolaire et aux amateurs« . Bien.
Comme Dominique de Villepin, Premier ministre, se félicite de ce choix, la ville de Paris (ceux-là s’écharpent par ailleurs au sujet du TGI) – comme toute la presse ou presque – est dithyrambique, parlant en substance d' »une colline scintillante aux formes audacieuses, qui poussera face à la Grande halle, près de la Cité de la musique à l’intérieur de laquelle les mélomanes découvriront une salle enveloppante permettant de limiter à 32m la distance à la scène« , évoquant « une atmosphère de ‘communion’ créée par l’espace » avant d’insister « sur des critères acoustiques très exigeants » de la salle. Parfait.
Sauf que cette impeccable campagne de communication souffre d’un raté de taille. En effet, selon nos informations, aucun des huit architectes présents au jury (et non des moindres*) n’a voté pour le projet de Jean Nouvel. Avant de rentrer dans les détails, arrêtons-nous un instant sur cette étonnante proposition. Voyons. Qui accepterait de se faire opérer du cœur ou du cerveau dans un service dont tous les chirurgiens sans exception auraient refusé le design ? Qui accepterait de monter dans une navette spaciale, voire un avion, voire une voiture en fait, dont les huit ingénieurs spécialisés d’un jury n’auraient pas validé les choix ? Et puisqu’il s’agit d’architecture, qui voudrait habiter une maison dont l’intégralité des architectes à qui on demande leur avis ne veut pas ?
Pourtant, semble-t-il, musiciens et professionnels de la musique du jury* font partie de ceux-là. Encore peut-on comprendre que n’étant pas au fait de la complexité d’un projet architectural (coûts, éléments de programme et autres détails) – après tout ils sont musiciens, pas constructeurs – ils se laissent séduire par une image. C’est faire preuve d’une remarquable légèreté mais c’est possible. Restent donc le ministre de la Culture et le maire de Paris et leurs subordonnés du jury, dont quelques diplômé(e)s en architecture, qui, au fond, n’ont pas à être plus au fait des détails que les musiciens – après tout ce n’est pas non plus leur métier ; la raison pour laquelle des professionnels sont invités dans un jury pour donner, il est permis de le penser, leur avis éclairé. Or, en l’occurrence, pour citer un architecte du jury « il y avait d’un côté les architectes et de l’autre, tous les autres« .
Pour le coup, voilà qui est remarquable. Et ce n’est rien de l’écrire que ces architectes de réputation internationale (pour beaucoup d’entre eux) ont trouvé ce résultat « vexant« . Que pas un architecte n’ait voté pour lui doit d’ailleurs se révéler aussi vexant pour Jean Nouvel, soit dit en passant. Toujours est-il que, pour ce qui les concerne, le projet de Francis Soler avait emporté leurs suffrages, sauf un vote pour Zaha Hadid. Acoustique, scénographie, économie… « Il avait parfaitement répondu au programme« , disent-ils. « Il était celui qui, avec Christian de Portzamparc, avait travaillé son projet avec le plus de minutie« . Zaha Hadid était trop chère, comme d’habitude, mais a eu le mérite de jouer cartes sur table. Quant à Jean Nouvel, il a proposé une « esquisse faite en trois jours« . Il s’agit là de mots de dépit d’un architecte vexé mais Jean Nouvel lui-même convient que son projet, à ce stade, ne relevait encore que du « concept« . « Nous en sommes encore au stade conceptuel. Nous avons défini les grandes options. Mais beaucoup de points restent à fixer, comme la structure, en béton ou en acier. On peut dire que la salle sera en bois clair, avec une lumière enveloppante qui viendra de l’arrière et un fond de salle blanc appelé à recevoir des jeux de couleur ou des projections vidéo« , a-t-il expliqué au Monde (édition du 13 avril 2007). De fait, assure un autre architecte, « il y avait [dans ce projet] des zones assez floues« . C’est un euphémisme sans doute puisqu’un autre relève que ce flou était « peut-être une stratégie, pour laisser de la place à l’imagination« . Un concours d’idées restreint en somme… Les musiciens furent en effet enthousiasmés par la salle « enveloppante« .
Après tout Jean Nouvel aurait tort de ne pas jouer ses cartes – et ses atouts cachés – au mieux de ses intérêts. Sauf que les architectes sont unanimes : « Nouvel ne rentrera jamais dans le budget, c’est sûr ; il coûte quatre fois plus cher que le budget du concours« . Ils ont, en toute conscience professionnelle, fait état de leurs doutes : « on nous a affirmé qu’une commission technique en certifiait la faisabilité à ce prix. Que répondre à cela ?« , ironise un architecte qui conclut : « le sentiment domine que si Nouvel avait présenté le projet de Soler et Soler celui de Nouvel, c’est Nouvel qui aurait gagné« . Ces architectes – et non des moindres, pardon d’insister – sont donc repartis chez eux, quelques jours avant Pâques, avec le sentiment qu’on les prenait pour des cloches. Et va pour la réputation des concours à la française. La construction du bâtiment, d’un coût estimé à 200 millions d’euros, sera financée à égalité par l’Etat (45%) et la ville de Paris (45%), la région Ile-de-France devant apporter les 10% restants. Son ouverture au public est prévue en 2012. Les contribuables se montreront-ils alors, à leur tour, « vexés » ? « Le marché de maîtrise d’oeuvre doit maintenant être négocié et conclu. Seule la signature de ce marché confirmera le choix de l’architecte« , a prévenu l’association Philharmonie de Paris.
Pour finir, notons que les candidats malheureux ont pour obligation de ne pas dévoiler leur projet à quiconque avant une exposition prévue… après l’échéance des présidentielles. Bref, le choix du projet de Jean Nouvel par les ‘politiques’ du jury s’il est téméraire est bien peu courageux.
Christophe Leray
*Massimiliano Fuksas, Finn Geipel, Franck Hammoutène, Karine Herman, Françoise Jourda, Dominique Lyon, Dominique Perrault, Bernard Tschumi.
** Laurent Bayle, Président de l’association Philharmonie de Paris ; Pascal Dusapin, Compositeur ; Christoph Eschenbach, Chef d’orchestre, Directeur musical de l’Orchestre de Paris ; Michael Haefliger, Directeur Général du Festival de Lucerne [là où Jean Nouvel à réalisé le Centre culturel et de congrès (2000), l’un des auditoriums symphoniques les plus connus dans le monde. NdR]; Patrice Januel, Directeur Général de l’association Philharmonie de Paris.
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 2 mai 2007