Voyons. Que ressent-on quand on est une jeune (32 ans) architecte et qu’après avoir bossé cinq ans en agence on se retrouve seule face à son premier projet en son nom propre ? «La peur,» répond Véronika Saille. Ce qui ne l’a pas empêchée de construire une maison individuelle de belle facture dans le Morbihan. Récit.
La question ne lui fut évidemment pas posée ainsi. Mais c’est la première impression qui ressort de l’entretien. «Un premier projet en autonomie, puis le chantier, c’est hyper-stressant,» dit-elle. «Pendant le chantier, j’ai soudain eu peur au niveau des proportions, une peur panique, je n’en dormais plus ; j’ai été soulagée quand on a monté la charpente,» dit-elle encore.
Le projet, désormais réalisé, consiste en une maison individuelle située au lieu dit ‘Les hauts de Kérizac’ sur la commune de Locmalo (Morbihan), à 40 km de Lorient dans les terres. Le site : un terrain en pente, accessible par une route au point haut et bordé de sous-bois, qui offre un panorama vers l’Ouest sur une «magnifique» vallée.
A l’issue de l’entretien, c’est pourtant une impression de bonheur qui demeure. «On sait pourquoi on travaille, on se sent architecte,» dit-elle, rayonnante. «Quand il y a un problème, c’est toi qu’on appelle, cela fait plaisir ; bien que taper sur les doigts des entreprises est très difficile,» dit-elle encore. Au fond, Véronika Saille reste étonnée à quel point «tout s’est bien passé». Pourtant, les pièges étaient nombreux.
Et les premiers sont apparus dès la conception du projet.
Au départ, un couple maître d’ouvrage qui, après avoir vécu de nombreuses années dans une maison ‘traditionnelle’, souhaitait une maison «plus adaptée au style de vie contemporain». Ses attentes étaient claires à défaut d’être précises : des espaces fluides, étendus et ouverts, du volume, une terrasse ensoleillée plutôt qu’un jardin en pleine terre et beaucoup de clarté. «Ils m’ont donné un blanc-seing,» explique l’architecte qui s’est appuyée sur les «intentions d’organisation» suivantes : mur et cloison délimitant les espaces sans les fermer, décloisonnement de l’espace au maximum en évitant les portes, création de niveaux, jouer avec des échelles contrastées entre intimité et monumentalité, prendre des vues sur le paysage, importance de la lumière.
«L’implantation de la construction a été dictée par des contraintes liées à la topographie naturelle du terrain,» dit-elle. «La volumétrie se présente comme un corps de bâtiment en rectangle de 16mx8m d’emprise. Le plan de la maison se divise en deux parties : une aile occupée par un vaste séjour double hauteur, salle à manger, cuisine en liaison avec mezzanine et une autre accueillant les chambres, salles de bains et buanderie sur deux niveaux». Le living, la salle à manger et la cuisine se composent autour d’un escalier en béton ouvert sur l’ensemble du volume double hauteur et donnant accès aux chambres à l’étage. Le mur d’échiffre structure l’ensemble du plan de la zone de vie.
Véronika Saille, au fil de ses discussions avec le maître d’ouvrage, a proposé plusieurs esquisses. Au final, la lumière allait de fait se révéler un élément essentiel de conception. Dans un budget (relativement) serré (280.000 euros), alors que l’architecte devait faire des choix, le maître d’ouvrage lui a ainsi demandé d’ajouter encore des fenêtres. A bon escient puisque l’architecte reconnaît découvrir aujourd’hui dans la maison des effets de lumière auxquels elle n’avait pas pensé. «Il y a des projections et des ombres chinoises assez amusantes qui animent l’espace,» convient-elle.
Si, en revanche, c’est bien elle qui avait imaginé le mur rideau double-hauteur de la façade sud, c’est à l’appel d’offres – «j’avais un peu peur,» dit-elle – qu’elle a découvert la difficulté à le réaliser. Les entreprises en effet, quand elles n’estimaient pas que «ça allait se casser la gueule», proposaient des prix trop élevés par rapport au budget. Jusqu’à ce que Véronika Saille, sur les recommandations de son couvreur, ne s’adresse à une société spécialisée dans la construction d’immeuble tertiaire. Bingo, l’entreprise s’est intéressée au projet et a proposé des solutions de mise en œuvre.
Pour la charpente du toit inversé, destiné à «dynamiser l’ensemble et réduire l’effet de masse», c’est un compagnon-charpentier «qui fait habituellement des charpentes d’église» qui s’en est occupé. Et la peur a commencé à disparaître. «Quand on a monté la charpente, j’étais soulagée de voir que la réalisation était conforme à mes dessins. Car je pense qu’une des grandes difficultés du métier est de maîtriser la cohérence d’une vue de l’esprit projetée sur papier et sa réalisation,» se souvient l’architecte. Le couvreur (toiture en zinc à joints debout) ? «Formidable». Le maçon ? «Il était vraiment à 100%». Bref, Véronika Saille se réjouit que les entreprises étaient «contentes» de participer à un projet original. De fait, quand le maître d’ouvrage invite architecte et entreprises à pendre la crémaillère, c’est qu’une vraie relation de confiance s’était instaurée.
Autre découverte pour l’architecte, les arcanes du permis de construire. Le maire n’avait pas de souci avec la maison, la DDE non plus. Mais, problème, la maison se trouve à moins de 500m d’une fontaine classée. La réglementation n’était pas très claire ; il n’y avait pas de PLU et maître d’ouvrage et maître d’œuvre étaient un peu inquiets. Le permis de construire a été déposé en octobre mais ce n’est qu’au mois de mars suivant qu’il fut définitivement acquis, la non-réponse de l’ABF valant alors accord de principe.
Depuis la maison a été beaucoup photographiée et visitée par les gens du coin. Au point que les nouveaux projets de construction alentours font désormais la part belle à l’architecture contemporaine, ce dont Véronika Saille n’est pas peu fière. L’un de ces visiteurs lui a d’ailleurs proposé de construire une maison à Belle-Ile en mer. Ce ne sera pas pour tout de suite car elle est aujourd’hui à Tahiti en «mission expatriée» dans le cadre du permis de construire de 140 logements intermédiaires à Papeete et de la construction de résidences hôtelières (131 unités) et services généraux dans la zone du golf international de Temae, Ile de Mooréa (phases esquisse- APS-PC ). «Après la réussite de ce premier projet, je savais que je pouvais le refaire et j’ai gagné pas mal de confiance en moi,» dit-elle.
La voila donc architecte de plein droit, la peur panique en moins. De fait, elle part fin janvier sur un chantier «incroyable» au Turkmenistan.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 28 janvier 2009