Comment un menuisier Montmartrois devient-il urbaniste ? Par hasard sans doute. François Scali en convient volontiers, «le travail de l’agence se caractérise par la diversité des sujets traités, autant pour des raisons opportunistes que par choix», dit-il. Une centrale thermique sur le toit d’une mairie par exemple ? Bref François Scali est désormais urbaniste, peut-être. Portrait.
«Mes parents n’avaient pas du tout envie que je sois architecte», explique cet homme de 65 ans dans son bureau du IXe arrondissement de Paris, juste en bas de la butte, et qui donne sur les Grands boulevards. L’agence consiste en un plateau ouvert, sobre et blanc partagé par plusieurs agences. Son bureau à lui est au fond, fermé, un grand F doré ornant sa porte, laquelle demeure close car l’homme travaille en musique (France Musique).
Alors ce fut la menuiserie, en partie parce que c’était l’activité la moins salissante sur les chantiers. François Scali construit des meubles et, au fil du temps, ses bibliothèques sur mesures sont de plus en plus sophistiquées et commence à s’interroger autour des notions de meuble/immeuble et à donner «une forme» à ses bibliothèques et placards.
«Mes parents voulaient que je fasse de l’économie». Le voilà à la fac de Nanterre.
Il aura donc une maîtrise d’économie mais le restau de l’école d’architecture voisine était plus accueillant. «J’ai vu ce qu’ils faisaient. Ce fut un coup de foudre, je l’avais en moi sans le savoir», dit-il. En cinq ans il a bouclé son DPLG. Pourtant, entre 1984 et 2000, il est designer et créateur de l’agence NEMO ou il collabore avec Alain Domingo. Chez Christian Hauvette, où il travaille, une rencontre marquante avec feu Henri Rivière, un autre architecte ébéniste, est déterminante.
Devenu libéral en 2000, en même temps qu’il devient maître assistant à l’École d’Architecture de Paris – Val de Seine, le menuisier qui demeure en lui se retrouve dans ses réhabilitations, lofts et appartements pour lesquels il poursuit ses études sur la forme des meubles et des immeubles*. Quinze ans plus tard ses réalisations, toutes autant d’opportunités singulières sans doute, demeurent espacées dans le temps, écueil d’une pratique artisanale. Parmi les plus notables, deux projets à Londres (2008 et 2011), une résidence pour chercheurs à Lyon (2015), une centrale thermique à Limeil-Brévannes (2015).
François Scali est initialement connu pour être le concepteur du Génitron, son premier projet, cette horloge qui devant Beaubourg, décomptait les secondes avant l’an 2000. «Toutes les capitales ont alors installé leur propre compte à rebours et tout s’est terminé d’un coup, à minuit, un soir de réveillon. Compter le temps à rebours, c’est de la sorcellerie», en dit-il aujourd’hui, parlant d’un projet anxiogène. Au moins, au fil de ces «articulations d’opportunités», il change souvent d’échelle, de registre et d’objet, ce dont témoigne la très éphémère tour zoomorphe de Shanghai, ‘Chien Jaune’ né de la collaboration avec l’artiste-plasticien Aurèle Lostdog.
Si l’éclectisme se passe de signature par définition, l’observateur peut cependant trouver un fil continu aux réalisations de François Scali dans la présence récurrente dans ses projets d’une surface laissée en son état initial, parfois vernie pour être protégée comme une œuvre d’art, «dont le temps sur la matière est l’auteur». Même pour un projet urbain, il faut qu’il reste une friche… Il cite François Seigneur : «Il ne faut jamais finir une maison» et s’attache donc à garder toujours, quelque part, la mémoire du chantier ou du lieu tel qu’il était avant.
Le hasard donc. François Scali participe au concours Bas carbone, deux fois. En 2009, le sujet était la réhabilitation thermique d’un équipement public. Lui découvre à Limeil-Brévannes l’Ecole Pasteur, un bâtiment mastoc construit dans les années 60 en panneaux de béton préfabriqués et à l’efficacité thermique lamentable. Un formidable sujet. Le règlement impose au maire et à l’architecte de postuler ensemble, les deux hommes se rencontrent donc. Le projet est sélectionné, et un APD est réalisée. Les résultats thermiques sont performants, le projet architectural intrigue mais le coût de la réhabilitation est au moins aussi élevé sinon plus que la construction d’un bâtiment neuf. Le projet en reste là.
Quelque temps plus tard, François Scali voit passer une annonce de concours pour une école en bois en conception-réalisation à Limeil-Brévannes. Joseph Rossignol, le maire, lui explique que ses études ayant démontré l’impossibilité de réhabiliter le bâtiment, décision a donc été prise d’en construire une neuve. «Mais j’ai peut-être mieux à vous proposer», indique M. Rossignol. Ce dernier a entre-temps vendu des terrains à huit promoteurs dans le cadre d’un accord de principe basé sur l’échange d’une charge foncière de 750 logements (soit 50 000 m² ) à bâtir sur des terrains municipaux contenant quatre écoles désuètes et hors norme, contre le financement d’une école de 15 000 m².
Sauf que le maire n’est pas heureux du tout du plan-masse et des premiers dessins qui lui sont proposés.
– Avez-vous des conseils, demande-t-il alors à l’architecte.
– Je n’ai jamais fait d’urbanisme à cette échelle, répond l’homme de l’art.
– C’est justement pourquoi je vous le demande, dit le maire.
«Malgré de nombreuses interventions urbaines, je n’ai jamais eu conscience de faire de l’urbanisme, c’était mon premier grand projet urbain mais, c’est plus fort que moi, je ne peux pas m’empêcher d’inventer et d’expérimenter», explique François Scali. Bref, en 2010, il accepte la mission d’architecte conseil de la ville de Limeil-Brévannes. Sa méthode consiste alors à travailler simultanément avec les huit architectes des projets, les promoteurs et le maire de façon à permettre une écriture architecturale originale à chaque projet mais à l’intérieur de caractéristiques communes fortes. De ces consultations est né un projet de ville agréé tant par la mairie que les promoteurs et les architectes. La majorité des bâtiments ainsi que l’école sont désormais livrés. «J’ai dessiné le projet sans avoir l’impression d’avoir dessiné quoique ce soit», relève aujourd’hui François Scali.
Restait un problème à résoudre. Une partie du financement des projets était liée au caractère BBC des bâtiments. Sauf que les panneaux solaires prévus initialement sur les toits – d’où ces toits à deux pentes des logements au sommet des immeubles – ne pouvaient pas être exploités par le prestataire choisi pour le marché du chauffage urbain et de la production d’eau chaude sanitaire des logements. Où trouver la place pour installer 1 200 m² de capteurs thermiques ? C’est finalement en surtoiture de la mairie que la centrale thermique fut construite, de quoi donner un élan vers le futur à l’hôtel de ville. Réalisation originale ? Bâtiment singulier articulé d’opportunisme ?
«L’hybridation d’un bâtiment administratif avec une centrale thermique est un progrès important dans la pratique environnementale de l’architecture par la genèse d’objets admettant les superpositions d’usages sur une parcelle non extensible», souligne l’architecte. Lequel a visiblement pris goût à l’urbanisme puisque son projet de réaménagement du Plateau de Viry-Châtillon, gagné en 2013, est désormais en cours de chantier (livraison prévue en 2016).
De la marqueterie au grand paysage urbain, l’architecte a fait du chemin, l’homme aussi, tant l’architecture est une pratique qui s’apprend lentement. François Scali se souvient qu’un jour, il était encore étudiant, il y eut une manifestation devant l’école, des manifestants invectivant les architectes : «jamais vous n’habiteriez dans ce que vous construisez !». Il se souvient penser alors : «c’est comme si on demandait à un cardiologue d’être cardiaque». Pourtant le souvenir est resté et aujourd’hui, François Scali a viré sa cuti. «J’ai mis 40 ans à passer d’une position un peu cassante à celle qui consiste à ne dessiner que des espaces que j’habiterais et même si c’est un deux-pièces, je le ferai pour moi», conclut-il.
D’où sans doute son confort et sa sérénité à travailler seul, enfermé dans son bureau marqué d’un grand F, en écoutant France Musique.
Christophe Leray
Voir notre article Loft Scali à Paris