Les Utopiales – Festival International de Science-Fiction, a fêté sa vingtième édition entre les 31 octobre et 4 novembre 2019. D’abord installé au Futuroscope de Poitiers, il fut transféré à Nantes en 2000, dans la Cité des Congrès dessinée par les Ateliers Lion Associés.
Lors de chaque édition, Les Utopiales explorent un thème scientifique à travers différentes disciplines. D’abord un Festival de littérature de science-fiction (romans, essais et bandes dessinées) et d’explications de faits concrets et/ou de théories scientifiques actuelles, futures ou passées, l’événement s’est ouvert au cinéma, aux jeux (vidéo, de rôles, de société, etc.), et à l’illustration. Cette année le code est à l’honneur. Mais d’abord, l’affiche du Festival nous permet de découvrir un jeune auteur : Mathieu Bablet.
Mathieu Bablet ou l’art de dessiner pour comprendre demain et ailleurs
Depuis 2011 et son premier opus, La belle mort (un survival dans lequel des humains échappent à des insectes géants colonisateurs de la Terre), le jeune dessinateur de 32 ans révolus s’est révélé être un des plus éminents auteurs de science-fiction. Mathieu Bablet s’inscrit à la suite des Mœbius, Mézières, Druillet, Bilal, Tezuka, Otomo, Foss, Mead, Jodorowsky, … Son univers traverse les figures de la dystopie, du ‘space opera’, et de la fiction antique.
A ce jour, son chef-d’œuvre – Shangri-La (Label 619, Ankama éditions, 2016) – porte le nom d’un paysage imaginé par le romancier James Hilton dans Lost Horizon (1933). Dans cette histoire, nous suivons le parcours de plusieurs personnages en rébellion contre l’autorité en place.
Chez Mathieu Bablet, la contemplation de paysages se marie avec de longues dérives dans des univers urbains chaotiques. L’autre grande caractéristique de son style tient dans l’application avec laquelle il représente dans le détail des intérieurs confinés. De nombreuses perspectives urbaines, toutes en profondeur, montrent des humains souvent perdus dans la masse, transformés en insectes assignés à des tâches précises et répétitives.
La lumière est souvent changeante ; elle qualifie des espaces spécifiques dans une tonalité colorimétrique propre à chacun. Les cases des planches s’enchaînent comme un story-board de films à la THX1138, Soleil vert ou encore Akira. Plongées, contre-plongées, toute la gamme de plans y passe. Le réalisme du vaisseau spatial contraste avec l’apparence des humains aux drôles de visages. Le plus remarquable dans cette bande dessinée, se trouve être les doubles pages où se font face des vues de la Terre depuis le cosmos.
Au-delà de sa palette graphique et du trait employés par l’auteur originaire de Grenoble, le contenu et la forme de la narration sont à la hauteur du dessin. Différents niveaux de lecture rendent les sujets abordés par Mathieu Bablet passionnants. Notamment le posthumanisme côtoie les voyages dans le temps, la question des minorités et le consumérisme comme moyen employé par une dictature pour contrôler les individus ; le tout s’invente dans un environnement cyberpunk dès plus réjouissants.
Les 220 planches sont un régal tant plastique qu’intellectuel. Pour ne rien gâcher, l’auteur donne une place non négligeable à l’architecture ; elle en devient presque le personnage principal de l’histoire, et renouvelle sa définition possible.
Avec Mathieu Bablet, la bande dessinée représente l’avant-garde de nos futures habitations et celle de nos prochaines entités urbaines. Nous y reviendrons plus en détail dans une prochaine chronique. Notamment, nous interrogerons l’auteur sur le pourquoi et le comment il a dessiné les habitats individuels en forme de «F» du vaisseau USS Tianzhu, et quelles seraient ses éventuelles références architecturales ?
Coder / Décoder : la grande question du XXIe siècle
Dans les nombreuses tables rondes proposées à un large public, la thématique «coder / décoder» a permis de rassembler scientifiques et artistes autour d’un sujet d’actualité. Répartie en quatre sections – «Code & Société», «Code & Langage», «Code & Information», «Code & Création» – par le binôme à la tête du festival – Roland Lehoucq, Président des Utopiales, et Jeanne A-Débats, Déléguée artistique – «coder / décoder» a convoqué toutes les lignes de force de la science et de la fiction pour tenter de comprendre le monde des IA, des algorithmes, des big datas, des langages en tout genre, des signes, des codes …
Dans un format d’une heure, les rencontres se multiplient et leur intérêt dépend de l’alchimie qui opère entre les intervenant(e)s. De rares projections animent les séances. Paradoxalement, l’oralité est de mise sur des sujets ô combien visuels, pourtant, cela fonctionne bien. En une journée de festival, vous pouvez en apprendre sur le contrôle de l’information, sur les codes de la guerre dans les séries militaires de SF vus par les «vrai(e)s» militaires, nos vies aux frontières du virtuel, le langage d’Alien, le code Enigma d’Alan Turing, la dimension politique de la science-fiction française, et bien d’autres thèmes sont abordés en parallèle.
Si vous y ajoutez la possibilité de voir des courts et longs métrages inédits, projetés dans le cadre de différentes compétitions, le séjour aux Utopiales offre la garantie d’en savoir plus sur les sujets de recherche de la science-fiction. L’équation réversible réflexion / émotion accentue votre sentiment de ne pas être venu pour rien.
Pour le néophyte, les Utopiales ouvrent des pistes de savoirs et de connaissances, pour les aficionados, la manifestation permet de rencontrer des auteur(e)s en dédicace à la libraire foraine installée dans un espace trop bas de plafond et pas assez vaste.
Le Festival Les Utopiales devrait quitter la Cité des Congrès d’Yves Lion
Ce 20ème Festival fut marqué par une affluence record (100 000 personnes selon les organisateurs). Difficile dans ce contexte de circuler à son aise pour suivre les tables rondes, et, pire encore, la visite des expositions fut rendue presque impossible par un manque de recul vis-à-vis des planches accrochées.
Le problème ne provient pas uniquement de la foule mais, en premier lieu, de l’architecture des lieux. Hormis quelques salles latérales, le Festival occupe en grande partie les espaces «perdus» du hall d’entrée (nommée Grande Halle) de la Cité des Congrès de Nantes. Conçue il y a plus 30 ans par l’agence d’Yves Lion, ce n’est pas une réussite !
Franchement, les volumes ne sont pas très bien proportionnés (problème de rapports entre les hauteurs, les largeurs et les longueurs des volumes), le choix des matériaux augmente le «bruit» visuel, les pleins et les vides des façades intérieures de la Grande Halle alourdissent cet ensemble plastiquement pauvre.
Bon, passe encore pour l’esthétique, tout festivalier ne vient pas que pour le plaisir des yeux, quoique ! Le plus pénalisant reste le manque de fluidité dans les circulations, l’organisation spatiale ne convient absolument pas à ce genre d’événement. La gestion de l’humain laisse à désirer. Aucune promenade et nul moyen de contemplation ne sont offerts aux spectateurs et spectatrices.
Pour revenir au plaisir de voir, au-delà du manque de place et de la médiocrité architecturale de la Cité, un autre souci se fait jour quant à la qualité d’accrochage des œuvres exposées et de leur mise en scène. En ce qui concerne le montage d’expositions, le monde de la bande dessinée n’a pas l’historique du monde des arts plastiques (peinture, sculpture, pour aller vite) et des arts visuels (installation vidéo, photographie, entre autres), et cela se voit.
En cinq éditions parcourues, j’ai toujours vu les mêmes cimaises noires, aux finitions aléatoires, être placées de telle sorte qu’elles forment une espèce de couloir difficilement praticable. Les planches des dessinateurs invités sont fixées à la queue leu leu, sans réelle vision d’accrochage ; cela nuit profondément aux œuvres montrées où trop souvent des reproductions côtoient des originaux. Tout cela ne rend pas service à la diffusion de la bande dessinée et nuit à sa dimension artistique intrinsèque.
L’excuse du grand public n’en n’est pas une, au contraire, et la dimension socioculturelle de la manifestation se doit d’être au niveau des œuvres sélectionnées par le Festival. S’en vouloir blâmer personne, peut-être la solution passe-t-elle par la sollicitation de commissaires d’exposition professionnels (l’association existe – https://c-e-a.asso.fr – et celle des critiques d’art aussi : http://aicafrance.org). Mais le premier problème reste celui des espaces de la Cité des Congrès.
Une suggestion
Devant l’institution, une grande esplanade coupe la rue Valmy, d’ouest en est, et se retourne au sud, sur l’entrée du foyer du Grand Auditorium ; elle pourrait servir de terrain de jeu pour la mise en place d’un concours international d’architecture dont le programme serait la construction d’un équipement dédié au Festival Les Utopiales, donc composé d’une structure légère, en kit R+5, démontable et re-montable chaque année. Et pour filer la métaphore, tel un vaisseau spatial, il viendrait se poser à Nantes, le temps du Festival.
Ou alors, il faut trouver un autre lieu en adéquation avec Les Utopiales. Bon arrêtons de rêver, l’époque n’est plus à ce genre de folie. Dommage.
La bande dessinée comme dernier endroit de l’avant-garde architecturale ? En attendant la 21ème édition des Utopiales (fin octobre 2020), dans les prochaines chroniques de l’avant-garde, nous allons essayer de scruter les différentes perspectives architecturales à l’œuvre dans la littérature de l’imaginaire dessinée.
Christophe Le Gac
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