Quand le lotissement pavillonnaire, social qui plus est, est revu par Georges Maurios, la surprise est au rendez-vous. Surprise pour les locataires qui découvrent brutalement une architecture contemporaine qui finit par les séduire. Surprise d’un exercice de style plus généreux que ne l’imposait la commande. Découverte.
« J’en ai bavé pendant deux ans« . Si l’architecte Georges Maurios, à l’occasion d’une visite de la série de 24 maisons construites en lotissement à St Nazaire et livrées en février 2005, employait un tel langage, c’était bien pour signifier à ses interlocuteurs, journalistes en goguette, de ne pas se méprendre sur la difficulté de l’opération. « Même les sabots des clôtures il a fallu les dessiner car ils n’existaient pas« , dit-il encore.
En effet, un fois le lotissement terminé, les maisons préexistantes embellies, la voirie et tous les réseaux remis à neuf, le tout à deux pas des chantiers de St Nazaire et sous un soleil éclatant, son travail risquait de ne pas apparaître pour ce qu’il fut réellement : un combat pour offrir du logement ouvrier « grand et confortable » dans les limites « d’une économie serrée, très serrée« , de l’aveu même de Franck Gourdel, responsable Développement et Réhabilitation à Espace Domicile, une société anonyme d’HLM à but non lucratif, un maître d’ouvrage atypique. D’autant plus que « des problèmes d’approvisionnement imputables à Arcelor ; retard et nombreux défauts de fabrication à répétition« , dont se désole Franck Gourdel, n’ont rien arrangé et ont coûté, au final, un peu de confort aux locataires.
Au départ il y a d’abord un terrain « pourri » (trois mètres de remblais des destructions de la dernière guerre mondiale au-dessus de 30 mètres de vasières) dans un lotissement des années 50 qui ne fut jamais terminé. « On a bouché les trous ; la répétition n’est pas un objectif esthétique, c’est une conséquence« , explique Georges Maurios qui pouvait parler ainsi aussi bien à propos du terrain que du budget. C’est dans ce contexte que l’architecte devait imaginer 24 logements individuels allant du trois pièces au cinq pièces. Ce qui fut fait de façon originale puisque toutes les maisons ont une surface habitable de 106m², sans compter le garage intégré, et toutes offrant un « espace polyvalent » à l’étage. Sauf qu’il fallut ensuite, avec le maître d’ouvrage, se bagarrer pour que le montant des loyers reste plafonné au prix PLA, sans majoration de la surface corrigée.
Georges Maurios, en s’appuyant sur le procédé CIBBAP de construction en acier mis au point par USINOR, a donc conçu des maisons en tôles légères – 11 tonnes seulement contre 60 pour les mêmes maçonnées – de telle façon qu’elles puissent être fabriquées par éléments modulables (des ‘planches en tôle de 5,50m x 40cm) en usine, l’ensemble étant assemblé à sec par clinchage, façade par façade, en moins d’une semaine. Condition sine qua non selon lui pour que « l’économie du projet soit reportée ainsi sur l’excédent de surface« . Ce qui n’a pas empêché pourtant quelques détails d’architecte, la tôle grise perforée par exemple, pourtant « plus chère« . Le prix de revient par maison au final étant de 73.540 euros HT, y compris le garage, les plantations, la clôture, etc. l’opération est à ce titre une réussite. Mais pas seulement.
En effet, l’implantation des maisons et le choix de six couleurs en plus du blanc – ce que Georges Maurios appelle « casser la monotonie par la polychromie » – offre au quartier d’étonnantes perspectives. La cité, pourtant compacte, apparaît ainsi singulièrement aérée – « équilibrée« , assure Georges Maurios – donnant une impression d’espace tant de l’extérieur que du point de vue des habitants, à qui les vis-à-vis ont été évités. De plus, la qualité de la tôle laquée doit permettre à l’image chatoyante du lotissement de persister, surtout quand les arbres et les haies auront poussé.
Par ailleurs, même si la notion d’économie se fait (un peu) sentir à l’intérieur, l’agencement de la maison a permis de ne pas sacrifier le confort de ses habitants. Les chambres sont petites mais les familles disposent d’une buanderie, libérant ainsi de l’espace de vie effectif. Idem avec les rangements intégrés. De même pour l' »espace polyvalent » qui laisse la possibilité de s’approprier « sa » maison. De fait, un locataire a déjà bouché la double hauteur en partie centrale du séjour pour s’aménager un bureau. Idem enfin avec les bouts de jardin savamment arrangés qui permettent une terrasse devant pour manger dehors agréablement tout en préservant un espace derrière pour le potager. Bref 106 m² d’espace réel pour des loyers oscillants entre 335 et 530 euros. Faut-il rappeler le prix de construction ?
Est-ce aussi confortable que l’architecte l’aurait souhaité ? Non. Les soucis avec le fabricant, indépendants semble-t-il de l’architecte et du maître d’ouvrage, ont ainsi fait disparaître les volets, prévus initialement. La lumière et la chaleur pénètrent donc abondamment, dans les chambres notamment, ce qui n’est pas idéal pour faire dormir les enfants. En hiver par contre, « il faut chauffer« . Plus embêtant encore, la pluie tient lieu d’orchestre infernal sur le hublot du toit. « On n’entend pas la télé« , se plaint un locataire. On ne peut guère être plus clair.
Cela dit, même si l’esthétique « industrielle » a choqué ses habitants – « mon mari travaille sur les chantiers toute la journée, quand il rentre ce n’est pas pour voir des boulons« , explique une dame qui, deux mois après avoir aménagé, a encore du mal à se faire aux poutres métalliques – les premières réticences ont vite disparues. « La première fois que je l’ai vue, j’ai dit : ‘on n’ira jamais habiter là' », explique M. Berthot, locataire d’une maison rouge. « Ca fait bizarre mais l’intérieur est bien conçu. On se plaît bien et on s’est renseigné pour voir si on pouvait l’acheter« , dit-il. « C’est que du placo et de la tôle mais pour les enfants, c’est super, on est chez nous« , confirme sa voisine, Magalie Verdier.
Le phénomène de rejet des premiers habitants du lotissement – « il y a eu des protestations énormes« , raconte Franck Gourdel – s’est également vite estompé avec la « disparition de l’ambiance destroy du quartier« , pour citer Georges Maurios, visiblement heureux que ceux-là se soient mis eux-mêmes à rénover leur maison, tout le quartier y gagnant ainsi en convivialité.
« J’ai toujours trouvé décevant le contraste social entre les fameuses villas, fleurons du mouvement moderne, et la production en masse des immeubles d’habitation collectifs, sans parler des grands ensembles« , écrit l’architecte. En l’occurrence, pour paraphraser Mies van der Rohe, avec « less« , Georges Maurios a fait beaucoup.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 29 juin 2005